À force de recevoir des commentaires quand on parle de racisme, j’ai fini par repérer les mêmes phrases qui reviennent en boucle. On va essayer de les analyser une par une.
“Je couche avec une personne Noire donc je ne suis pas raciste”
C’est la pire.
Avec ses variantes : j’ai eu une amie Noire à l’école primaire (on m’a vraiment dit ça) / j’ai un enfant Noir.
Mais ma préférée c’est « j’ai un fils adoptif de coeur malien ».
Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’est un fils adoptif de coeur mais ça a eu le mérite de me faire rire de consternation.
D’où vient cette pensée ? Du fait qu’on confond racisme et hostilité. Mais le racisme peut être paternaliste. Ça n’a jamais été un souci. Le racisme est ancré dans la supériorité, pas dans l’hostilité.
Par exemple, j’aime beaucoup les chats. Ou plutôt j’aime beaucoup un chat que j’ai fréquenté tous les jours du confinement.
Pour autant ça ne m’empêche pas de me sentir supérieur à lui. Ce n’est pas parce qu’il m’inspire des sentiments positifs que je le considère comme mon égal.
C’est pareil ici : plein de personnes fréquentent des personnes noires tout en étant paternalistes.
Les Balkany appellent leur employé « grain de riz » parce qu’il est cambodgien. On voit bien qu’il n’y a aucune haine, c’est bien de l’affection. De l’affection paternaliste, oui. Mais de l’affection quand même.
De même, tomber amoureux n’empêche pas de se sentir supérieur. Sinon, le sexisme n’existerait pas ?
Les personnes qui disent « je ne peux pas être raciste car mon partenaire est Noir » se rendent-elles compte que c’est comme dire « je ne peux pas être sexiste car ma partenaire est une femme » ?
Ça n’a aucun sens.
Pire encore, répondre ça quand on pointe votre racisme c’est rajouter au problème. Ça veut dire que plutôt que de vous inquiéter pour votre partenaire (bah oui, si vous avez des biais racistes ça peut lui retomber dessus) votre premier réflexe c’est de le/la balancer comme un bouclier humain ?
Ça me rappelle l’élu du Rassemblement National qui avait brandi la photo de sa femme Noire en mode « chat perché », tout fier.
Puis il a expliqué quelques temps après que ça avait fortement blessé sa femme qu’il fasse ça.
Gérard Vollory a concédé qu'il s'agissait « peut-être d'une mauvaise réaction » : « Mais c'était mon premier débat et, si cela a pu choquer, je m'en excuse. » Son épouse aurait pris connaissance des réactions enflammées sur Twitter et Facebook : « Elle aurait préféré que je ne le fasse pas. » Agacé parce qu'il était « sous-entendu » qu'il était « raciste », Gérard Vollory dit avoir vu dans ce geste un moyen efficace de mettre instantanément fin au débat.
Sans blague.
Courage à sa femme.
Et vous qui faites ça en commentaires ? Vos partenaires savent que vous vous en servez comme des boucliers humains ? Les personnes noires qui sont vos amies savent que vous faites ça ?
“Dire que les Noirs ont le rythme dans la peau n’est pas raciste”
J’ai été étonné de voir autant ce commentaire. Je pensais que ça faisait consensus.
Quel est le problème ici ? Là encore c’est le fait de confondre racisme et hostilité. Effectivement ce n’est pas hostile. Mais c’est encore une assignation d’infériorité. Ce n’est pas parce que c’est positif que ça n’est pas un sous-ensemble d’un ensemble inférieur.
Par exemple, si je dis que mon chat a un super odorat, ça n’est pas parce que je le pense supérieur. Si je le pensais supérieur je dirais qu’il est plus intelligent, plus créatif, plus structuré que moi.
Je lui attribuerais les qualités que j’admire en moi-même, chez mes semblables.
Dire que les Noirs dansent bien, courent vite, c’est les renvoyer à des sphères loin du pouvoir. La question pour savoir si vous avez un sentiment de supériorité c’est plutôt « est-ce que tu penses que les Noirs ont un talent dans la peau pour diriger des entreprises, présider le pays, produire de la science ?».
Ah bah non… là comme par hasard on imagine plus facilement un allemand.
“Et le racisme anti roux, anti vieux ?”
Goffman (1963) définit le stigmate comme étant « un attribut qui jette un discrédit profond sur celui qui le porte ».
