Si les autistes étaient la majorité...

Un article parodique

Nous vivons dans un monde d’allistes.

L’allisme c’est l’inverse de l’autisme.

Je n’ai pas inventé le mot, mais tu ne le connais probablement pas parce qu’on vit dans un monde d’allistes qui ont donc rarement besoin de le nommer. De la même manière que les blancs sont souvent surpris quand on les appelle “les blancs”.

Mais… ça donnerait quoi si les autistes étaient la majorité ?

J’ai essayé d’imaginer à quoi ressemblerait un article qui expliquerait les traits de l’allisme comme si on vivait dans une monde majoritairement autiste.

Le voici.

Trait 1 : Utiliser un langage poétique, la plupart du temps

C’est le trait le plus connu. Mais il est souvent décrit par des personnes qui ne sont pas allistes et donc le traduisent mal. Par exemple on retrouvera des items dans les tests officiels, tels que :

Vous avez du mal à vous en tenir à ce que vous dites, à tenir vos promesses.

Mais c’est faux ! Les personnes allistes savent tout aussi bien tenir des promesses que les autres. On a cette impression car elles ont un rapport particulier au langage.

Une personne alliste qui dit demain, on ira au cinéma n’aura pas l’impression de s’engager. Évidemment les conditions peuvent changer énormément si bien qu’on n’y va pas. Mais même si ce n’est pas le cas, même si elle sait déjà au moment où elle le dit que ce n’est pas sûr, elle ne ressentira aucunement le besoin de préciser le peut-être qui manque à la phrase.

Ce qu’elle veut dire c’est que demain, on ira peut-être, au cinéma.

Ça peut paraître totalement absurde mais après tout, c’est comme ça qu’on fait en poésie. Regarde, quand tu écoutes une chanson de Clara Luciani qui dit

Tu es mon phare dans la nuit

Tu comprends très bien qu’elle veut dire

Tu es comme mon phare dans la nuit.

Or, dans un contexte poétique, tu cherches les mots manquants pour les combler. C’est même ce qui donne la beauté à la poésie.

Et bah dis toi que pour une personne alliste, toute communication est une occasion d’utiliser une langue poétique.

Mais ça va plus loin : un·e alliste aura tendance à présumer que toi aussi tu parles en langage poétique, même si tu n’es pas en train de chanter ou de faire des rimes. Même dans un contexte où tu n’as aucune raison de t’amuser à faire de la poésie car ça ralentit la compréhension (même si c’est beau), l’alliste croira que oui.

Du coup, si tu lui dis d’un ton neutre :

je ne suis pas faché·e

Et bien elle fera comme toi si tu entendais cette phrase dans une chanson. Dans une chanson tu serais en droit de te demander est-ce que c’est pas une antiphrase ? Est-ce que ça voudrait pas plutôt dire que le poète est précisément fâché ?

Un peu comme quand Brassens chante :

Mourir pour des idées
L'idée est excellente

Tu comprends que c’est ironique. Il veut dire l’inverse.

Et bien, de la même manière, si tu ouvres le cadeau d’un·e alliste en disant simplement

Oh super, merci c’est vraiment une bonne idée ce [cadeau que tu viens de m’offrir].

Tout indique que tu as apprécié. Mais si tu le dis avec un ton trop neutre, l’alliste se dira que c’est de la poésie. Donc ça peut vouloir dire qu’en fait tu détestes le cadeau mais tu ne le dis pas.

Exactement comme dans la chanson tout le bonheur du monde de Sinsemillia.

Le refrain c’est on vous souhaite tout le bonheur du monde mais c’est pour décrire la catastrophe écologique, c’est une excuse des anciennes générations aux nouvelles. C’est de l’ironie.

Bon bah pareil.

Attention… les allistes ne parlent pas forcément en poésie. C’est juste qu’ils et elles le font énormément et en dehors de tout contexte poétique. C’est ça qui est surprenant plus que le langage en lui-même. Il faut donc le garder en tête quand tu communiques avec.

D’ailleurs c’est de là que vient le cliché de ces personnages allistes qui sont toujours très doués en poésie. Tu sais comme dans la série The Big Crunch Theory qui suit un groupe de poètes et où tu en as un, Edmond, qui a l’air particulièrement perché. On dirait qu’il est incapable de parler de manière rigoureuse, scientifique.

