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Suis-je polygame parce que je suis Noir ?
Encore récemment j’ai persévéré dans la recherche d’une psy.
Malgré le racisme qu’on subit dans une séance.
Ce n’était pas du déni. Plutôt un espoir désespéré qui refuse de renoncer au luxe de la santé mentale.
Mais c’est trop violent. J’ai abandonné.
Un jour peut-être que je raconterai mes séances avec la dernière psy avant l’abandon. Elle a fini par me demander de lui prouver qu’il n’existait pas de racisme antiblanc.
Mais là je vais juste rentrer sur un point qui n’est pas exclusif aux psys : l’utilisation du mot « polygame ».
« Ah ok, vous êtes polygame »
Je suis persuadé que si j’avais été Blanc on m’aurait dit « ah ok, vous êtes libertin » ou « ah ok, vous êtes polyamoureux ».
Mais admettons que je sois paranoïaque.
Quand j’ai répondu « je ne souhaite pas que vous utilisiez ce mot, car il a une connotation raciste, on ne dit jamais d’un blanc qu’il est polygame »…
… ce qui est fou c’est qu’une psy ne se dise pas « ok on utilise les mots que vous voulez pour vous décrire ».
Au lieu de ça elle m’a répondu que y’a pas que les Noirs qui sont polygames, y’a aussi les Asiatiques.
Je n’ai même pas cherché à savoir ce qu’elle appelait « un Asiatique ».
J’ai redemandé poliment qu’on arrête d’utiliser le mot sans que j’ai besoin de gagner le débat. J’ai rajouté que la polygamie était un délit en France.
Mais… évidemment, deux séances plus tard, elle l’a ressorti.
Quand je me suis insurgé elle m’a répondu « non mais vous utilisez la définition juridique ».
Là encore… je ne comprends pas pourquoi je ne suis pas libre d’utiliser le mot que je veux pour me définir dans un endroit qui est censé être ma thérapie ?
Qu’est-ce que la polygamie ?
« Polygamie » n’est pas l’inverse de « monogamie ». En tout cas pas dans le langage courant. C’est d’ailleurs pour ça que le mot polyamour a été inventé. C’est pour ça qu’on parle de « non-monogamie ».
La polygamie est un régime matrimonial, c’est-à-dire une forme de mariage. Un individu est marié à plusieurs personnes. Le plus souvent c’est un homme à plusieurs femmes.
Le concept de mariage est ici crucial. Car c’est lui qui change tout. Le mariage impose des droits et des devoirs.
Non seulement, la polygamie est une forme de mariage mais, de surcroît, elle interdit aux femmes de contracter un autre mariage.
En d’autres termes, il y a plusieurs épouses mais elles n’ont qu’un seul époux : le même.
La violence de l’asymétrie a des conséquences désastreuse.
«Pour moi, c'est une forme d'esclavage moderne», souligne en entrevue à La Presse cette femme originaire de Guinée-Bissau.
Voici les pays qui autorisent la polygamie :
(Ok maintenant je comprends pourquoi la psy m’a mentionné l’Asie)
Polygamie et droit
En France, il est impossible de contracter plusieurs mariages. Ça empêche, de fait, la polygamie. Mais pas que. Ça interdit aussi à 2 hommes et 2 femmes de se marier à 4.
Par conséquent, une personne ne peut PAS être née française et polygame. Ou plutôt, elle ne peut pas l’être au regard de la loi française.
En effet, en France : « le fait de contracter un mariage sans que le précédent soit dissous est un délit passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros ».
Ça explique pourquoi quand on tape « polygamie » dans le code civil on tombe uniquement sur des articles concernant les étrangers.
En 1993, la loi Pasqua a interdit la délivrance de titre de séjour aux étrangers en situation de polygamie.
Une loi raciste.
Attention… il ne s’agit pas ici de défendre la polygamie. Jamais. Mais de constater que la préoccupation de Pasqua (sans surprise vu le personnage) ne semble pas être la défense des femmes et des enfants.
De la même manière que les lois qui ont interdit le voile ne visaient pas vraiment à protéger les femmes.
La preuve pour la loi Pasqua ? Elle ne fait pas de distinction entre l’époux polygame et les épouses.
On pourrait dire : par mesure de protection de leurs droits on accompagne les épouses.
