

Discover more from L'Atelier Galita
"On ne peut plus rien dire" : la dimension oubliée
Aujourd’hui je voulais vraiment t’écrire un autre email, mais je me rends compte qu’il est beaucoup trop long à faire et que je ne pourrai jamais me coucher avant 2h du matin si je m’obstine.
Alors je te propose un contenu plus léger pour ce matin. Et probablement que j’enverrai l’email originel lundi.
Parlons donc du fameux on ne peut plus rien dire. En en discutant aujourd’hui j’ai eu un déclic que je vais te partager. Mais d’abord, revenons sur un drame en trois actes.
Acte 1 : Gérard Darmon trouve qu’Edwy Plenel est nocif
"Déjà, c’est un homme qui tremble quand il parle et c’est assez troublant. Ensuite, j’ai l’impression d’entendre son discours de vie depuis quatre siècles, cette impression d’enfoncer des portes ouvertes. Je suis un peu déçu parce que, au départ, quand Médiapart a été fondé, c’était plutôt encourageant".
"Vous soulevez des problèmes qui sont réels mais nous n’avons pas beaucoup de solutions", a poursuivi l'acteur, qualifiant Edwy Plenel de "père Fouettard de la politique et des rapports humains".
"Vous nous alertez de quoi ? Des discours de Zemmour, de l’extrême droite, des dangers par rapport à la démocratie, du pouvoir des riches sur les médias... Tout le monde sait tout ça. Je ne trouve pas que vos méthodes sont très efficaces, il y a quelque chose d’un peu Tartuffe dans votre discours qui me gène".
Autant dire que… rien ne va. C’était tellement incompréhensible que les internautes ont commencé à faire des hypothèses.
C’est ainsi que dans le Twitter de gauche j’ai commencé à voir des gens expliquer que c’était parce qu’il avait des liens d’amitié avec Éric Dupont-Moretti, le ministre de la justice. Y’avait d’autres explications mais celle-ci était frappante.
Je me suis immédiatement dit que c’était peut-être vrai mais que ça restait de la spéculation. Parce que bon, ça semble un peu trop gros…
Acte 2 : Gérard Darmon dit explicitement le pourquoi du comment
Et c’est là qu’il va faire un truc encore plus gros pour être vrai : le dire explicitement.
Attaque surprenante qu’il a finalement expliquée à demi-mot sur CNews lundi. "Je suis très ami, a-t-il dit, avec Eric Dupond-Moretti. Et je sais que Mediapart est en train d'essayer de lui couper la tête."
Acte 3 : le pot-aux-roses
Mediapart sort une enquête sur Éric Dupond-Moretti et là tout s’éclaire :
En fait, Gérard Darmon savait samedi soir ce que nous ne savions pas encore: que Mediapart s'apprêtait à faire des révélations sur le garde des Sceaux. Lorsqu’il était avocat, Eric Dupond-Moretti aurait touché 100.000 euros d’une société immatriculée aux Seychelles. Une somme avec laquelle il s’était acheté une Maserati décapotable, payée en partie en liquide. Ce sont ces révélations à venir qui ont provoqué la colère de l’acteur grande gueule.
Acte 4 : “on ne peut plus rien dire”
Bon… j’avais promis qu’ici on faisait pas de l’actualité. Pourquoi j’enfreins cette règle ? Parce que je veux t’emmener sur un schéma général. Une mécanique qu’on voit souvent. On y arrive.
La presse titre :
Gérard Darmon "recouvert d’insultes" par "des aigris" , il règle ses comptes
On a donc un mélange des classiques on peut plus rien dire et les gens sont jaloux. C’est d’ailleurs très ironique de nous parler d’aigri quand c’est bien son propos de base qui sonnait aigri.
On lui demande s’il regrette son intervention :
"Mais regretter quoi ? Je suis dans une émission du service public un samedi soir, tout va bien, il n’y a pas d’agressivité, il y a simplement un homme qui dit 'oui' et un autre qui dit 'non'. C’est interdit ça dans mon beau pays, dans le pays des droits de l’Homme, de la liberté d’expression, de la culture, de la littérature, de la musique ? […] On n’a pas le droit un samedi soir de dire à monsieur Edwy Plenel : 'Je ne suis pas d’accord avec vous, je trouve que vos méthodes ne sont pas bonnes' ? C’est hallucinant, on marche sur la tête, là"
La question que Gérard ne se pose pas
Et on arrive à ce que je voulais te raconter. Cette histoire est si classique…
Une personne connue pour des raisons autres que le sujet A prend la parole et dit n’importe quoi.
Avant, on avait pas de réseaux sociaux donc ça passait crème : chaque personne fulminait devant son écran sans pouvoir partager sa colère. On pouvait donc dire les pires bêtises sans contradiction.
C’est fini : maintenant des anonymes peuvent répondre à une star, pour peu qu’ils soient beaucoup.
Les gens qui ont connu ce monde dominé par les médias de masse sont perdus, ils se disent je comprends pas, avant je pouvais parler et maintenant je ne peux plus.
Ils en viennent donc à on ne peut plus rien dire.
Sauf que … pourquoi lui donne-t-on le micro à la base ?
Pourquoi avons-nous l’avis d’un acteur sur Mediapart ?
Attention. On peut être acteur et s’intéresser au système médiatique. Mais ce n’est visiblement pas le cas. De la même manière que ça m’agace quand on demande à un chanteur son avis sur le vaccin. Pas parce qu’un chanteur ne peut pas développer une compréhension sur le sujet mais bien parce que souvent on tend le micro à la personne uniquement parce qu’elle est connue.
C’est ça la question qu’on devrait se poser davantage.
Le problème c’est pas que Gérard Darmon ne puisse rien dire. Le problème c’est l’inverse. Le problème c’est que l’intelligence collective constate bien que ce n’est pas normal d’avoir un avis aussi peu expert (je me retiens de dire “aussi stupide”) à ce niveau d’audience.
C’est ce qui déclenche le contrecoup des réactions négatives.
Le problème ce n’est pas qu’il ne puisse rien dire. Le problème c’est qu’il puisse tout dire à une heure de grande écoute uniquement parce qu’il est connu.
Jean-Marie Bigard en parlant du pass sanitaire à un journaliste :
"C'est une honte nationale. Je compare et il faut absolument mettre un signe distinctif comme on a fait avec les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Imagine n’importe qui disant ça ? Est-ce qu’on lui tendrait un micro devant un grand public ? Non. On l’écoute parce que c’est Bigard et qu’il est connu.
Peut-être que c’est ça qu’il faut arrêter ?
La solution c’est de donner la parole à des personnes qui ont fait un minimum leur boulot avant de s’attaquer à des sujets.