Lorsque le missionnaire jésuite du XVIIe siècle, Paul Le Jeune, tenta de raisonner un Indien montagnais sur les dangers de l’infidélité chronique dont il avait été témoin, il reçut en réponse une véritable leçon sur la parentalité.
« Je lui dis qu’il n’était pas honorable pour une femme d’aimer quelqu’un d’autre que son mari, et que ce mal étant parmi eux, il n’était pas sûr lui-même que son fils, qui était là présent, soit son fils.
Il répondit : “Tu n’as pas de bon sens. Vous, les Français, vous n’aimez que vos propres enfants ; mais nous, nous aimons tous les enfants de notre tribu.”
Tout est dit. Enfin non.. pas tout.
À la limite si c’était que ça.
Si c’était juste qu’on s’imposait une monogamie qui mène à un égoïsme sur les enfants... mais en fait non... on rajoute une haute probabilité de rompre le foyer en cas d’infidélité.
La plupart des contrats monogames n’intègrent pas de gestion d’une relation sexuelle extra-conjugale. C’est une infidélité. C’est un drame qui met en cause le couple.
Sauf que, si on a un enfant, ça se répercute sur lui. C’est fou parce que, la plupart des psys, considèrent encore que la chose normale à faire… c’est ça.
Pire encore, y’a encore beaucoup de gens qui vont pousser les deux partenaires à rompre quand y’a infidélité. Si bien qu’on a l’impression que c’est automatique, alors que dans les faits la majorité des couples continuent après la découverte d’une infidélité.
Attention. Je ne veux absolument pas culpabiliser les parents seul·es. Il vaut mieux pour un·e enfant avoir deux parents séparé·es en paix que deux parents ensemble en guerre.
On doit continuer à se séparer. Dans l’état actuel c’est souvent la seule porte de sortie.
Le problème n’est pas individuel, le problème est sociétal.
Notre modèle nous a enlevé l’option où l’enfant a PLEIN de parents et pas seulement deux. Et, dans ce cas, quand deux parents se séparent, ça n’a pas le même impact.
Accessoirement, dans ce type de société les parents ne se séparent jamais parce que l’autre a eu une relation sexuelle avec une autre personne. Ça semblerait absurde.
D’ailleurs même si c’était le cas... dans une société non-monogame on ne peut JAMAIS échapper à son devoir de s’occuper des enfants.
Y’a pas cette option où je suis un parent (quasiment toujours un homme cisgenre) et j’abandonne ma responsabilité (ou 80%) en partant.
Notons que y’a pas non plus l’option où je suis un parent (encore une fois un homme cisgenre) et j’abandonne ma responsabilité de gestion de l’enfant tout en restant. Je connais plein de papas qui s’occupent de l’enfant à peine 20% si on ramène le poids de la charge mentale. Et je ne vais pas faire le malin : je pense que j’aurais été ce genre de père si j’avais eu un enfant à 25 ans. C’est d’ailleurs de contempler ce vide qui m’a horrifié et m’a fait décider de ne pas en avoir.
Alloparentalité et degrés de parentalité
Dans les société non-monogame la parentalité est diffuse. Mais pas uniquement pour les pères.
Tout le monde se sent responsable de tous les enfants.
Se souvenant de son enfance chez les Dagara, au Burkina Faso, l’auteur et psychologue Malidoma Patrice Somé se rappelle combien les enfants se promenaient librement dans les maisons du village. Il explique que cela « donne à l’enfant un sentiment d’appartenance très large » et que « tout le monde participe à son éducation ».
Outre les nombreux avantages évidents pour les parents, Somé pointe des avantages psychologiques distincts pour les enfants : « Il est très rare qu’un enfant se sente isolé ou développe des problèmes psychologiques ; chacun a pleinement le sentiment d’être intégré. »
Bien que le récit de Somé puisse ressembler à un souvenir idéalisé, ce qu’il décrit est encore la vie de village traditionnelle dans la plupart des régions rurales d’Afrique, où les enfants sont libres d’entrer et de sortir des maisons des adultes avec lesquels ils n’ont pas de lien de parenté.
