Te sens-tu comme venant d'une autre planète ?
Y’a une métaphore qui fait consensus dans les bios d’autistes : celle de l’alien écrasé·e sur une autre planète. Voici quelques passages écrits par des autrices autistes dans leurs livres.
Camila Pang - Expliquer l’humain
Cela faisait cinq ans que j’étais sur terre quand j’ai commencé à me dire que j’avais atterri au mauvais endroit. J’avais dû me tromper d’arrêt.
J’avais l’impression d’être une étrangère parmi les gens de ma propre espèce : je comprenais ce que l’on me disait, mais je ne parlais pas la même langue ; je partageais l’apparence de mes congénères, mais aucune de leurs caractéristiques essentielles.
Je restais des heures durant dans le jardin, assise sous une tente multicolore qui penchait d’un côté – c’était mon vaisseau spatial – avec un atlas ouvert devant moi, à me demander ce que je devais faire pour être catapultée sur ma planète.
Et comme ça ne marchait pas, je me suis tournée vers l’une des rares personnes qui me comprendrait peut-être.
« Maman, existe-t-il un mode d’emploi pour les êtres humains ? »
Elle me regarda d’un air étonné.
« Tu sais… un manuel, quelque chose qui explique le comportement des gens… »
Je n’en suis pas certaine – déchiffrer les expressions n’est pas mon fort –, mais à ce moment-là, je crois que le cœur de ma mère s’est brisé.
« Non, Millie. »
Cela n’avait aucun sens. On trouvait des livres sur presque tous les sujets du monde, et aucun ne pouvait me dire comment je devais être ; aucun ne pouvait me préparer à affronter le monde ; aucun ne pouvait m’apprendre à passer mon bras autour des épaules d’une personne malheureuse, à rire quand les autres riaient, à pleurer quand les autres pleuraient.
Paige Layle - But Everyone Feels This Way: How an Autism Diagnosis Saved My Life
J’ai étudié les humains, plus que tout le reste, comme s’ils appartenaient à une autre espèce.
NOTES DE TERRAIN
Je voulais découvrir leurs secrets, comprendre ce qui faisait qu’iels se sentaient si préparé·es, si à l’aise, en contrôle — au point de pouvoir être simples, décontracté·es, détendu·es.C’était comme si tout le monde avait reçu un mode d’emploi, programmé dès la naissance, et que moi, je ne l’avais pas.
J’apprenais à être une humaine, mais les autres enfants avaient déjà compris comment faire.
Iels ne semblaient pas étudier la façon de marcher, de parler, de sourire, ou de se présenter.
Iels n’étudiaient pas la manière dont iels aimaient leurs cheveux, ni la façon de parler à une figure d’autorité, ni ce qu’il fallait faire quand quelque chose changeait, ni quoi répondre quand on leur demandait comment iels allaient.
Je me voyais souvent comme une extraterrestre — pas une créature de cette planète, ni de ce monde, ni même de cet univers.
J’avais l’impression que les autres enfants étaient sur Terre depuis bien plus longtemps que moi, qu’iels connaissaient déjà les règles, alors que moi, je devais les découvrir.
Tout le temps.
Toute seule.
Chloé Hayden - Different, Not Less: A Neurodivergent’s Guide to Embracing Your True Self and Finding Your Happily Ever After
Et malgré tout ça, pour mes parents et pour ceux qui m’entouraient, je n’étais que Chloé.
Un peu sensible, un peu étrange, un peu imprévisible.
Et, après tout, quel enfant n’est pas un peu original ?
Mais pour moi ?
C’était comme si j’avais fait un atterrissage forcé sur une planète étrangère — un monde assez semblable au mien pour que je puisse faire semblant pendant quelques années, mais assez différent pour que je me sente comme une totale et absolue anomalie.
C’était comme si tout le monde avait compris les règles de cette planète, mais que les ingénieur·es de fusée resté·es chez moi avaient oublié de me donner le manuel, et que je devais tout découvrir par moi-même.
Les habitant·es de cette planète étaient horriblement, ridiculement déroutants, et tout semblait conspirer à détruire mon être tout entier.
Les lumières étaient atrocement bruyantes et aveuglantes.
Les gens disaient des choses qu’ils ne pensaient pas du tout. (…)
Il y avait des « règles » sociales que tout le monde devait suivre, même si elles n’avaient aucun sens, et si on les enfreignait, on te regardait comme si tu venais de violer un code secret et ancestral.
Se regarder dans les yeux ? Faire du small talk ? (…)
Rien de tout ça n’avait de sens. Et d’ailleurs, ça n’en a toujours pas.
Pendant longtemps, j’étais persuadée que ma vie était à l’opposé absolu d’un conte de fées. Je ne comprenais pas pourquoi ma planète d’origine m’avait laissée ici, sur ce monde étrange où rien n’avait de sens, où les choses qui auraient dû être n’existaient pas, et où celles qui n’auraient pas dû être, existaient.
