Où sont les femmes autistes dans les représentations ?
Si tu tapes sur Google “figures historiques célèbres qui auraient pu être autistes”, les premiers résultats afficheront des noms comme Albert Einstein, Thomas Jefferson, Nikola Tesla ou Hans Christian Andersen. Si tu demandes à quelqu’un de citer des personnes célèbres (réelles ou fictives) connues pour être autistes, Raymond Babbitt, le personnage principal du film Rain Man, revient souvent en tête, suivi peut-être de Sherlock Holmes (notamment dans son incarnation récente par Benedict Cumberbatch) et de Sheldon dans The Big Bang Theory. Aucune femme n’apparaît.
Il existe une représentation populaire tenace de l’autisme comme un monde d’hommes géniaux mais socialement maladroits, dont la pensée divergente aurait pu stimuler le progrès humain, mais dont l’idée de conversation légère à une fête se résumerait à un monologue sur les trains à vapeur. Les personnages varient, mais le trait commun reste qu’il s’agit presque toujours d’hommes.
Heureusement c’est en train de changer. Mais en effet, quand je demande autour de moi de me citer des personnes autistes fictives ou réelles, y’a une surreprésentation des hommes.
J’ai fait l’expérience sur mon profil Linkedin :
Les commentaires étaient super intéressants. Déjà parce qu’il y avait beaucoup plus de femmes autistes mentionnées que ce que je pensais. Ensuite parce que j’ai découvert des personnes que je ne connaissais pas, notamment Laura Laune qui a été énormément citée.
J’ai eu la flemme de faire un comptage précis donc j’ai juste balancé les screens dans ChatGPT et ça m’a donné les stats suivantes, sur environ une cinquantaine de noms proposés, 70% sont des hommes et 30% sont des femmes.
Truc cool, dans le top 10 des noms les plus mentionnés on est à parité parfaite : 5 femmes, 5 hommes.
Mais ça complique ensuite. Déjà au top 15 on est sur 2 hommes pour 1 femme.
L’effet bénéfique de Greta Thunberg
[Edit : J’avais écrit cette partie AVANT de connaître les résultats du sondage. Pourtant je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit AUTANT citée !]
Y’a une femme autiste qui est connue comme telle : la militante écologiste Greta Thunberg.
C’était d’ailleurs une des explications de pourquoi elle s’engageait si jeune. Je me rappelle de sa mère qui avait parlé de l’autisme de sa fille et déclaré :
Elle voit ce qu'on ne veut pas voir. Greta a été diagnostiquée autiste Asperger, mais cela n'exclut pas qu'elle ait raison et que nous ayons tort. Car peu importent ses efforts, l'équation que nous autres avons déjà résolue ne fonctionne pas pour elle ; l'équation qui est le ticket pour une vie quotidienne qui fonctionne.
Parce qu'elle voit ce que nous ne voulons pas voir. C’est comme si Greta voyait le dioxyde de carbone à l'œil nu. Elle voit les gaz à effet de serre s'échapper de nos cheminées, s'élever dans le ciel avec le vent et transformer l'atmosphère en une gigantesque décharge invisible. Elle est l'enfant, nous sommes l'empereur. Et nous sommes tous nus.»
Alors évidemment, dans un monde où l’autisme est très souvent caricaturé comme un superpouvoir, il n’en fallait pas plus pour que des disent que Greta voit le CO2. Au point que y’a plein de démentis dans la presse :
Pas merci à sa maman au passage pour la phrase elle a été diagnostiquée autiste MAIS cela n'exclut pas qu'elle ait raison et que nous ayons tort.
C’est quoi le RAPPORT ?
Toujours est-il que ça a permis une représentation d’une femme autiste et puis même de l’autisme tout court :
Des scientifiques du comportement ont étudié l’impact du lien entre Thunberg et le syndrome d’Asperger sur l’intérêt du public pour l’autisme. Ils ont analysé les recherches en ligne sur le syndrome d’Asperger à l’époque où elle s’est exprimée au Sommet de l’action pour le climat de l’ONU, en septembre 2019, et ont constaté que les recherches avaient grimpé à 1 300 997, soit une augmentation de 254,07 % par rapport au niveau prédit à partir de l’activité antérieure. Cela a été interprété comme un signe positif : l’association d’une étiquette diagnostique à une personnalité très médiatisée pouvait stimuler l’intérêt pour cette étiquette et améliorer la compréhension de ce qu’elle recouvrait.
Rappel : Asperger était un quasi-nazi et donc on ne dit plus syndrome d’Asperger, mais des personnes qui ont été diagnostiquées à l’époque où ça se disait on souvent un attachement pour le terme voire ne savent pas qu’il a été déchu.
