Aujourd’hui on continue sur notre lancée d’articles politiques. Si tu as raté le premier, c’est par ici :
T’as un iPhone et t’es de gauche ?
J’aurais aimé te dire que j’entends rarement cet argument. Mais c’est faux. Depuis que je suis publiquement engagé je l’entends quasiment chaque semaine.
Ou alors j’entends une variante. Par exemple, hier, “t’es de gauche mais dans tes formations emploi tu conseilles aux chômeurs de passer par le réseau et c’est pas égalitaire”.
Ou la semaine précédente : “t’es de gauche mais tu vends une formation sur l’argent”.
Celle d’avant : “t’es de gauche mais tu gagnes bien ta vie”.
Ou encore “t’es de gauche mais tu vends ton livre sur Amazon”.
J’ai aussi entendu (mais adressé à une autre militante) : “t’es antiraciste mais tu vis en France”.
Alors, déjà, c’est un réflexe qui m’étonne. J’ai envie de répondre à chaque fois t’es de gauche mais tu passes plus de temps à juger qui est de gauche qu’à lutter contre la droite.
Mais bon… ce serait pas très mature. Essayons de répondre plus profondément.
Notons d’emblée qu’il s’agit le plus souvent d’un argument ad hominem. Un argument ad hominem c’est quand on s’attaque à la personne plutôt qu’à ses idées. Ça n’est pas forcément invalide. On peut légitimement renvoyer quelqu’uns à ses contradiction. Mais c’est parfois un sophisme. Dans ce cas, je pense que ça l’est.
Personne n’est 100% de gauche
Si tu es d’accord avec la définition de la gauche que je t’ai proposée hier, tu dois comprendre que personne n’est 100% de gauche.
Personne ne veut changer l’intégralité de la société.
Mais, pire encore… les attaques de la famille “t’as un iPhone alors que t’es de gauche” oublient que l’ad hominem est un procédé contestable quand on parle de gauche.
Pourquoi ? Parce que si la gauche c’est l’envie de changer la société pour en faire advenir une nouvelle et que, pour ça, il faut ne pas participer à la société en question… quelle est la solution ? S’isoler en ermite ? Oui, c’est possible. Mais du coup on renonce à changer la société.
Pour changer la société, il faut faire partie de ladite société.
Ne serait-ce que pour convaincre les autres ?
C’est pour cette raison que les militants écologistes ne coupent pas l’électricité chez eux. Il faut bien avoir accès aux moyens de communication.
Il n’y a donc pas de solution parfaite possible : chaque personne doit accepter une forme de pacte avec la société actuelle pour pouvoir la changer.
Mais revenons à personne n’est 100% de gauche. Ce que j’entends par là c’est que personne ne veut changer toute la société. Il y a forcément des choses qui te vont. Tu ne peux pas tout rejeter.
D’autre part, il y toujours des zones d’ombre que tu n’as pas encore questionnées. Par exemple, je sais que je suis loin d’être au niveau en ce qui concerne la lutte contre l’antisémitisme et la transphobie. J’ai beaucoup moins lu, je suis moins capable de reconnaître les propos dangereux. Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi on disait que les propos de JK Rowling étaient transphobes alors que maintenant ça me paraît évident.
Il faut donc se rappeler que chaque personne est en cheminement. Personne ne naît avec une éducation totale de gauche. Alors qu’à droite c’est plus simple : si je suis d’accord avec le monde tel qu’il est, j’ai moins besoin de le questionner.
La gauche, à l’inverse, est un voyage permanent.
Voilà pourquoi la gauche a donné un nom à ce piège de la pensée. Ça s’appelle la pureté militante. La pureté militante c’est le fantasme consistant à croire qu’il est possible d’être 100% de gauche et d’aller reprocher aux autres qu’ils ne le sont pas, sans jamais admettre que soi-même on ne l’est pas.
Le mythe du chemin accompli
On n’arrive jamais au bout de ce chemin. Si on s’arrête on devient comme Daniel Cohn-Bendit : une jeunesse tellement de gauche révolutionnaire qu’on se fait expulser du pays, mais aujourd’hui un engagement auprès de Macron.
Pourquoi ? Parce qu’il s’est arrêté en chemin et les choses qu’il voulait changer ont changé. Quand Cohn-Bendit est jeune, il se bat contre le fait qu’il y ait une chaîne unique à la télévision, celle de l’état. Aujourd’hui ça nous paraît évident d’avoir une pluralité des chaînes. Ce n’est pas être de gauche que de réclamer en 2022 que l’état n’ait pas le monopole de la télévision. Ça l’était en 1968.
