Peut-on obéir jusqu'à tuer ?
Je pense que l’expérience de Milgram est l’expérience de psychologie sociale la plus connue.
L’obéissance suffit-elle à faire le mal ?
L’expérience de Milgram se déroule dans un contexte où la Seconde Guerre Mondiale n’est plus si loin. Alors on se demande comment autant de gens ont pu obéir au régime nazi quand il est allé au bout de l’horreur. Mais surtout… les procès après la guerre ont été perturbants : on avait beaucoup de gens qui disaient j’ai suivi les ordres.
S’est alors posée la question : à quel point pouvons-nous suivre les ordres ?
La configuration de l’expérience
Tout le monde est un complice sauf une personne. Le tout est présenté comme une expérience scientifique. On a donc un scientifique qui dicte le comportement à la personne cobaye. Il s’agit de punir une autre personne par des chocs électriques quand elle répond mal à des questions.
On a donc trois personnages principaux :
Le scientifique
La victime des décharges électriques (un bon comédien)
La personne cobaye qui dispense ces décharges en appuyant sur un bouton
La personne cobaye est donc persuadée que le cobaye, c’est l’autre. Elle, elle pense qu’elle est l’assistante du scientifique et que son rôle c’est d’administrer les décharges électriques.
Les décharges vont jusqu’à 450 Volts. Et elles sont légendées : XXX.
La question c’est : combien de gens vont accepter d’administrer des décharges de 450 volts malgré les hurlement de douleurs du comédien ?
Réponse : 65%.
Deux tiers des gens vont jusqu’à une décharge potentiellement mortelle.
La pression est légère
Pour ne pas fausser le tout, la pression exercée est légère. Voici le protocole :
Les réactions aux chocs électriques sont simulées par l'apprenant. Le comédien qui simule la souffrance a reçu les consignes suivantes : à partir de 75 V, il gémit ; à 120 V, il se plaint à l'expérimentateur qu'il souffre ; à 135 V, il hurle ; à 150 V, il supplie d'être libéré ; à 270 V, il lance un cri violent ; à 300 V, il annonce qu'il ne répondra plus.
Lorsque l'apprenant ne répond plus, l'expérimentateur indique qu'une absence de réponse est considérée comme une erreur. Au stade de 150 volts, la majorité des enseignants-sujets manifestent des doutes et interrogent l'expérimentateur qui est à leur côté. L’expérimentateur est chargé de les rassurer en leur affirmant qu'ils ne sont pas tenus pour responsables des conséquences. Si un sujet hésite, l'expérimentateur a pour consigne de lui demander d'agir.
Si un sujet exprime le désir d'arrêter l'expérience, l'expérimentateur lui adresse, dans l'ordre, ces réponses :
« Veuillez continuer s'il vous plaît » ;
« L'expérience exige que vous continuiez » ;
« Il est absolument indispensable que vous continuiez » ;
« Vous n'avez pas le choix, vous devez continuer ».
Voilà. Pas de menaces. Et pas plus de 4 relances. Si une personne refuse de continuer d’administrer des chocs électriques après la 4ème relance alors on considère qu’elle s’est rebellée.
C’est le cas donc d’un tiers des gens.
Un chiffre bien plus énorme que celui du conformisme
Tu te rappelles de l’expérience de Asch ? Ou 37% des gens donnaient une réponse qu’ils savaient absurde à une question parce qu’ils voyaient le groupe donner cette réponse absurde ?
Ici on est sur quasiment le double. Les rebelles sont une minorité.
Et on a fait quelque chose de doux.
Pendant la guerre de Corée on a observé que 15% des prisonniers résistaient au protocole de lavage de cerveau (qui était évidemment beaucoup beaucoup plus violent)/
Les comportements pour décharger la pression
Un des mécanismes fascinants c’est les stratégies de descente de la tension. Et l’un d’entre eux est la triche : les gens essaient d’aider la victime en lui sous-entendant la bonne réponse à la question, par exemple avec l’intonation de voix.
Mais le souci c’est que tricher va descendre leur sentiment de culpabilité et donc les maintenir dans l’obéissance.
Une chance incroyable : on a refait l’expérience à l’ère moderne
Pour les autres expériences on a beaucoup d’images d’archives et vieillottes… et puis ce sont des expériences dont il n’y a pas d’efforts pour les rendre regardables. Et bah là vue que c’est la plus célèbre on a plein de versions, dont une qui a été organisée par France Télévisions et qui prend la forme d’un documentaire.
C’est fou parce qu’on va suivre les personnes et notamment leurs explications après coup de pourquoi elles vont jusqu’au bout ou pas.
France Télévisions a appelé ça Le Jeu de la Mort et ils obtiennent un taux d’obéissance de 81% donc encore plus grand que l’expérience classique. Parce qu’ils rajoutent un contexte de jeu télévisé, avec un public qui encourage.
Ce documentaire m’avait mis une claque car il montre vraiment comment fonctionne le mécanisme d’obéissance.
Le voici :