Les institutrices anglaises ne voient pas les filles autistes
Je t’ai parlé de cette expérience où on présente des descriptions à des profs. On change le prénom mais on garde les descriptions identiques. Et… quand c’est le prénom de garçon il a plus de chances d’être envoyé en diagnostic que si c’est un prénom de fille.
Revenons plus en détails dessus.
289 institutrices ont participé à l’étude (je genre au féminin car seuls 17 étaient des hommes, soit 6% du total).
Je t’avais dit qu’on changeait le prénom une fois sur deux. Une moitié de Jack et une moitié de Chloé.
Mais ce que je ne t’ai pas dit c’est qu’on a utilisé deux descriptions différentes de l’autisme. Y’avait une version du phénotype masculin et une version du phénotype féminin.
Phénotype c’est un mot compliqué pour dire “l’ensemble des caractéristiques observables”.
À partir de maintenant je vais simplifier en autisme masculin et autisme féminin mais il faut que tu gardes en tête qu’il y a des hommes autistes qui présentent un autisme féminin, des femmes autistes qui présentent un autisme masculin, et des personnes non-binaires.
Ça s’appelle “phénotype masculin/féminin” car beaucoup d’hommes ont l’autisme masculin et beaucoup de femmes ont l’autisme féminin, mais c’est pas vrai pour tout le monde.
Et donc je t’avais dit que les Chloé ont été moins souvent considérées autistes que les Jack. Mais ce que je ne t’avais pas dit c’est que quasiment tout se joue sur la description de l’autisme féminin.
Y’a quatre cas de figure :
Autisme masculin - Jack
Autisme masculin - Chloé
Autisme féminin - Jack
Autisme féminin - Chloé
Résultat : les 2 premiers sont diagnostiqués pareil. 70% des participant·es ont déclaré que Jack et Chloé étaient autistes quand iels présentaient les traits caractéristiques de l’autisme masculin. Il n’y a pas ici de désavantage du genre.
Tu remarques que le score n’est déjà pas fameux, ça veut dire qu’un·e prof sur 3 (30%) est incapable de reconnaître l’autisme même quand on lui présente un cas théorique, un cas d’école.
En revanche, quand on présente la description Autisme Féminin et donc moins connue par l’opinion publique c’est ici que le décalage se fait.
Dans ce cas de figure, Jack est déclaré autiste par 66% des participant·es (tu observes que c’est un peu moins que les cas précédents). Mais surtout… Chloé est déclarée autiste par seulement 55% des participant·es.
On tombe quasiment à une chance sur 2 de reconnaître qu’une autiste est autiste si son autisme a la forme “féminine”.
Et c’est là qu’on voit tout le problème de la représentation. Là où c’est particulièrement injuste c’est que quand un homme a la présentation “féminine” il a plus de chances d’être diagnostiqué autiste.
Qu’est-ce que le phénotype féminin ?
Depuis tout à l’heure je te parle de la présentation “féminine” de l’autisme. Mais c’est quoi ? On en parle plus en détail demain mais y’a 5 piliers.
En moyenne (encore une fois c’est pas toutes les femmes et ça n’est pas exclusif aux femmes), les femmes autistes :
Ont une grande motivation à sociabiliser
Pratiquent davantage le camouflage autistique
Internalisent davantage leurs difficultés et développent les troubles psys associés à l’internalisation, comme l’anxiété ou les troubles du comportement alimenataires
Ont des intérêts “spécifiques” socialement acceptés (loin du cliché de l’autiste fan de train)
Ont de plus grandes difficultés reliées aux anomalies sensorielle
Je vois la difficulté autour de moi
Quand j’ai commencé à comprendre ce qu’était l’autisme, je n’ai pas vu que la plupart des mes proches étaient autistes car la plupart de mes proches sont des femmes autistes. Parce que j’étais victime de la représentation omniprésent de l’autisme masculin.
Aujourd’hui j’ai moins de mal mais je vois que les gens autour de moi ont du mal. Si je dis à une personne : hey regarde cette ami qu’on a en commun est autiste ça va être beaucoup plus facile d’obtenir un ah oui j’avoue que si je parle d’une amie.
Le film qui lutte contre ses clichés
Heureusement, y’a de plus en plus de travail pour faire émerger une représentation des femmes autistes. La plus réussie à ce jour et sans aucun doute celle du film Différente.
Dans ce film on nous présente un personnage réaliste avec lequel on est en empathie. Pour une fois ce n’est ni une bête de foire qui fait rigoler, ni une bête de foire dont on doit avoir pitié.
Le film vient de sortir sur les plateformes de streaming donc je t’invite fortement à le regarder.
Et si tu veux plus de détails sur comment le personnage du film est une excellente représentation, j’en ai fait une chronique que tu peux retrouver ici :
https://medium.com/@nicolasgalita/le-film-différente-est-dutilité-publique-7c5e8af7a788