Savoir persévérer c’est savoir abandonner. On ne le dit pas assez. Tu connais forcément Mohamed Ali. Tu sais probablement qu’il a fini avec la maladie de Parkinson à cause de sa carrière de boxeur. Mais sais-tu comment il en est arrivé là ?
Mohamed Ali, le modèle de persévérance
Mohamed Ali a 25 ans quand il s’oppose à la guerre au Vietnam. Il refuse de prendre les armes contre les vietcongs et déclare même :
Aucun vietcong ne m’a jamais traité de nègre
Il est alors condamné à 5 ans de prison. Il réussi à ne pas effectuer la peine en prison mais il est quand même déchu de son titre de champion du monde de boxe et n’a plus le droit de boxer. Pendant 4 ans, il est donc tenu loin des rings, avant de gagner son procès en appel.
Il a 25 ans au début de la peine : ça aurait dû être le pic de sa carrière, son apogée physique. Au lieu de ça, il est privé d’exercer son sport jusqu’à ses 29 ans.
Il a 29 ans quand il revient, donc il reste encore jeune. Sauf qu’on ne peut pas être au top après autant d’inactivité. Il lui faut donc encore 4 ans de plus pour retrouver son niveau et affronter le nouveau champion du monde : George Foreman.
Il a 32 ans et il est l’outsider : Foreman est invaincu, plus jeune, plus imposant.
La suite est rentrée dans l’histoire : non seulement Mohamed Ali va gagner mais il va le mettre KO.
La légende est née.
Pour te donner une idée d’à quel point Mohamed Ali était une légende vivante, DC Comics a carrément imaginer un combat entre Mohamed Ali et Superman (sans ses pouvoirs) :
Et c’est Superman qui perd !
Sauf que… cet même esprit de ténacité et de persévérance va le conduire à sa perte.
Mohamed Ali s’obstine jusqu’à l’irréparable
Il a désormais 34 ans et on voit des signes de détérioration physique et mentale chez lui. Au point que :
Teddy Brenner, l’organisateur des combats de boxe au Madison Square Garden (où avaient eu lieu huit des combats d’Ali), l’implora de se retirer.
Ali noya le poisson.
Brenner annonça alors que le Madison Square Garden n’accueillerait plus aucun de ses combats.
« Je ne veux pas le voir s’approcher de moi un jour et me demander comment je m’appelle. L’important, dans la boxe, c’est de savoir quitter le ring au bon moment et le quinzième round, hier soir [contre Earnie Shavers], c’était précisément le bon moment pour Ali », commenta-t-il.
Une semaine plus tard, le médecin du boxeur, Ferdie Pacheco, tentait à son tour de le convaincre de quitter le ring après avoir reçu les analyses effectuées à la suite de ce combat et découvert l’état des reins d’Ali. Ce dernier n’ayant pas réagi, ce fut Pacheco qui s’en alla.
Un peu plus d’un an plus tard, il perd son titre contre un débutant. Il a 36 ans.
38 ans, il affronte le nouveau champion. Le combat est si déséquilibrée que Stallone a déclaré : c’était comme assister à l’autopsie d’un homme encore vivant.
39 ans, Mohamed Ali est interdit de boxer aux USA. Mais, cette fois, contrairement aux débuts de cette histoire c’est pour une bonne raison : on veut le protéger. Alors il va combattre aux Bahamas. Et évidemment il perd encore.
La suite de l’histoire tu la connais : en se retirant si tard, il est diagnostiqué de la maladie de Parkinson à 43 ans.
Persévérer n’est pas toujours la meilleure décision, et ne saurait l’être quel que soit le contexte.
Car le contexte change par définition. La niaque qui permit à Mohamed Ali de devenir un si grand champion – quasi le plus admiré et le plus révéré de tous – causa sa perte en le conduisant à ignorer les signaux indiquant qu’il était temps de raccrocher, pourtant évidents aux yeux de tous les observateurs.
C’est tout le paradoxe de la ténacité. Si elle peut vous pousser à vous accrocher quand les difficultés valent le coup, elle peut également vous conduire à insister quand cela n’en vaut plus la peine.
Le secret, c’est de savoir faire la différence.
Persévérer c’est toujours abandonner quelque chose
On oppose les deux alors que c’est la même compétence. En effet, quand Mohamed Ali persévère à boxer, il abandonne une vie en bonne santé. Et si Mohamed Ali avait décidé de prendre le chemin d’une vie en bonne santé, il aurait dû abandonner la boxe.
Bien que s’accrocher et raccrocher soient devenus antagonistes dans l’esprit du plus grand nombre, ce sont en réalité les deux faces d’une même décision.
Chaque fois que vous vous demandez s’il faut laisser tomber, vous vous demandez simultanément s’il faut persister, et vice versa. Autrement dit, vous ne pouvez pas décider l’un sans décider l’autre.
D’ailleurs c’est, normalement, la capacité à abandonner qui nous autorise à prendre la décision de commencer.
En effet, si jamais je te dis que pour devenir sportif ou sportive de haut niveau tu n’auras jamais le droit de prendre ta retraite alors tu ne le ferais pas (j’espère).
Si jamais je te dis que si tu veux rentrer dans une entreprise tu dois t’engager à y rester toute ta vie, tu fuirais ce deal.
Imaginez seulement ce qu’il en serait si chaque décision prise était irréversible. Quoi que vous décidiez, vous seriez obligé de vous y tenir le reste de votre vie. Pensez à quel degré de certitude vous devriez parvenir avant de pouvoir faire le choix de vous lancer dans quoi que ce soit.