Effectivement l’âge peut être un stigmate. Le poids également. La couleur des cheveux roux ? Ça peut l’être. Pour le comprendre il faut comprendre qu’un stigmate est plus ou moins contextuel. En effet, un attribut va être un stigmate dans un contexte ou un autre. Etre Noir l’est dans énormément de contextes mais pas dans le rap. Alors qu’être Roux est rarement un stigmate. Certes. Mais ça le sera tout de même dans quelques contextes spécifiques comme une application de rencontre.
Ceci étant dit, tous les stigmates ne sont pas égaux. Un stigmate peut être :
- visible ou invisible
- contrôlable ou incontrôlable
- permanent/stable ou instable
Le pire c’est un stigmate visible, incontrôlable et permanent/stable. Être Noir, être une femme…
Alors que l’âge est un stigmate visible, incontrôlable mais pas stable. Toute personne vieille a été jeune un jour.
Il ne s’agit pas ici de hiérarchiser mais de différencier. Selon les caractéristiques du stigmate les réalités sont très différentes.
Par exemple, l’homosexualité dérive d’un stigmate incontrôlable, stable mais invisible. Est-ce que ça veut dire que l’homophobie c’est moins grave que le racisme ? Pas du tout. Mais ça veut dire que c’est différent et plus dur à comparer.
Autant on fait souvent le parallèle entre sexisme et racisme autant c’est plus dur ici. Il n’y a pas d’équivalent du coming out pour une femme ou pour une personne noire. Précisément parce que le stigmate est visible.
“Tout les peuples du monde sont racistes”
C’est faux. D’ailleurs, la France elle-même n’a pas toujours été raciste. Pourquoi ? Parce que le racisme est une idéologie relativement jeune. Elle est née en France et au Royaume-Uni au 18ème siècle (donc bien après le début des traites négrières). En même temps que les théories de Darwin.
Bah oui… pour que le racisme existe il faut savoir ce qu’est une race et donc le mécanisme d’hérédité et sélection naturelle.
Avant ça, les gens pouvaient être xénophobes mais pas racistes.
En réalité, les hommes et les femmes de l’Antiquité et du Moyen Âge n’accordaient pas une grande importance à la couleur de peau. Non pas qu’ils et elles furent aveugles : l’art grec, en particulier, utilisait beaucoup la dichotomie entre les corps à peau claire et ceux à peau foncée. Mais ils et elles n’en faisaient pas tout un plat.
Certains généraux romains, comme Lusius Quietus, étaient très certainement des Noirs. Au moins un des disciples de Jésus était Noir (Siméon Niger), sans que les apôtres n’y trouvent à redire. Saint Maurice (« Maurice le Maure »), un martyr chrétien du 3e siècle, venait de Haute-Égypte et, même s’il n’existe aucune source très crédible à son sujet, il a été représenté avec une peau foncée du 12e au 16e siècle. Dans plusieurs cathédrales allemandes, on trouve encore des statues de Saint Maurice, Noir
(…)
Jusqu’à la Renaissance, la couleur de peau des hommes et des femmes était rarement mentionnée dans les textes qui sont parvenus jusqu’à nous pour une raison très simple : elle leur était égale.
Surtout, les connaissances en biologie étaient bien trop minces pour qu’un·e savant·e puisse inventer le racisme tel que nous le connaissons. Le concept d’hérédité, sans même parler de génétique, n’existait pas. Les marins portugais pensaient par exemple que leur peau deviendrait noire s’ils dépassaient le cap Boujdour, au Sahara occidental.
Au 16e siècle, Pierre Boaistuau, un moine nantais, rapporta dans Le Théâtre du monde l’histoire d’une princesse à la peau claire, mariée à un homme à la peau claire, qui donna naissance à un enfant à la peau foncée. Son excuse : pendant le coït, elle avait fixé des yeux un tableau accroché au mur représentant un enfant Noir. On la crut.
La plupart des médecins étaient persuadés que l’apparence de l’enfant était déterminée par les pensées de sa mère ou par ce qu’elle mangeait pendant la grossesse.
Encore au 17e siècle, on se demandait de quelle couleur seraient les enfants d’un couple blanc établi en Inde. La couleur de peau était-elle déterminée par le climat ? par la géographie ? par celle des parents ? Les Européen·nes étaient perplexes.
Le racisme a été inventé. Par haine ? Non : par culpabilité. On a inventé le racisme car l’influence de l’église avait diminué et qu’on n’arrivait plus à justifier, après les Lumières, pourquoi on avait des esclaves Noirs dans les colonies européennes.
Ce qui est « marrant » c’est que la culpabilité est encore un des plus grands moteurs du racisme aujourd’hui.
