Quand la police défend un pédocriminel
Pour rédiger mon article, j’ai lu Police : la loi de l'omerta d’Agnès Naudin et Fabien Bilheran. C’est un livre qui décrit bien à quel point le management de la Police est toxique.
Le mot est faible. Je n’en trouve pas de mieux.
En effet, les histoires sont plus glaçantes les unes que les autres. En voilà une.
Christophe : le policier trop honnête
Tout au long de sa carrière, Christophe se fait muter parce qu’il est gênant. Ce n’est pas anecdotique : c’est le fonctionnement même du management de la Police. La hiérarchie protège ses éléments les plus violents.
Quand il travaille à Paris, il refuse de saisir injustement la voiture d’un conducteur qui avait oublié son contrôle technique. Le conducteur lui semble apeuré et de bonne foi, il met donc simplement une amende pour le phare défectueux et lui demande d’aller faire le contrôle technique rapidement.
Son chef veut immobiliser la voiture. Il refuse. Ce dernier devient violent. Les deux ont une altercation physique.
Ils se retrouvent dans le bureau du commandant (le chef des chefs) qui décide de le virer du service. Pendant un temps il se retrouve dans un endroit où il s’entend bien avec une partie des collègues mais c’est trop loin de chez lui.
Alors il va suivre la formation qui permet de rejoindre la désormais fameuse Police de proximité. Sauf que, détail technique, ça le fait réintégrer le service précédent.
Les chefs sont furieux. Alors ils lui font des crasses. Par exemple, pendant un weekend où il est de repos on change le nom du policier de garde sur le tableau. On met le sien.
Il est prévenu et il sort de son weekend pour venir prendre le tour de garde. Sauf que… forcément il arrive en retard. Il écope donc d’un avertissement…
Rebondir dans un autre service
Sarkozy arrive. Il abolit la police de proximité. Christophe change donc encore de service. Ça se passe encore mal : Christophe n’est pas rentable car il ne fait pas de chiffre.
C’est ce que dit son manager pendant la notation. On est aux débuts de la politique du chiffre instaurée par Sarkozy. Or, si un service ne fait pas de chiffres, les chefs n’ont pas de prime.
Christophe décide de faire d’une pierre deux coup et de quitter Paris, pour Marseille.
Enfin un chef réglo
Il tombe sur le genre de chef rare. Qui lui fait confiance malgré les mauvaises notes de son dossier. Ça se passe super bien, tout le monde l’apprécie, ses notes remontent subitement.
Jusqu’à ce que…
L’affaire de la BAC Nord éclate. Car oui, avant d’être un film qui romance l’histoire c’est avant tout un scandale où des policiers ont récupéré une partie de l’argent de la drogue qu’il saisissait.
J’allais dire “comme dans les films”. Manifestement le réalisateur s’est dit pareil.
La hiérarchie ne rigole pas avec ça. Je t’expliquerai dans un article pourquoi il y a une sévérité dès qu’on touche aux affaires de policiers corrompus, mais pas quand on touche aux affaires de policiers racistes, violent ou même criminels.
Manuel Valls dissout cette équipe.
Par jeu de cascade, le service de Christophe change de manager.
Agressé par un collègue
Quelques années plus tard, Christophe est désormais chef de ce service. Pendant un repas détendu, le chef d’une autre équipe le tire en arrière et lui place un couteau sous la gorge.
Il crie aux policiers de l’équipe de Christophe : je peux faire ce que je veux à votre chef, personne ne réagit ?
Tout le monde est tétanisé.
Le lendemain, rebelote.
Ça fait deux fois que j’ai l’occasion de tuer votre chef et toujours aucune réaction (…). C’est quoi cette cohésion ? Je vous en débarrasse alors ?
Son agresseur rigole et demande à haute voix ce qu’il va se passer la troisième fois.
Christophe est en état de choc post-traumatique. Son médecin l’arrête.
Le syndicat défend l’agresseur (qui est adhérent du syndicat) en disant que c’est une blague et que ce ne serait pas raisonnable d’entrer dans une procédure administrative parce que Christophe ne digère pas une blague de mauvais goût.
Christophe y va quand même.
Un mois plus tard, tout le service est contre lui.
C’est donc Christophe qui essaie de se faire muter. Mais on lui met des bâtons dans les roues.
La procédure
Christophe est dans un état psychologique déplorable. Toujours en état de stress post-traumatique après quasiment un an. Il passe devant une commission policière. Malgré les preuves accablantes cette dernière statue sur un circulez, rien à voir.
Il fait appel. Pareil.
Il va alors devant le tribunal administratif. Quasiment 4 ans plus tard, ce dernier rend un verdict en sa faveur.
Mais Christophe n’a toujours pas réussi à avoir sa mutation.
La hiérarchie fait tout pour l’empêcher : pour le punir. Alors il décide de rester à Marseille mais de changer de service.
Il fait la formation pour rejoindre la brigade des mineurs (comme dans le film Polisse).
Le pire
Christophe rejoint cette brigade des mineurs. Parmi ses collègues directs il y a Jérémy H. qui est “président d’une association caritative aidant les enfants des rues à se scolariser et à sortir de la prostitution aux Philippines”.
Mais on le prévient déjà : Jérémy H est étrange.
Quelques mois plus tard, le commandant lui montre les captures d’écran d’une conversation entre Jérémy H est un jeune de 15 ans victime de prostitution.
