Une fois qu’on a dit que les études sur les différences entre les sexes ont été biaisées par le sexisme, il reste encore une question ouverte : qu’en est-il réellement ?
Quelles sont les différences psychologiques entre les hommes et les femmes ?
On continue notre voyage dans le livre d’Angela Saini : Inferior.
Le cerveau féminin et le cerveau masculin
Tu as dû en entendre parler : le cerveau féminin serait davantage doué d’empathie, le cerveau masculin davantage de capacité mathématiques.
Ou alors, le cerveau féminin est multitâche, le cerveau masculin monotâche.
On dit même que les hommes ont davantage de compétences spatiales (le cliché des hommes qui savent mieux lire une carte).
Est-ce vrai ? Ici ce qui va nous intéresser ici ce sont les différences du cerveau. Donc ce qui est joué à la naissance.
Je pense aux gens qui ne liront pas jusqu’au bout alors je préviens : cette dernière phrase est fausse mais il faut tout lire pour voir en quoi.
La taille du cerveau
En moyenne, les femmes ont un cerveau plus petit que les hommes. Ça c’est vrai.
Oui mais attention comme toujours : corrélation n’est pas causalité.
Ce n’est pas le sexe qui causerait la taille du cerveau mais bien la taille du corps. En d’autres termes, un homme d’1m55 a un cerveau de la même taille qu’une femme d’1m55. C’est juste que y’a beaucoup moins d’hommes d’1m55.
De même, une femme d’1m80 a un cerveau de la même taille qu’une femme d’1m80. Mais il y a moins de femmes d’1m80.
De toute façon, la taille du cerveau n’est en aucun cas corrélée à l’intelligence.
D’ailleurs quand on parle de taille de cerveau on sent l’odeur de toute la science raciste qui s’est servi de ce facteur pour hiérarchiser des races.
Ce n’est pas la taille du cerveau qui fait l’intelligence mais bien :
le rapport entre le poids du corps et le poids du cerveau, ou entre la taille du corps et la taille du cerveau. Si ce n'était pas le cas "un éléphant pourrait être plus intelligent que n'importe lequel d'entre nous".
En effet, nous devrions nous attendre à ce qu'une créature aussi énorme qu'une baleine, avec son cerveau tout aussi énorme, soit un génie.
Le problème c’est que le fait que les cerveaux des femmes pèsent en moyenne 140 grammes (5 ounces) de moins que ceux des hommes (à cause de la taille, donc) a été la couverture d’un article de 1927. Article qui a fait des adeptes qui continuent encore d’opérer de nos jours : convaincus que le cerveau a un genre.
Bon… mais ont-ils raison ? Si ce n’est pas la taille… ça peut être autre chose ?
Des cerveaux quasiment identiques
Quand on part du principe qu’il existe un cerveau masculin et un cerveau féminin on finit par trouver des cerveaux masculins et des cerveaux féminins. On trouve alors entre 0 et 8% de cerveaux correspondant à la description.
Sauf que… partir du principe qu’il existe une différence biaise, en soi, les observations.
Les scientifiques qui, au contraire, partent du principe qu’il n’y a peut-être pas de différence tombe sur le même résultat mais dont la formulation va changer notre perception :
Il y a davantage de différence entre les cerveaux de deux femmes qu’entre le cerveau moyen féminin et le cerveau moyen masculin.
Bah oui. C’est le souci… c’est un organe si complexe que tous les cerveaux sont différents. Donc si on veut trouver des différences on trouvera des différences.
Du coup… comment quantifier ça ?
Il existe un instrument mathématique qu’on appelle l’écart-type. Mais je trouve la formulation anglaise plus claire : une déviation standard. Qu’est-ce qu’une déviation standard ? C’est une mesure de comment un “truc” varie dans un ensemble.
Par exemple, dans les salaires y’a beaucoup de variabilité. Alors que le nombre de jambes, non. Quasiment tout le monde en a 2.
Qu’en est-il des cerveaux ?
Prenons une référence pour qu’on puisse bien comprendre.