Dans le monde entier, on trouve des femmes et des hommes prêt·es à câliner des bébés avec lesquels ils n’ont aucun lien de parenté – un empressement commun à d’autres primates sociaux, dont aucun, soit dit en passant, n’est monogame.
Le concept même de dire : ce sont les deux parents biologiques de l’enfant qui sont responsables de son éducation est totalement une construction occidentale.
On attend de tous les hommes d’un clan un comportement paternel envers tous les jeunes du clan», explique l’anthropologue Janet Chernela. Sa collègue Vanessa Lea note que, d’après son expérience chez les Mebêngôkre, « la répartition des responsabilités est un construit social, et non un fait objectif ». Chez les Tukano, « les hommes du clan s’occupent collectivement des enfants des autres.
Encore une fois : tous les adultes se voient spontanément comme responsables de tous les enfants.
Ce dernier point est illustré par le fait que, lorsque nous arrivâmes au village, elle passa du temps avec un groupe de bambins, s’allongeant dans l’herbe et jouant avec eux exactement comme s’ils étaient les siens. Ils l’acceptèrent instantanément, sans poser de questions, et un passant n’aurait jamais pu deviner qu’il s’agissait d’autre chose qu’une famille naturelle jouant ensemble.
Dans notre société, les non-parents comme moi abandonnent les parents génétiques à leur sort.
On signe le pacte de la parentalité à deux, ou on le signe pas. Y’a pas de milieu.
Je peux te donner un enfant si tu veux
De notre point de vue occidental voici un truc choquant : les gens se donnaient des enfants.
Cette approche diffuse de la parentalité ne se limite pas aux villages d’Afrique ou d’Amazonie. Desmond Morris se souvient d’un après-midi passé avec une camionneuse en Polynésie.
Elle lui raconta qu’elle avait eu neuf enfants, mais qu’elle en avait donné deux à une amie stérile. Lorsque Morris lui demanda ce que les enfants en pensaient, elle répondit que cela ne les dérangeait pas du tout, car « nous aimons tous les enfants ».
Logique, une fois qu’on a diffusé la parentalité il n’y a plus la même obsession d’être parent principal. Ça devient alors ok de donner 2 enfants à mon amie stérile parce que j’en ai déjà 7 !
Parce que quand je lui « donne » mes enfants, je ne m’en sépare pas, ils vont intégrer la grande communauté d’enfants de la tribu auprès desquels je me sens responsable.
Oui, j’ai mes enfants principaux, mais je suis responsable de tous les autres. Et ça marche parce que les autres adultes aussi sont responsables de mes enfants principaux.
On aime dire qu’il faut un village pour élever un enfant mais on oublie de dire que ce village tient parce que plein d’adultes sont lié·es socio-érotiquement avec plein d’autres (un terme compliqué pour dire qu’ils et elles couchent ensemble et donc développent des lien), que les papas ne cherchent pas à savoir qui est leur enfant génétique et que tout le monde se sent responsable des enfants.
Le mariage nous fait croire qu’il protège l’enfant alors qu’il l’affaiblit
Quand on écoute une cérémonie de mariage, le/la maire fait la liste des devoirs et on voit que le mariage se présente comme étant avant tout un cadre protecteur de l’enfant.
Alors... oui dans notre monde sauvage où la parentalité se résume à deux personnes et où il n’y a que l’autre personne génétiquement à l’origine de l’enfant qui va m’aider... EFFECTIVEMENT le mariage protège les droits de l’enfant.
Mais ce serait comme dire qu’une voiture protège ma vie parce qu’elle a une ceinture de sécurité. Certes... mais je prends moins de risque si j’arrête carrément de prendre la voiture.
Et le dégât est énorme. Parce que l’enfant est pris au piège de ses géniteurs.
Alors que dans un système de parentalité diffusée, si l’enfant est violenté par un parent, il peut toujours aller se réfugier auprès d’un autre. Avoir plusieurs parents diminuent le risque d’abus.
