[Podcast] Se dire artiste ne devrait pas être pompeux
Dans ce quatrième épisode du Syndrome de La Page Noire, Thomas Hammoudi est revenu sur une notion qui tiraille énormément les gens que je reçois : suis-je un artiste ?
Moi-même, j’ai commencé à dire que j’étais un artiste il y a moins de deux ans.
Pourquoi avons-nous autant de mal à dire je fais de l’art ?
On imagine un artiste à succès
Comme sur beaucoup de sujets, notre vision est façonnée par les médias. Alors on imagine des artistes à succès. Quand on imagine une chanteuse, on imagine Beyoncé. Quand on imagine un peintre, on imagine Picasso…
Le problème c’est que les artistes médiatiques sont ceux qui respectent un certain format. De la même manière que les philosophes médiatiques (Onfray, BHL) sont ceux qui sont des bons clients.
On imagine un artiste excentrique
Parmi les artistes médiatisés, ceux qui font le plus de bruit sont les plus excentriques. PNL qui se fait représenter par un singe sur le plateau de planète rap, Yann Moix qui parle comme un illuminé, Lady Gaga qui s’habille avec une robe en viande…
Alors, du coup, quand on imagine un artiste, on imagine quelqu’un de particulièrement excentrique.
On donne à l’art une dimension sacrée
Je crois que c’est le point le plus problématique. On confère à l’art un statut divin et à l’artiste un statut supérieur. L’artiste serait un demi-dieu ou une demi-déesse qui est touchée par la grâce. Une muse lui donne de l’inspiration pour pouvoir faire des créations et des chefs-d’oeuvre. On est dans le lexique du grandiose du divin.
Alors que l’art est dans la démarche, pas le résultat. Un peu comme la science. Souvent, les novices traitent la science comme un truc sacré. Ça se voit quand je demande “tu saurais me prouver que la terre est ronde” et qu’ils s’énervent en me disant “bah c’est scientifique”.
Non. Y’a pas plus anti-scientifique que cette réponse. La science est un protocole qui consiste à poser les bonnes questions (je résume). La science n’est pas dans les réponses, la science est dans la manière de poser la question.
C’est pareil en art.
L’art est dans l’intention, pas le résultat
Selon Thomas, l’art c’est la démarche qui consiste à faire de l’expression de soi.
Un photographe purement amateur il va faire des photos de son sujet et il se plie à lui. Par exemple il fait une photo-souvenir des pyramides d’Egypte, qu’il ramène, et il met pas sa personnalité dessus. Un photographe dans une démarche artistique va mettre sa personnalité par-dessus, c’est pas l’objet qui a raison, c’est sa vision. À partir du moment où tu es dans ce mécanisme, tu es un photographe d’art.
L’art est donc la démarche qui consiste à utiliser une technique pour s’exprimer. C’est ce qui la différencie de l’artisanat. Autre différence avec l’artisanat : on ne crée pas pour un client. Ou plutôt… on ne se plie pas à la vision du client.
L’art c’est une façon de faire : c’est quand tu es dans une démarche personnelle, de création, que tu mets ta personne dedans et où ta personne est supérieure aux gens qui regardent, que tu te plies pas à un public (alors qu’un photographe professionnel reçoit des commandes qu’il doit honorer).
Et ça nous amène au point le plus important :
On peut faire du mauvais art, mais c’est de l’art quand même
Y’a un côté pompeux avec le fait de faire de l’art, avec lequel je suis pas du tout d’accord. Je pense que dès le début ce que je faisais était de l’art. Quand tu dis ça aux gens ils disent “tu te la racontes, genre t’es un artiste”, et je comprends pas cette réaction.
Pour moi l’art c’est une façon de faire, ça dit rien de la qualité de ce que tu fais. Y’a une citation de Marcel Duchamp qui dit que l’art c’est comme n’importe quel épithète, ça peut être bon ou mauvais mais c’est de l’art quand même.
C’est ça qui nous bloque. Parce qu’on fait l’amalgame entre art et qualité. Comme si tout art était de qualité, comme si tout art était intéressant. Un enfant qui dessine, fait quasiment toujours de l’art. Pour autant c’est pas forcément intéressant.
Relaxons-nous : on a le droit de faire de l’art moyen. Ça reste de l’art.
J’étais un photographe d’art nul, médiocre et inintéressant mais c’était de l’art quand même. Du mauvais art. Souvent dans la tête des gens t’as ce côté “tu fais de l’art donc c’est bien, noble et grand” alors qu’en fait pas du tout. Je passe mon temps à déstresser les gens sur ça : vous faites déjà de l’art, c’est juste qu’il est pas terrible. Mais c’est pas grave. Faut se décoincer sur ça.
J’ai fait de l’art très tôt
Des chansons, des clips, des poèmes, des bandes-dessinées… j’avais fait tout ça à 17 ans. Je me prenais pas la tête. J’ai écrit un roman qui s’appelle Esquisse d’une Goutte de vie. Une autobiographie ! Tu imagines comment il faut être détente pour se dire “j’ai envie d’écrire un roman… quel sujet je peux bien choisir ? Ah ! Moi-même. J’ai 17 ans, j’ai eu une vie bien remplie”.
Puis, j’ai perdu cette insouciance.
Avant de la reprendre. En fait, tu as le droit de faire du mauvais art. Tu as le droit d’être un ou une artiste moyen(ne).
Je suis un cuisinier moyen et ça me tracasse pas. Je suis un gardien de but moyen et ça m’empêche pas de kiffer le faire… pourquoi on se prend la tête autant, dès que ça touche à l’art ?
Bref… on a parlé de plein d’autres sujets en vrai…
Mais ça, je te laisse le découvrir par toi-même dans ce quatrième épisode du Syndrome de la Page Noire.
Tu peux le retrouver sur YouTube ou sur n’importe quelle plateforme de podcast.