Imaginez si vous deviez épouser la première personne avec qui vous auriez un rendez-vous galant. Ne disposer d’aucune possibilité de changer de direction ou d’avis serait désastreux dans un paysage lui-même sans cesse changeant, où les montagnes peuvent se transformer en taupinières et vice versa.
Si la montagne que vous avez entrepris de gravir s’avère être un glacier en pleine débâcle, vous devez pouvoir redescendre avant que la fonte des glaces ne vous emporte.
C’est pourquoi, si je devais aider une personne à renforcer ses compétences en matière de prise de décision, mon choix se porterait d’abord sur la capacité à se retirer, car la possibilité d’abandon est ce qui permet de réagir quand la situation change.
La possibilité d’abandonner est notre arme contre un monde incertain
Le monde est aléatoire. Donc on ne peut pas prédire avec certitude ce qu’il adviendra. Et, même s’il ne l’était pas… il est si complexe que nous ne pouvons jamais avoir l’ensemble des informations nécessaires à la prédiction.
Nous passons donc notre temps à prendre des décisions sur la base d’informations partielles. Et c’est pour ça qu’il faut pouvoir changer notre trajectoire en fonction du feedback, des nouvelles informations. Parfois c’est nous-mêmes qui changeons de préférence ou de goût, qui devenons une autre personne.
La possibilité d’abandonner est l’outil qui vous permet de prendre cette autre décision dès lors que vous prenez connaissance de nouvelles informations. Elle vous donne la capacité de réagir en fonction de la manière dont le monde change, dont vos connaissances changent ou dont vous-même changez.
C’est pourquoi il est si important d’améliorer cette compétence. Disposer de l’option de l’abandon vous évitera d’être paralysé par l’incertitude ou d’être à jamais pris au piège de toutes les décisions que vous avez actées.
C’est effectivement quelque chose que j’ai observé. Des personnes ont du mal à prendre des décisions car elles se comportent comme s’il fallait faire le choix parfait, d’emblée. C’est se mettre une pression irréaliste et contreproductive.
Dur d’accepter de ne pas voir
Tu sais ce qu’on dit il vaut mieux avoir des remords que des regrets.
C’est vrai et faux à la fois mais c’est surtout un proverbe largement partagé.
C’est ce qui pousse Mohamed Ali : il préfère avoir le remord de continuer trop longtemps plutôt que de regretter toute sa vie à se demander et si j’avais continué ?
Sauf qu’il faut savoir dompter cette douleur. Oui, regretter c’est plus douloureux psychologiquement qu’avoir des remords. Nous sommes hanté·es par les choses que nous ne faisons pas, plus que par les choses que nous faisons. Mais ça ne doit pas nous servir de boussole.
L’autrice Annie Duke prend un bon exemple tiré de son expérience de championne du monde de poker :
Je me souviens de toutes ces nuits passées à une table de poker, durant lesquelles le joueur assis à côté de moi me poussait du coude après une main, pour me faire savoir que les cartes qu’il avait couchées auraient remporté le pot.
C’était parfois ridicule, par exemple lorsqu’il avait jeté un sept-deux au départ (soit, mathématiquement, la pire donne de départ ; se coucher va donc de soi) et que les cinq cartes finales incluaient sept-deux-deux. Invariablement, le type se penchait vers moi en gémissant :
– J’ai jeté un sept-deux. J’aurais pu faire un full !
Je lui répondais :
– Il y a une façon d’éviter ça.
– Comment ?
– En jouant chaque main jusqu’à la dernière carte.
Ce conseil était absurde, mais je soulignais ainsi que la réussite, au poker, implique nécessairement de renoncer à certaines mains qui pourraient avoir gagné. Pour être bon à ce jeu, il faut tout simplement apprendre à vivre avec cela.
Jouer chaque main distribuée est le meilleur moyen de se retrouver rapidement fauché, puisque, en définitive, vous joueriez bien trop de mains peu profitables.
Et le poker se rapprocherait ainsi du Black Jack, car il y manquerait un élément essentiel, la possibilité – et la capacité – de se coucher.
Même jouer 50 % de ses mains coûte cher. Mais en retour, vous obtenez la paix de l’esprit. En gardant vos cartes, vous éprouvez à un bien moindre degré la douleur causée par l’idée que vous pourriez avoir jeté une carte gagnante.
Vous n’avez pas à composer avec la version démultipliée du « et si ? » : regarder les autres joueurs lancer des jetons dans un énorme pot et voir quelqu’un d’autre rafler la mise, en sachant que cela aurait pu être vous si toutefois vous ne vous étiez pas couché.
Pour la plupart des joueurs, cette paix de l’esprit exerce une attraction puissante, tout comme le chant des sirènes. C’est une des principales raisons pour lesquelles les amateurs jouent tant de mains.
La réussite n’est pas dans la persévérance
La réussite est dans savoir distinguer les situations où il faut persévérer des situations où il faut abandonner.
C’est l’abandon qui nous permet l’exploration.
Source
On est toujours dans le résumé du livre d’Annie Duke : Quit.
L’histoire de Mohamed Ali est disponible sur Wikipédia mais j’ai clairement utilisé l’introduction du livre Quit. Et, le reste des citations proviennent du chapitre 1 du livre : l’opposé d’une grande vertu est aussi une grande vertu