Si on m'avait dit que le ménage serait une drogue
Mon lit m'a fait boire un philtre d'amour - épisode 3
Normalement, voir mon appartement en bordel total est un des premiers signes de dépression chez moi.
Cette fois, je refuse.
Je réserve un créneau avec mon mec de ménage. Il m’appelle le lendemain pour me dire que son père est mort, qu’il est donc retourné dans son pays pour l’enterrement mais qu’il sait pas quand il reviendra et qu’il est désolé de pas savoir. Je lui réponds qu’il est fou de s’excuser, que c’est moi qui suis désolé et de s’occuper de lui et ses proches.
Ok. Je vais le faire seul ou me noyer.
Heureusement j’ai lu How to Keep House While Drowning : A Gentle Approach to Cleaning and Organizing.
Comment faire le ménage quand on se noie dans la dépression.
J’avais lu ça juste après ma dépression de l’été dernier. Je m’accroche à son protocole en 5 étapes.
Et… contre mes propres attentes, j’y arrive. J’ai nettoyé le salon.
J’ai réussi ma première mission.
Bonne nuit.
Le lendemain, je nettoie la cuisine.
Bon bah c’est pas mal pour la journée.
Bonne nuit.
Le surlendemain, je nettoie la chambre.
3 missions d’affilée réussie !
Bonne nuit.
Que faire aujourd’hui ? J’ai de plus en plus mal aux yeux. L’ophtalmo (en vrai l’orthoptiste mais je me dis que tu sauras pas ce que c’est un orthoptiste) m’a dit qu’il fallait que je diminue les écrans pour guérir.
Je fais tout l’inverse.
Alors je cherche une solution.
Mine de rien le temps c’est long quand on est dans son lit. Très long.
Puis d’un coup je sais : ma mission du jour ça va être d’aller dans cette librairie anglaise que j’ai toujours voulu essayer, dans le Marais.
Il paraît que y’a des jeux olympiques en même temps, d’ailleurs.
J’adore les librairies anglaises.
Chaque fois que je vais à Londres je prends une claque. Bon… entre temps les librairies parisiennes se sont grave mises à niveau donc le fossé est moins important. Mais quand même. Je ne sais pas comment font les anglais mais y’a une densité incroyable de livres qui me plaisent. Sur un rayon de 10 livres, je vais avoir envie d’en prendre 3 ou 4, minimum.
Peut-être parce que les anglo-saxons ont davantage la culture de la non-fiction que nous et que je ne lis que ça.
Alors je prends un vélib, j’y vais. Et… c’est exactement comme dans mes souvenirs de Londres. J’ai envie de tout prendre. Tout. Sauf que, contrairement à quand j’allais à Londres, maintenant j’ai les moyens de… tout prendre. Si je veux, tout.
Alors je prends tout. Ce que je veux.
J’aurais dû aller aux toilettes
Un autre jour, je pars pour une mission. Ça fait moins de 10 minutes que je suis parti de chez moi. J’ai envie de pisser. J’aurais dû y penser avant.
Et là c’est la panique : je ne trouve pas de toilettes publiques.
J’ai envie de m’étendre par terre et d’abandonner. Vraiment. Ce n’est pas une figure de style. C’est littéralement ce que me hurle mon cerveau.
Je me rappelle que j’ai une seule mission par jour et que tout ce qui consomme mon énergie doit être évité, donc je réunis toutes les forces qu’il me reste et je fais demi-tour pour retourner chez moi, aller faire pipi et reprendre mon souffle; me remettre de la peur d’avoir vraiment envisagé une seconde de dormir dehors par terre.
Puis, je repars en mission.
De toute façon, c’est pas comme si quelqu’un m’attendait à une heure précise.
Miracle : un appartement propre et pas de livraisons
J’ai réussi à intégrer la cuisine et le ménage dans mes missions. Si bien que, pour la première fois de ma vie, je suis en dépression mais je ne me nourris pas de Deliveroo et mon appartement n’est pas un dépotoir.
Je m’auto-félicite.
Crois pas que j’ai lu tous ces livres
C’était trop dur. C’était trop sérieux. Alors j’ai fait des missions : acheter des bande-dessinées au hasard dans une boutique de Comics.
D’un coup je comprends pourquoi les gens lisent de la fiction : c’est moins éprouvant.
Mais comme j’ai pas d’images dans ma tête, je galère toujours avec les descriptions. Avec une bande-dessinée je n’ai pas ce problème.
Je ne peux pas dire que je ne vais pas mal. Mais je peux dire que je m’accroche.
Je m’accroche de toutes mes forces et ça me prend toute mon énergie, juste pour ne pas que la dépression s’aggrave. J’ai besoin de toutes mes forces pour stagner. Un peu comme dans Titanic, quand ils sont dans les couloirs plein d’eau et qu’il leur faut une force titanesque juste pour rester immobile et non pas être entraînés par le courant.
Y’a un côté gratifiant : je suis fier de ne pas plonger. Mais y’a un côté désespérant : je fais tout ça, pour juste stagner ?