Mais c’est un cliché. En réalité les allistes sont capables de parler littéralement (certain·es sont mêmes scientifiques ou écrivent des dictionnaires).

C’est juste que ça leur paraît presque inutile, indigne. Le langage littéral est trop rustre, trop basique. Certes c’est plus simple à comprendre mais c’est aussi, à leurs yeux, beaucoup plus laid. Et on peut pas leur donner tort sur ce point.

Car, au final, quand on parle de manière poétique et que l’autre nous comprend (je devrais dire nous déchiffre), on vit un peu comme une expérience de télépathie, c’est très gratifiant.

Trait 2 : Dévisager les autres en permanence

C’est probablement un des traits les plus connus de l’allisme. Si bien qu’il a été caricaturé dans plein de séries et films (par exemple le film Sunman). Il y a une raison pour cela : c’est une des premières choses que l’on remarque car cela nous plonge dans un énorme inconfort. On peut avoir l’impression qu’un·e alliste cherche à être très intime avec nous. Sans raison.

Mais ici le problème c’est encore que le trait est décrit par des personnes non-allistes. En réalité ce n’est pas qu’elles dévisagent, c’est qu’elles cherchent à établir un contact visuel avec tes globes oculaires.

Pourquoi ? La recherche n’est pas encore catégorique sur la question : il semblerait que ça soit pour essayer de voire les émotions dans les yeux. Pour lire le non-verbal.

De la même manière, une personne alliste aura énormément de mal à ne pas accentuer le ton de sa voix. C’est parce qu’elle espère que les autres interprètent toutes ces variations. C’est de là que vient le cliché des allistes qui ont l’air d’être en permanence d’être dans un drame de Shakespeare. Tout semble exagéré.

Mais il ne faut pas juger. Beaucoup d’allistes ont passé leur vie à s’entendre dire qu’ils et elles sont dans le drama permanent. Alors que c’est juste une question de seuil.

Par conséquent, ce n’est pas parce qu’une personne alliste pleure à chaudes larmes qu’elle est complètement dévastée, elle peut être juste un peu triste.

L’erreur c’est de croire qu’elle exagère pour se rendre intéressante, alors que c’est juste sa façon d’exprimer cette tristesse légère. Elle n’a pas l’impression d’en faire des caisses.

Trait 3 : Suivre des règles non-écrites très complexes en société

Un des items du test le plus connu sur l’allisme c’est :

Vous avez tendance à attendre qu’on vous retourne une question pour y répondre. Si on ne vous rétorque pas “et toi” vous ne savez pas si c’est à votre tour.

C’est une version caricaturale, même si ça existe. Mais c’est plus subtil. En fait, les allistes vont interpréter l’absence de et toi comme un signe de désintérêt.

De même, on retrouve cet item dans les tests :

Quand vous rencontrez une personne que vous ne connaissez pas, vous lui partagez des infos qu’elle a déjà, sur des sujets futiles comme la météo ou le transport. Alors même que l’information ne peut plus vous servir. Vous avez, généralement du mal à tenir des discussions intéressantes avec les personnes que vous ne connaissez pas.

Là encore c’est caricatural et on voit que les tests sont écrits par des personnes non-allistes (note : il y a un mot pour dire “non-alliste”, c’est “autiste”).

Bien sûr qu’une personne alliste sait qu’en disant il fait chaud en ce moment elle ne va rien apprendre à une personne qui vit au même endroit qu’elle. Mais c’est une manière de monter progressivement le niveau d’intimité.

Le langage social des allistes peut sembler un peu absurde, voire enfantin, mais il a été largement étudié par les sciences sociales. Nous ne connaissons pas encore l’ensemble des règles, mais la plupart des règles connues sont résumées dans des ouvrages comme Petit traité des rituels sociaux à l’usage des personnes non-allistes.

Trait 4 : avoir du mal à dire la vérité si elle blesse

Tu as probablement déjà vécu la scène. Une personne alliste te demande ce que tu penses de sa nouvelle coupe de cheveux.

On imagine un cas où la coupe est vraiment particulièrement ratée.

Du coup tu lui réponds ce que tu penses de sa nouvelle coupe de cheveux (l’ancienne lui allait mieux, à l’évidence). Et d’un coup la personne est en colère. Normal.