Source : Voracisme
“Je ne me suis jamais documenté mais je sais ce qu’est le racisme”
Le racisme est un concept complexe, étudié de long en large par l’histoire, la sociologie et la psychologie. Pourtant, tout le monde croit bon de donner son avis. Je trouve ça fou.
Il y a des gens qui n’ont ni l’expérience pratique du racisme (car blancs), ni de connaissance théorique mais qui croient dur comme fer à leur avis.
En cela, ça ressemble beaucoup au mouvement antivax.
Comment on peut être si catégorique sans jamais avoir lu par exemple un livre de Martin Luther King (oui il a écrit des livres il a pas juste fait un discours dont tu connais qu’une seule phrase) ?
“J’ai lu le dictionnaire donc je sais ce qu’est le racisme”
Et donc on se retrouve avec des personnes qui sont blanches et n’ont jamais connu le racisme en pratique. Elles pourraient aller se former, s’intéresser au sujet. Mais non. Y’a le dictionnaire !
Sauf que le dictionnaire ça ne sert pas à s’éduquer sur un sujet. Si jamais je veux comprendre la différence entre république et démocratie, le dictionnaire ne va pas m’aider. J’aurais besoin d’une encyclopédie.
C’est d’ailleurs à ça que servent les encyclopédies. Le dictionnaire c’est pour découvrir un mot et son orthographe. L’encyclopédie pour apprendre des choses.
Si je veux apprendre les règles du football je ne vais pas dans le dictionnaire, je vais dans Wikipédia.
Imagine que demain quelqu’un te dise « non mais Zidane c’est le football, Dugarry c’est juste un pousseur de ballon au fond du filet ». Est-ce que tu irais dans le dictionnaire pour dire :
« Selon le Larousse, le football c’est le sport dans lequel deux équipes de onze joueurs chacune cherchent à envoyer dans le but adverse un ballon sphérique, avec les pieds, la tête ou toute autre partie du corps (excepté la main ou le bras) donc je ne vois pas ce que tu veux dire : Dugarry cherchait à envoyer le ballon dans les buts sans utiliser ses mains ou ses bras »
Est-ce que si quelqu’un te dit que la règle du but en or dénature le football tu dirais :
Selon le Larousse, le football c’est le sport dans lequel deux équipes de onze joueurs chacune cherchent à envoyer dans le but adverse un ballon sphérique, avec les pieds, la tête ou toute autre partie du corps (excepté la main ou le bras). Donc cette règle ne change rien.
D’ailleurs… tu peux très bien faire un sport dans lequel deux équipe de onze joueurs cherchent à marquer sans leurs mains sans que ça soit du football !
Si je joue en quatre période de 20 minutes, que chaque but de loin vaut 3 points (contre 1 sinon) et que tous les coups sont permis (donc pas de cartons rouges), ce n’est plus du football !
Le dictionnaire me sert juste à apprendre le mot, pas à saisir le concept.
Alors que Wikipédia va commencer son explication du football de la même manière mais va ensuite décrire les règles, l’histoire, les équipements, etc.
Là c’est pareil. La définition Larousse te sert si tu es un enfant de 8 ans qui n’a jamais entendu le mot. Ou alors si tu n’es pas francophone et que tu découvres le mot. Ou alors dans les cas de polysémie pour lever un malentendu avec une autre personne. Par exemple certains mots ont plusieurs sens différent.
Mais la définition du dictionnaire est le point de départ le plus superficiel. Et, si l’encyclopédie est un point de départ plus profond, ça reste limité également. De la même manière que lire Wikipédia va pas suffire à te faire comprendre le fonctionnement du vaccin contre le covid. Pour ça il va te falloir monter encore d’un cran et suivre un cours ou lire une étude scientifique.
“Le problème c’est l’antiracisme/le wokisme”
Alors là… je ne sais pas quoi répondre. Les gens qui expliquent que ce sont les personnes qui s’éduquent sur le racisme qui exacerbent le problème.
Technique de l’autruche. Si on en parle pas ça n’existe pas.
C’est en réalité une bonne technique pour maintenir le statu quo.
Comme on dit « si dans une bagarre entre l’éléphant et la souris vous êtes neutre alors vous avez choisi le camp de l’éléphant ».
D’ailleurs Trump l’a bien compris. Quand l’extrême-droite a assassiné dans les rues de Charlottesville il a dit « le problème vient des deux côtés ». Cette manière de renvoyer dos-à-dos est une manière d’avoir l’air neutre tout en protégeant le camp dominant.
Mis dans mes favoris, ça va resservir!
Tres Clair ! merci