Ce n’est pas le cas. Si, en théorie, elles ont le choix de divorcer :
De fait, [la loi Pasqua] force les épouses secondaires à choisir entre l'irrégularité du séjour et le divorce accompagné de « décohabitation », processus rendu difficile par la précarité de leurs situations, la difficulté d'accéder au logement et l'amour liant sentimentalement à l'époux.
Hasard du calendrier, je découvre à l’instant qu’Assa Traoré subit une vague d’attaque sur Twitter parce qu’on découvre qu’elle est « issue d’une famille polygame ». On lui reproche donc le comportement de son père, qui est mort en 1999.
Là encore, il ne s’agit pas de défendre la polygamie. Il s’agit de se demander pourquoi on en parle à ce moment ? Quel rapport entre la mort d’Adama Traoré et les agissements de son père ?
L’idée c’est bien de rappeler par là qu’il n’était pas assez français. Ce qui permet ensuite de légitimer la violence contre lui.
La connotation d’un mot
Si la polygamie est définie comme un régime de mariage, il est vrai que le mot « polygame », a vue sa définition s’étendre.
Voilà ce que nous dit le dictionnaire du CNTRL :
P. anal. Qui a plusieurs liaisons amoureuses simultanées.
Par analogie.
Le problème c’est que les mots portent en eux leur connotation.
Par exemple, dire de jeunes de banlieue que ce sont des barbares va avoir une connotation. Peu importe le contexte et peu importe que le mot barbare veuille simplement dire « étranger » si je regarde la première définition du dictionnaire.
Ou alors, dire d’une personne antillaise qu’elle est « exotique ». Oui, il y a bien une définition du dictionnaire qui est : Qui provient de pays lointains, notamment tropicaux.
Mais il y a aussi la définition qui est : Qui (dans la perception occidentale) est perçu comme étrange et lointain et stimule l’imagination
Par conséquent, je me garderais bien d’utiliser ce mot pour désigner un humain.
Si je dis d’une femme qu’elle est en pleine « hystérie », là encore peu importe le contexte elle risque de le vivre comme une insulte sexiste.
Parfois c’est plus insidieux. Quand Mélenchon dit « le problème ce n’est pas l’immigré, c’est le banquier »… je veux bien le croire sur parole qu’il n’a pas fait exprès.
Je veux bien croire qu’il a voulu dire : « le problème ce n’est pas l’immigration, c’est les marchés financiers ».
Mais ce n’est pas la même connotation. La première formule a une connotation antisémite. Il a peut-être voulu dire la deuxième chose mais c’est bien la première qui a été dite et entendue.
Parce qu’il y a une tradition antisémite du « banquier » comme manière de désigner un juif sans le dire comme ça pour ne justement pas être accusé d’antisémitisme.
Prenons le mot « black ». Ça veut dire noir en anglais, certes. Mais le fait d’utiliser l’anglais donne une connotation problématique.
Ne parlons évidemment pas de la version espagnole du mot Noir. Si tu prononces ce mot sans être Noir·e toi-même alors, peu importe le contexte, tu vas t’attirer des foudres.
En aucun cas tu pourras dire mais moi je l’utilise juste au sens espagnol.
C’est d’ailleurs également par incapacité à comprendre les connotations que certaines personnes ne comprennent pas pourquoi quand un rappeur Noir utilise le mot c’est différent.
Admettons que si j’avais été Blanc on m’aurait aussi appelé « polygame »
Faisons cet exercice de pensée. On va accepter l’idée que je me trompe. C’est évidemment possible.
Ce qui est étrange c’est l’incapacité à renoncer à ce mot. Qu’une personne le prononce, pourquoi pas. Mais si quelqu’un vous répond « je ne souhaite pas que tu utilises ce mot car il renvoie au délit » ?
Pourquoi refuser ? Pourquoi s’arc-bouter, expliquer que y’a plusieurs définitions…
Mon hypothèse c’est que les gens refusent d’y renoncer quand je leur dis parce que ça serait admettre qu’ils ont dit un truc raciste.
Subitement, on ne manque pas de représentation
Ce qui est fou c’est qu’on ne m’a jamais renvoyé à l’imaginaire des rois de France et de leurs courtisanes. Pour une fois j’aurais été content qu’on me renvoie à des modèles blancs (comme d’habitude).
Non, ce qui vient spontanément comme mot c’est « Polygame ». Un imaginaire Noir.
Ça me désespère.