Cohn-Bendit a arrêté de questionner le monde une fois que ses luttes ont obtenu des victoires.
L’argent n’est pas le capitalisme, l’anticapitalisme n’est pas la gauche
L’autre confusion que je vois c’est celle entre argent, capitalisme et droite.
C’est une confusion extrêmement dangereuse.
Premièrement parce que confondre argent et capitalisme empêche de comprendre que le capitalisme n’est pas l’alpha et l’oméga. Il est plus facile d’imaginer un monde sans capitalisme qu’un monde sans argent.
Nos ancêtres avaient de l’argent, mais pas de capitalisme. Le capitalisme n’existait pas avant le 18ème siècle. Mais il y avait bel et bien de l’argent à l’Antiquité. Même avant ça d’ailleurs. Si tu étais ici l’an dernier tu as vu en quoi le troc est un pur mythe moderne. Nos ancêtres ne troquaient pas, ils ont très tôt compris les soucis de ce système. Ils ont donc inventé des monnaies (parfois sous forme de coquillages, mais souvent on a convergé vers l’or, quasiment partout, sans concertation, pour des raisons qui seraient longues à expliquer dans une parenthèse).
On peut donc vouloir la fin du capitalisme sans vouloir la fin de l’argent.
De même qu’on peut vouloir la fin du capitalisme sans vouloir la fin du progrès technologique.
Mais tu me diras que j’ai exagéré sur le fait que la confusion était dangereuse ?
En effet, tu vois bien que le danger c’est de laisser l’argent à la droite alors que c’est l’instrument du pouvoir. Mais de là à dire que c’est dangereux ?
Quand j’ai dit que c’était dangereux, je pensais à la deuxième partie de la confusion : résumer la gauche à l’anticapitalisme.
Toute la gauche n’est pas anticapitaliste et tout l’anticapitalisme n’est pas de gauche.
En effet, on peut avoir envie de changer la société uniquement sur les questions raciales. On peut être antiraciste sans être anticapitaliste. Bien entendu que le capitalisme accroît le racisme, mais le racisme existait avant le capitalisme, il pourra donc exister après.
Mais surtout, l’extrême-droite aussi est anticapitaliste. Tu te rappelles quand je te disais que le capitalisme avait été une idéologie de gauche à la révolution ? Et bien une des manières les plus simples de définir l’extrême-droite est de dire que c’est la famille politique qui aurait déjà été de droite à la révolution de 1789. C’est la famille composée des courants politiques qui n’ont jamais été à gauche. Ou qui n’auraient pas été de gauche à l’époque s’ils avaient existé.
Je rappelle que la première fois que l’assemblée se divise en gauche et droite c’est pour soutenir ou s’opposer au roi.
Le capitalisme était donc une idée de gauche puisqu’en opposition avec l’idée de monarchie et d’aristocratie héréditaire.
Et, ça, l’extrême-droite le sait. Voilà pourquoi il y a autant d’hostilité envers le capitalisme à l’extrême-droite. Sans compter que le capitalisme concentre aussi l’accusation d’être orchestré par des traîtres à la patrie.
Ça ne veut pas dire que l’extrême-droite lutte contre le capitalisme une fois au pouvoir : souvent elle s’en accommode bien. Car sa détestation d’autres choses font que c’est rarement sa priorité d’abolir le capitalisme. Elle est trop occupé à réduire les droits des personnes qui ne sont pas des hommes blancs.
Et attention, elle ne voudrait pas abolir le capitalisme pour une société communiste, hein ? Elle veut l’abolir pour revenir à l’économie de l’Ancien Régime.
Mais, du coup, certaines personnes sont confuses et croient qu’une personne est de gauche parce qu’elle est contre le capitalisme. Zemmour lui-même a été vu comme marxiste par certaines personnes.
“T’es pauvre et t’es de droite ?”
Ce qui est marrant, c’est qu’on dit rarement l’inverse. Si on s’étonne qu’une personne avec un iPhone soit de gauche, alors on devrait s’étonner qu’une personne n’ayant pas les moyens de s’en acheter soit de droite. Ici réside précisément une clé fondamentale de lecture du champ politique.
Mais on en parle demain ou après-demain.
La théocratie aussi, c'est un bon exemple d'anti-capitalisme d'extrême droite. C'est même plus crédible qu'un anti-capitalisme de gauche pour être honnête, c'est une solution qui a fait ses preuves depuis au moins l'Égypte Antique et qui est toujours d'actualité.