Pourquoi déconstruire son racisme offusque les gens ?
Si tu n’as pas lu l’email d’hier, je te conseille de commencer par là pour bien comprendre ce qui va suivre. Mais je vais quand même résumer rapidement avant d’entrer dans le vif du sujet.
L’une d’entre vous a écrit un post LinkedIn pour essayer de déconstruire le racisme ordinaire en elle. En disant notamment :
“Je riais aux blagues racistes de mes amis puisque quand c’est de l’humour entre gens de gauche ça va, c’est juste de l’humour.
Je trouvais mon pote Fred, originaire d’Haïti, un peu susceptible quand il s’énervait contre les gens qui lui demandaient d’où il venait.
D’ailleurs toute la bande de copains copines appellait Fred le “quota de Noir” au lycée. Et ça le faisait marrer aussi.
J’ai honte en écrivant ça. J’ai honte parce que c’est vrai.”
Suite à ça, elle a reçu une traînée de commentaires abjects comme :
Faut arrêter l'autoflagellation comme ça. On en aura fini avec le rascisme quand on arrivera à plaisanter sur la couleur de notre peau sans qu'il y ait forcément de la méchanceté derrière. A raisonner comme ça on ne pourra bientôt plus rire de rien...
J’ai volontairement mis le plus soft en pensant aux personnes racisées qui n’ont pas envie de se prendre la violence de bon matin.
Je suis en train de préparer un email plus structuré du type : 7 propos de “bon sens” mais totalement faux sur le racisme pour essayer de prendre de la hauteur sur tout ça.
Mais un abonné m’a envoyé un retour et j’avais vraiment envie de le partager.
Je ne mets pas de guillemets pour que ça soit davantage lisible mais il s’agit bien d’une grande citation :
J’essaie de comprendre…
Bonjour Nico,
En fait, j'ai lu ton mail et par la suite les commentaires, et je me suis dit "Mon Dieu, c'est incroyable".
J'essaie de comprendre et je suis convaincu qu'il y a forcément une explication psychologique pour tout ça, au-delà de l'effet Dunning-Krüger.
Note : L’effet Dunning-Kruger, aussi appelé effet de surconfiance, est un biais cognitif par lequel les moins qualifiés dans un domaine pourraient surestimer leur compétence.
Ça ne peut pas se limiter à ça.
Je me dis que c'est un sujet qui met tellement les gens mal à l'aise que même lorsqu'on ne les accuse pas de racisme, ils n'ont même pas envie d'entendre une personne qui se déclare son racisme.
Donc là, la dame - je ne me rappelle plus du tout de son nom, celle qui a assisté à ta formation - dit qu'elle est raciste et les gens répondent "non, tu n'es pas raciste".
Ce qui est fou c’est qu’elle n'a pas demandé "suis-je raciste ?" Si elle a envie de le dire et qu'elle le pense, qui sommes-nous pour dire le contraire ? Surtout sur une notion comme celle-ci, qui est de surcroît bien argumentée. Ce n'est pas comme si elle disait qu'elle est rousse alors qu'elle est en réalité blonde ou brune.
Je pense aussi que tout le monde croit qu’il doit donner son point de vue là-dessus, car tout le monde a l'impression d'avoir la vérité et de mener le mode de vie adéquat.
J'ai l'impression que ça touche, in fine, au mode de vie des gens et que c'est un peu comme :
"Ah oui, on ne peut plus rire de tout",
"Ah oui, on se prend trop la tête",
"Ah oui, on ne peut plus rien penser, on ne peut plus rien dire",
"Ah oui, je ne suis plus libre".
En fait, tu as l'impression que ce poste et la réflexion d'une personne portent atteinte à leur façon de vivre leur vie ou de penser.
Visiblement, la “bien-pensance” est devenue mal vue. Donc quoi ? Il est devenu mal vu de “bien penser” et d'essayer d'être “bien-pensant” ? C'est apparemment plus sympa d'être méchant, et c'est parce que les gens sont, je suppose, assez mal à l'aise avec leur façon de penser.
(…)
Le pire c'est que ce sont des gens qui ne comprennent rien au sujet. Enfin.. c'est même pas qu'ils ne comprennent rien, c'est plutôt comme si on leur parlait d'un lapin bleu avec quatre dents.
Ils n'ont jamais vu, ils ne comprennent pas et potentiellement, ils n'ont même pas d'amis qui l'ont vu, ou alors ils ont des amis qui l'ont vu mais qui n'en ont jamais parlé.
Du coup, pour eux, c'est une notion complètement étrangère. C'est comme si on leur faisait parler d'un théorème mathématique ou physique très compliqué, alors qu'en fait, ils n'ont aucune expérience sur le sujet, ils n'y comprennent rien.
Note : ça me rappelle les antivaxx, dis donc.
Ils n'ont pas expérimenté et du coup, ils disent plein de choses qui n'ont rien à voir :
Des généralités
“Le racisme anti-blanc”
Mais ils ne comprennent pas que 99% de leurs commentaires sont des variantes de "oui, mais en fait, on ne peut pas prendre un groupe d'individus et les mettre dans le même panier, c’est dommage !"
C'est parce que quand tu es blanc en France, ça ne t'arrive jamais, le racisme. Ça ne t’arrive jamais d’avoir des micro-agressions de manière répétée. Toute ta vie.
Ça ne t'arrive jamais d’avoir tout ton être résumé par la société. Moi quand j’ai une compétence, que je pense quelque chose, c’est parce que je suis Paul, parce que je suis moi. C’est jamais parce que je suis blanc.
Alors qu’ici par exemple, c'est l'inverse, c'est toujours : "Si vous aimez telle musique, c'est parce que vous êtes noir".
Bref, je n'ai même pas tant envie que ça d'aller encore plus loin parce que bon, on se comprend, mais j'admire ton courage.
Quelques commentaires
Alors déjà un grand merci pour ce retour à la fois détaillé et percutant de simplicité.
Je n’ai pas grand chose à rajouter.
Si ce n’est que y’a bel et bien une confusion entre participer au racisme et être méchant. Je pense que c’est effectivement un des grands soucis.
D’ailleurs, je vais le mettre à la décharge des gens en question. Après tout… c’est comme ça que le mot est utilisé dans la plupart des médias.
En vérité, il manque un mot dans l’antiracisme. Nous n’avons pas de mot connu pour différencier le racisme en tant que système, champ de force et le racisme en tant que volonté individuelle.
Je ne saurais pas dire combien de gens sont “racistes” au deuxième sens. Celui qui est le plus courant. En revanche je sais dire que toutes les personnes sont “racistes” au premier sens.
Il manque un mot qui existe dans le féminisme. Dans le féminisme on différencie : sexisme et patriarcat.
Le patriarcat c’est le champ de force.
Alors… j’ai découvert en lisant Martin Luther King puis des autrices contemporaines qu’il existait bel et bien un équivalent au patriarcat. Ça s’appelle… la suprématie blanche.
Mais bon… là c’est carrément un terme qui renvoie à l’imaginaire du Ku Klux Klan. Si on l’utilise on déclenche des cris.
Certaines personnes tentent d’utiliser blanciarcat. Mais pour l’instant ça ne prend pas.
En tout cas, ça pose problème.
Et tant qu’on aura pas réglé ce problème on va avoir des gens qui se braquent.