Entre les hommes et les femmes il y a, en ce qui concerne la taille, une différence d’environ 2 déviations standards.
Ça fait une douzaine de centimètres de différence. 1m75 versus 1m62 environ.
Les hommes sont donc sensiblement plus grands que les femmes. Mais deux déviations standard ça veut quand même dire qu’il existe plein de femmes qui font la même taille que plein d’hommes.
En ce qui concerne les différences psychologiques (et non physiques), il y a une demi déviation standard :
Selon Hines, ce n'est pas ce que l'on observe. En rassemblant toutes les données scientifiques qu'elle a consultées, tous âges confondus, elle estime que "la différence entre les sexes en matière d'empathie et de systématisation est d'environ un demi-écart-type". Cela équivaudrait à un écart d'environ trois centimètres entre la taille moyenne des hommes et celle des femmes. C'est peu. C'est typique, dit-elle.
La plupart des différences entre les sexes se situent dans cette fourchette. Et pour beaucoup de choses, nous ne montrons pas de différences entre les sexes.
Les chercheurs le savent depuis longtemps. Dans leur ouvrage de 1974 intitulé The Psychology of Sex Differences, les chercheuses américaines Eleanor Maccoby et Carol Nagy Jacklin ont passé en revue une énorme quantité d'études portant sur les similitudes et les différences entre les garçons et les filles.
Elles ont conclu que les écarts psychologiques entre les femmes et les hommes étaient bien moindres que les différences de genre existant entre les femmes et les hommes dans la société.
En 2010, Hines a répété cet exercice en s'appuyant sur des recherches plus récentes. Elle a constaté que les écarts entre les garçons et les filles en matière de motricité fine, de capacité à effectuer des rotations mentales, de visualisation spatiale, d'aptitudes mathématiques, d'aisance verbale et de vocabulaire étaient infimes, voire inexistants.
Teodora Gliga, du laboratoire pour bébés de Birkbeck, reconnaît que lorsqu'il s'agit d'enfants élevés dans des conditions normales, sans problèmes médicaux inhabituels, les écarts importants entre les filles et les garçons ne sont pas significatifs.
Il en va de même quand on mesure les QI :
En matière d'intelligence également, il a été établi de manière convaincante qu'il n'y a pas de différences entre la femme et l'homme moyens. Le psychologue Roberto Colom, de l'université autonome de Madrid, a constaté des différences négligeables en matière d'"intelligence générale" (une mesure qui tient compte de l'intelligence, de la capacité cognitive et de la capacité mentale) lorsqu'il a testé plus de dix mille adultes qui s'inscrivaient dans une université privée entre 1989 et 1995.
Son article, publié dans la revue Intelligence en 2000, confirme ce que des études antérieures ont montré à plusieurs reprises. Certains ont affirmé qu'il y a statistiquement plus de variations entre les hommes qu'entre les femmes, ce qui signifie que même si l'homme moyen n'est pas plus intelligent que la femme moyenne, il y a plus d'hommes extrêmement peu intelligents et plus d'hommes extrêmement intelligents.
À l'extrémité de la courbe en cloche, là où le chevauchement s'arrête, la différence devient évidente. C'est peut-être ce qui a motivé les affirmations controversées de Lawrence Summers, président de Harvard, lorsqu'il cherchait à expliquer pourquoi il y a tellement plus d'hommes que de femmes parmi les professeurs de sciences dans les grandes universités. Les études n'ont pas entièrement étayé cette explication.
En 2008, une équipe de chercheurs de l'université d'Édimbourg a confirmé que les résultats des tests d'intelligence générale effectués auprès d'enfants de onze ans en Écosse variaient davantage d'un sexe à l'autre. Ces différences ne sont pas aussi extrêmes que certains l'ont suggéré dans le passé, ont-ils noté, mais elles sont substantielles.