J’étais une extraterrestre piégée dans un lieu bizarre et confus, loin de chez moi, seule et désespérée — mais chaque portail vers mon monde portait un grand panneau rouge : « Interdit aux Chloé ».
Et pourtant, pour mes parents, rien de tout cela ne semblait visible, malgré chaque fibre de mon existence hurlant « autiste », comme un néon brillant collé sur mon front.
Je restais simplement Chloé.
Chloé la cheloue, l’excentrique, la différente.
Sara Gibbs - Drama Queen: One Autistic Woman and a Life of Unhelpful Labels
En faisant défiler la page Facebook remplie de questions, de discussions et d’articles, je n’en croyais pas mes yeux.
Toute ma vie, j’avais eu l’impression d’avoir été abandonnée sur Terre par des extraterrestres — et là, j’avais la sensation de revenir sur ma planète d’origine, une planète dont j’ignorais même l’existence.
Les publications étaient étrangement familières, jusque dans les détails les plus aléatoires.
Je les ai dévorées une à une, lisant pendant des heures.À travers un mélange d’articles universitaires et de discussions anecdotiques, j’ai découvert toutes sortes de choses qui ne faisaient que confirmer ma conviction : j’étais forcément autiste.
Julie Dachez - L’autisme autrement
Pour beaucoup, c’est le grand “Ah-ha!” tant attendu, ce moment où tout s’emboîte enfin, après des années passées à se demander pourquoi on a l’impression de ne pas vivre sur la bonne planète. Beaucoup de personnes se disent donc soulagées:
“En fait, c’était un soulagement de découvrir ça - un peu comme trouver la dernière pièce d’un puzzle.”
Le fait de pouvoir mettre un mot sur ce que la personne vit depuis toujours contribue à ce soulagement:
“C’était un soulagement presque immédiat de pouvoir mettre un nom sur l’ensemble de symptômes que j’ai eus toute ma vie.”
Avez-vous déjà vu le film “La mémoire dans la peau” avec Matt Damon ? Alors qu’il souffre d’amnésie, le héros, Jason Bourne, découvre progressivement la vérité sur son passé en réassemblant des morceaux de sa vie. Attention spoiler : il finit par découvrir qu’il est en réalité un agent secret. C’est un peu ce que vivent beaucoup d’adultes autistes lorsqu’ils reçoivent enfin un diagnostic.
Je ne dis pas que vous allez, post diagnostic, vous réveiller un beau matin avec des compétences en sport de combat et maniement d’armes à feu, mais plutôt que tout commence à faire sens : les difficultés à l’école, les relations sociales compliquées, le besoin de solitude, etc. Tout cela n’était pas “juste dans la tête”
Beaucoup relisent donc leur passé avec une nouvelle paire de lunettes, ce qui lui donne un sens différent: “D’un seul coup les cinquante premières années de ma vie ont pris tout leur sens.”
Cette réévaluation de la vie passée peut conduire à une compréhension rétrospective des difficultés rencontrées et à une forme de validation des expériences vécues.
Les personnes commencent aussi à se percevoir différemment, comme l’exprime Sebastian :
“Alors, pour moi, le diagnostic a été un véritable tournant, c’était vraiment un changement de paradigme dans ma façon de me considérer... c’était, c’était comme un coup de tonnerre. Obtenir ce diagnostic a été tellement profondément bouleversant pour moi parce que cela m’a permis de me débarrasser de beaucoup de bagages émotionnels... Je n’étais pas une mauvaise personne; j’étais autiste... et cela a vraiment fait une différence, je ne suis pas un neurotypique bizarre, je suis un autiste parfaitement normal et c’est normal que je sois différent.”
Ce que je trouve intéressant dans ce témoignage, c’est qu’on voit bien comment la personne, grâce au diagnostic, redéfinit les contours de son identité. Là où auparavant il se trouvait “bizarre” il est désormais “normal”.
Certains apprennent à s’accepter et à se témoigner de l’auto-compassion : “comprendre d’où viennent ces difficultés et ce stress fait une différence dans la manière dont je me perçois”
(…)
Au-delà du soulagement et de l’épiphanie, recevoir un diagnostic tardif d’autisme permet de trouver un sentiment d’appartenance. Pour filer la métaphore, c’est un peu comme découvrir enfin votre tribu de martiens après avoir passé des années à croire que vous étiez le seul extraterrestre échoué sur la planète Terre
Te sens tu comme venant d’une autre planète ?
Si tu te reconnais dans ces récits ça peut être intéressant de creuser la piste de l’autisme.
Jeudi 20 novembre à 12h30, j’organise un atelier d’auto-identification où je vais te guider à faire quelques premiers auto-tests pour t’orienter. Si tu veux t’inscrire c’est par ici : https://nicolasgalita.podia.com/atelier-autoid-201125
Si tu n’es pas dispo à cette date, tu peux commencer à avancer en regardant ma conférence qui détaille précisément ce qu’est l’autisme en débunkant les clichés les plus courants : https://nicolasgalita.podia.com/conference-autisme-integrale