Sauf qu’elle n’est pas en colère contre le coiffeur ! Elle est en colère contre toi.

WTF.

C’est extrêmement déroutant si tu n’as jamais interagi avec une personne alliste avant. Mais en fait il faut comprendre que c’est parce qu’elle ne t’a pas vraiment demandé ton avis.

Même si littéralement elle t’a demandé ton avis, mais on en revient au premier trait : elle faisait de la poésie. Si ça peut t’aider, essaie à chaque fois de rajouter un vers qui rime à chaque phrase d’une alliste. Si on te dit que penses-tu de ma coupe de cheveux tu peux imaginer une suite du type : et jure la vérité des grands dieux, avec une mélodie et un clin d’oeil. Et d’un coup tu vois que comme c’est poétique, ça peut être ironique.

Et même si elle t’avait vraiment demandé ton avis, elle attendrait probablement de toi que tu prennes des pincettes voire que tu mentes.

Ce qui est vraiment déroutant c’est que plus c’est évident que la coupe est ratée et moins tu devras le dire. Alors que si l’appréciation de la coupe est sujette à débat, elle le prendra beaucoup moins mal si tu lui dis.

La situation inverse peut se produire. Tu découvres qu’une personne alliste t’a menti en pensant préserver tes sentiments, mais du coup ça t’a fait perdre énormément de temps.

Il faut faire l’effort de ne pas lui en vouloir, de te rappeler que c’est pour elle une manière de te montrer son affection.

Trait 5 : une obsession pour la politesse

Les allistes ont tendance à relier politesse et respect. Voire même politesse et valeur d’une personne. Une expérience que toutes les personnes neurotypiques ont vécu en vivant avec des allistes c’est de regarder une émission du type faites entrer l’accusé.

Tu sais le moment où les voisin·es témoignent sur le criminel ?

Souvent une personne alliste va s’exclamer mais est-ce qu’il disait bonjour tous les jours ? Est-ce que c’était un bon voisin. Parce que sinon on aurait pu avoir des soupçons quand même !

Trait 6 : une approche superficielle de la plupart des sujets

Imagine la scène suivante : tu discutes avec une personne. À un moment vous butez sur une information manquante, cruciale pour continuer la discussion, mais qui est facile à trouver sur Google.

Par exemple : est-ce que les 5 étapes du deuil existent vraiment ? (la réponse c’est : non et elle est dans Wikipédia).

Que va-t-il se passer ? Et bien l’un ou l’une d’entre vous va sortir son téléphone et chercher dans Google.

Mais que se passe-t-il avec une personne alliste ? Elle peut aller chercher dans Google. Mais elle peut aussi se dire ok, sujet suivant. Et passer à autre chose.

Mais vraiment… du coq à l’âne changer de sujet comme si rien ne venait de se passer.

C’est parce que les personnes allistes ont une approche plus transversales des sujets. Elles ne creusent pas si elles n’ont pas un intérêt. Ça peut être l’argent, ou une passion particulière, mais il leur faut souvent un intérêt pour approfondir.

Il ne faut donc pas se scandaliser ou le voir comme un désintérêt pour le sujet.

Trait 7 : une hyperlucidité émotionnelle

Parfois, on présente ça comme une hypersensibilité. Mais comme d’habitude c’est une manière faussée et neurotypique de le présenter. En réalité les personnes allistes ne ressentent pas davantage d’émotions que les autres. En revanche elles sont souvent capables de mettre plus facilement les mots dessus, sans devoir attendre de digérer.

Comme tu l’imagines ça peut être un handicap, mais ça peut aussi être un énorme avantage.

Là encore ça explique pourquoi on imagine toujours une personne alliste comme faisant de la chanson ou de la littérature.

Plein d’autres traits

J’ai essayé de résumer les traits principaux mais ne le prend pas trop littéralement, comme argent comptant. En effet, l’allisme est multiforme et ne s’exprime pas toujours de la même manière. Chaque personne alliste est différente et aura des variétés de traits qui peuvent changer. Sans compter qu’une personne alliste diagnostiquée tardivement aura pris l’habitude de compenser et masquer les traits les plus saillants.

Inspiration

Sur une idée originale de ce post, qu’

Emma Schütz

m’a partagé cet été :