Quit : l'art d'abandonner
Deuxième livre que j’ai lu cet été :
Quit - La stratégie des leaders : l'art de renoncer au bon moment
Ça raconte à quel point on se trompe. On glorifie la persévérance alors que ce qui fait le succès c’est l’abandon. Les gens qui réussissent sont les gens qui abandonnent les bonnes choses. Car l’abandon est ce qui permet de vivre un autre jour (littéralement ou métaphoriquement) et d’avoir des opportunités.
Nous savons que lorsque l’enjeu est élevé, il peut être ardu de se retirer. Mais d’autres découvertes fascinantes dans ce domaine démontrent que le biais d’engagement peut également agir alors que l’enjeu est faible. Une étude, publiée un an avant celle de Barry Staw, portait sur le simple fait d’attendre.
Les psychologues Jeffrey Rubin et Joel Brockner avaient mené une expérience amusante pour répondre à ces deux questions : combien de temps les gens sont-ils capables d’attendre quelque chose qui n’arrive jamais et quel prix sont-ils prêts à payer pour continuer d’attendre ?
Il s’avère que les gens peuvent patienter un temps étonnamment long, et acceptent de payer une somme qui excède manifestement la valeur de ce qu’ils attendent. Les chercheurs avaient proposé à des étudiants d’être payés jusqu’à 8 dollars (45 dollars actuels) s’ils réussissaient à compléter une grille de mots croisés lors d’un test de vitesse.
Pour obtenir la somme totale, ils devaient terminer la grille en moins de trois minutes, la somme gagnée diminuant à chaque minute additionnelle. Les étudiants pouvaient abandonner à tout moment, même s’ils n’avaient trouvé aucun mot et recevoir alors 2,40 dollars pour leur participation, mais ils devaient le faire avant que les trois minutes soient écoulées.
Plusieurs définitions étant très difficiles, ils avaient également le droit de demander un dictionnaire de mots croisés (l’étude se déroulait à une époque où le public n’avait pas accès à Internet), mais un seul était disponible et on leur disait que d’autres participants travaillaient également à compléter cette grille dans d’autres salles.
Ils devraient donc interrompre leur tâche en attendant que le dictionnaire soit enfin disponible, mais l’horloge continuerait de tourner. Ce que ne savaient pas les participants à l’étude, c’est qu’il n’y avait pas de dictionnaire, donc que l’attente serait infinie. Un peu plus de la moitié des sujets attendirent le dictionnaire qui n’existait pas au-delà du moment où la récompense attribuée pour l’achèvement de la grille devenait inférieure à 2,40 dollars.
Pour reprendre les mots des auteurs, ils attendirent « au-delà de ce “point de non-retour”, enlisés dans un conflit auquel il n’y avait plus d’échappatoire satisfaisante ». L’escalade d’engagement est coûteuse. Si les participants avaient déclaré forfait plus tôt, ils auraient gagné davantage. Cela donne l’impression que l’idée même de l’abandon nous ralentit, mais Rubin et Brockner ont montré que la faute est souvent imputable à la persévérance. Les travaux menés sur l’escalade d’engagement depuis quarante-cinq ans – qu’il s’agisse des différentes expériences menées en laboratoire ou sur le terrain, comme des explications éclairant un comportement couramment observé – indiquent que ce type d’enlisement au service d’une cause perdue se produit dans toutes sortes de contextes et de circonstances. Nous nous accrochons à nos décisions de bien des façons.
Si on nous offre l’opportunité de nous retirer et si on nous présente des informations pertinentes, nous n’en persisterons pas moins trop longtemps, en rejetant la possibilité de laisser tomber et en défendant notre décision première au point de consacrer encore plus de ressources à essayer de sauver les meubles.
Cela reste vrai, qu’il s’agisse de patienter dans une file d’attente qui n’avance pas, de mener une guerre qui ne peut être gagnée, de s’obstiner trop longtemps dans une relation ou un travail insatisfaisant, ou de continuer à dépenser de l’argent dans une voiture qui vaut bien moins que le coût des réparations. C’est ainsi qu’une maison peut devenir un gouffre financier.
C’est ainsi que nous ne cesserons pas de regarder un mauvais film, parce que nous avons commencé à le visionner. C’est ainsi que des entreprises continuent de développer et de défendre des produits qui sont manifestement des échecs, ou persévèrent dans les mêmes stratégies longtemps après que les conditions ont changé. George Ball avait raison.
Ce type de comportement est la règle. Persévérer en dépit des risques, comme l’ont fait Ali ou Rob Hall, n’est pas exceptionnel. Renoncer à ce qu’on a entrepris avant l’échec assuré l’est. Des individus comme Stuart Hutchison, Stewart Butterfield et Alex Honnold sont des exceptions.
Note : Stuart Hutchison est un alpiniste qui essayait de monter le mont Everest. Or, il y a ce qu’on appelle “un temps de rotation”. C’est une heure à laquelle, si tu n’es pas en haut, il faut abandonner définitivement.
Parce que ça devient trop dangereux et la redescente risque d’être mortelle. Dans son cas c’était 13h00. Ce temps est calculé après que plein de gens soient morts. Il est fiable. Mais il est aussi frustrant car si tu reviens en arrière tu abandonnes toute l’ascension, tu ne peux pas revenir le lendemain. Il faut attendre un an.
Et donc Hutchison a choisi de respecter le temps et d’abandonner. Il n’a pas été jusqu’au sommet alors qu’il n’était plus qu’à 3 heures.
L’histoire d’Hutchison est banale. Personne n’en fera un film… personne n’en fera une grande histoire avec une morale.
Et pourtant il y a bien un film où Hutchison figure. Parce qu’il se trouve qu’une autre personne a fait le choix inverse.
Il s’appelait Doug Hansen. L’année d’avant il avait du abandonner. Et donc cette fois il a refusé.
Et bien il est mort. Avec le guide qui a refusé de l’abandonner. Leur histoire a fait l’objet d’un livre et d’un film :
Mais bien sûr le héros, même tragique c’est celui qui a persévéré. Alors qu’on devrait plutôt célébrer celui qui a abandonné et qui a convaincu deux autres personnes d’abandonner. C’est lui le vrai héros.