Il n’y a pas de doute : Jérémy H a fait de la tentative de corruption de mineurs.
Christophe veut faire ouvrir une enquête pénale. Le commandant refuse.
Christophe insiste, propose de déclencher une perquisition chez Jérémy H.
Le commandant refuse.
Jérémy H est censé ne rien savoir. Mais Christophe l’entend dire à haute voix qu’il va effacer ses données.
Christophe ne se laisse pas faire : il va voir tous les chefs. Tous lui disent d’arrêter.
Devant son insistance on finit par lui dire que l’enquête est ouverte.
Mais c’est un mensonge
Après plusieurs mois, Christophe comprend qu’il n’y a aucune enquête. Il décide d’utiliser une procédure qui oblige à mettre à l’écrit, dans un PV, que Jérémy H est soupçonné de corruption pour mineur.
Il remet le PV en mains propres à la hiérarchie. Sa manager lui demande de changer le PV car ça fait pédophile.
Christophe refuse. Le PV est enregistré
Là encore, quelqu’un va mettre Jérémy H au courant. Le lendemain, ce dernier arrive au bureau furieux et insulte Christophe de tous les noms (en son absence).
Ce n’est pas normal : Jérémy H n’est pas censé avoir accès au PV. Il a forcément un complice au sein de la police.
Des faux en écriture
Encore quelques temps plus tard, la hiérarchie fait retranscrire les fameux messages incriminants dans un PV. Elle l’antidate.
C’est-à-dire qu’elle le date de 8 mois plus tôt, pour faire croire qu’elle a agi immédiatement. Elle écrit également une mise en garde contre Jérémy H, là encore antidatée.
Ça permet de se couvrir. Car Christophe ne lâche rien et continue son travail d’enquête.
Ce dernier passe par un autre service pour continuer. Il enquête tout seul.
Jérémy H s’énerve
Un mois plus tard, Jérémy H prend à partie Christophe dans une salle avec deux autres personnes. Jérémy H. se victimise et dit qu’à cause de Christophe il va devoir partir car on le traite de pédophile.
Ça fait six mois que l’affaire dure. Christophe ne parvient pas à se contenir. Il “se lève brutalement et renverse le bureau sur Jérémy H. Puis il disparaît afin de reprendre ses esprits.”
On change alors Jérémy H de groupe.
Mais du coup, cette fois ci, tout le monde est au courant.
Et… la majorité des policiers… défendent Jérémy H.
Une minorité soutient Christophe.
L’IGPN est saisie
Christophe ne lâche pas, même s’il a la majorité contre lui. Si bien que l’IGPN (la police des polices) finie par arriver.
Ça sonne comme une bonne nouvelle mais pas totalement : on devrait saisir la justice dans un cas aussi grave.
En réaction… la hiérarchie convoque Christophe. C’est lui qui reçoit un avertissement, pour avoir renversé le bureau sur Jérémy H.
Ce dernier n’est toujours pas inquiété.
Christophe ne se laisse pas faire : il prévient qu’à partir de maintenant “il n’écoutera plus sa hiérarchie et que la prochaine fois, il avisera lui-même le parquet”.
L’IGPN met Jérémy H en garde à vue
On est encore deux mois plus tard, et l’IGPN procède à une garde à vue. On est 9 mois après le début de l’affaire.
Forcément, Jérémy H est confiant : on ne retrouvera rien dans ses ordinateurs et téléphones.
Il a eu le temps de supprimer.
Heureusement, Jérémy H n’est pas un fin informaticien : il ne suffit pas de supprimer des fichiers pour qu’ils disparaissent totalement.
L’IGPN retrouve donc des image pédopornographiques dans son ordinateur privé.
Jérémy H accuse Christophe : pour lui c’est un coup monté. Le culot.
Ça ne tient pas.
Jérémy H est incarcéré.
Christophe, la balance
Quelques jours après, Christophe arrive au milieu d’une discussion où une policière dit voilà, c’est lui le délateur.
Il répond du tac au tac je préfère : c’est le collègue qui a permis de faire incarcérer un pédophile infiltré à la brigade des mineurs.
Christophe a davantage de soutien qu’avant l’incarcération, mais il reste des policiers qui lui disent on ne peut pas te féliciter d’avoir mis un collègue en prison (…) tu n’as pas sauvé de vie non plus.
Christophe finit par craquer. Il tombe dans une sévère dépression.
Pour la énième fois… c’est lui qui finit par demander sa mutation.
Ce n’est pas anecdotique
Cette histoire, bien que glaçante, n’est pas un fait divers. Au sens où tous les mécanismes en jeu sont les mécanismes décrits par tous les policiers que j’ai lus.
Ici ils se mettent en jeu pour protéger un policier pédocriminel. Mais ce sont toujours les mêmes, à chaque fois.
La hiérarchie déploie tout son arsenal pour protéger les mauvais policiers. Et ce sont les bons qui se font harceler, mal noter, etc.
Pourquoi ?
Parce que c’est une culture de l’omerta. La personne qui parle est la personne qui est en tort. Peu importe ce qu’elle dénonce. Tant qu’on ne comprend pas ça, on ne comprend pas comment ces histoires sont possibles.
Si tu veux une analyse plus en recul de ces mécaniques, je l’ai faite dans un article que tu peux retrouver ici : https://medium.com/dépenser-repenser/pourquoi-la-police-française-est-elle-si-malade-4ebe62feb46d