Le système de la maison des enfants
Un des exemples qui m’a le plus frappé c’est celui des Mosuo. Chez les Mosuo, les jeunes femmes ont une chambre privée à partir de leur maturité sexuelle. Cette chambre donne d’un côté sur la rue et de l’autre sur la maison familiale.
La jeune Mosuo décide en totale autonomie qui passe par la porte côté rue : c’est sa porte privée. La seule règle c’est que les amant·es doivent être parti·es au lever du soleil. Tu as le droit de revenir le lendemain, mais tu ne peux pas rester dans la chambre pendant la journée.
L’autre porte donne sur une cour, le reste de la maison familiale. Dans cette maison familiale on s’occupe des enfants de toutes les filles de la famille.
Dans cet espace familial il est absolument interdit de parler de sexe (et encore moins d’avoir du sexe). C’est un espace réservé à l’éducation des enfants.
Si jamais la jeune Mosuo a un enfant suite à une de ses relations sexuelles dans sa chambre alors l’enfant sera élevé par les personnes de la famille qui ne sont pas sexuellement occupé·es ce jour-là.
On considère que cette tâche incombe principalement à sa propre mère (donc la grand-mère de l’enfant) mais aussi à tous les frères de la fille (donc tous les oncles de l’enfant).
Note bien que c’est un principalement et non un exclusivement. La responsabilité incombe à toute personne de la communauté. S’il manque quelqu’un dans la maison familiale on ne peut pas dire non mais tant pis c’est pas ma famille. Non, s’occuper des enfants dans cette maison est un devoir de tous et toutes.
Et je trouve ça génial.
Autant ça fait longtemps que je sais que je ne veux pas d’enfant. Autant je sais aussi que dans un tel système je serais super content d’avoir un enfant.
J’ai compris que je ne refusais pas d’avoir un enfant. Je refuse d’avoir un enfant dans notre système.
J’aurais besoin d’un village pour éduquer mon enfant et je serais content d’éduquer celui des autres.
J'ai récemment lu Eutopia (de Camille Leboulanger), où l'histoire se déroule dans une société future où la propriété privée n'existe presque plus, où l'exclusivité sexuelle et relationnelle n'a aucun sens, et où les enfants sont élevés par la communauté (et personne n'en a rien à faire de qui sont les géniteurs).
Entre ça et la série de mails, ça fait beaucoup réfléchir. Je pense que j'avais des interrogations au fond de moi depuis des années, mais on est tellement conditionnés par les histoires de famille nucléaire et de fidélité que c'est même difficile de réfléchir en dehors de ce cadre.
NB : au mariage de ma cousine cet été, j'étais presque choqué d'entendre le maire parler de l'engagement de fidélité dans le couple. Pourquoi donc n'aurait-on pas le droit de relationner avec d'autres personnes (à partir du moment où on ne trahit pas ses engagements tels qu'on les a convenus ensemble) ? Ça veut dire que les personnes qui décident d'avoir des règles différentes dans leur couple sont hors-la-loi ?
J'ai déjà plus ou moins rejeté les schémas couple/mariage/maison/enfants depuis quelques années, mais probablement qu'il faut que je voie plus large dans la vision des relations et de la parentalité, pour bien être au clair sur la façon dont je veux relationner à l'avenir.
Super article !
Je pense qu'en plus de la monogamie, il y a l'irruption de la famille nucléaire qui en a rajouté une couche dans l'isolement des parents. Et pour le coup, c'est pas la "famille occidentale", c'est tout récent, en réponse aux besoins de l'industrie dans les années 1950.
Dans les sociétés où les familles élargies vivent ensemble, ce que j'ai pu connaitre dans ma belle famille en Colombie ou chez mes amis en Grêce, il y a déjà un certain degré de parentalité diffuse parce que les oncles et les tantes jouent un vrai role. Alors que moi bon, mes neveux je les chatouille pour les faire rire quand ils viennent chez leur grand mère, et c'est à peu près tout.
J'ai connu ça dans une certaine mesure enfant pendant les vacances d'été parce que mes grands parents des deux cotés avaient 5 et 6 enfants respectivements, et donc on était pleins dans une grande maison de compagne. J'en garde de supers souvenirs.