En même temps, les auteurs ont souligné que l'effet le plus important est observé à l'extrémité inférieure de l'échelle. Les personnes ayant les scores d'intelligence les plus bas ont tendance à être des hommes. Ce phénomène est en partie génétique. Le retard mental lié au chromosome X, par exemple, touche beaucoup plus d'hommes que de femmes.
Le retard mental lié au chromosome X, par exemple, touche beaucoup plus d'hommes que de femmes : "C'est surtout à l'extrémité inférieure qu'il y a le plus de troubles du développement", confirme Melissa Hines. À l'extrémité supérieure, la différence n'est pas si grande.
Les auteurs de l'étude écossaise ont constaté que les petites différences observées à l'extrémité supérieure n'étaient certainement pas suffisantes pour expliquer les écarts entre les femmes et les hommes dans l'étude des mathématiques et des sciences.
C’est important de l’avoir en tête car on entend encore souvent ce discours sur le QI. Qui n’est pas totalement faux : dans la même étude écossaise on avait une femme pour deux hommes dans les valeurs extrêmement hautes. Mais le souci c’est que focaliser sur ces exceptions donne une idée faussée de l’écrasante majorité de la réalité.
D’autant plus que, le QI est aussi impacté par des facteurs sociaux :
Hines pense que cette différence dans les résultats des tests écossais pourrait également être due à des facteurs sociaux. Même si, en moyenne, il n'y a pas de différence de QI entre les sexes, je pense que les garçons sont toujours encouragés au plus haut niveau.
Je pense que dans certains milieux sociaux, ils ne sont pas du tout encouragés, mais je pense que dans les milieux sociaux aisés et éduqués, on a toujours tendance à attendre davantage des garçons, à investir davantage dans les garçons", me dit-elle.
Cette observation est corroborée par des recherches récentes sur l'idée que le génie est souvent une caractéristique masculine. Une étude de 2015 publiée dans la revue Science a cherché à savoir si cette attente d'un génie brut chez les hommes pouvait affecter l'équilibre entre les sexes dans certaines disciplines.
Dirigés par Sarah-Jane Leslie, professeur de philosophie à l'université de Princeton, et Andrei Cimpian, psychologue à l'université de l'Illinois, les chercheurs ont demandé à des universitaires de trente disciplines aux États-Unis s'ils pensaient qu'être un éminent chercheur dans leur domaine nécessitait "une aptitude spéciale qui ne peut tout simplement pas être enseignée".
Ils ont constaté que dans les disciplines où l'on pensait qu'il fallait avoir un don ou un talent inné pour réussir, il y avait moins de femmes titulaires d'un doctorat. Les disciplines pour lesquelles le travail acharné était davantage valorisé avaient tendance à compter plus de femmes.
En ce qui concerne d’autres dimensions :
En 2005, Janet Shibley Hyde, psychologue à l'université du Wisconsin-Madison, a proposé une "hypothèse de similitudes entre les sexes" pour démontrer l'ampleur de ce chevauchement. Dans un tableau de plus de trois pages, elle énumère les écarts statistiques constatés entre les sexes pour toutes sortes de mesures, du vocabulaire à l'anxiété face aux mathématiques, en passant par l'agressivité et l'estime de soi. À l'exception de la distance de lancer et du saut vertical, dans tous les cas, les femmes ont moins d'un écart-type de différence avec les hommes. Pour de nombreuses mesures, l'écart est inférieur à un dixième d'écart-type, ce qui est indiscernable dans la vie de tous les jours.
La petite différence : la préférence pour les jouets “de garçon” ou “de fille”
J’ai trouvé cette partie amusante, surtout qu’une amie m’avait déjà dit un truc comme ça j’ai beau faire tous les efforts que je veux pour l’éduquer de manière non genrée, y’a un truc avec les petites voitures qui fascinent les petits garçons.
Tout ceci est à modérer car il se pourrait qu'in fine on découvre que ça soit un résultat de l’éducation. Mais pour l’instant on observe effectivement cette différence :
Il est assez rare de trouver des différences dans le développement typique". Le chevauchement entre les sexes est si important, explique-t-elle, que les scientifiques ont eu du mal à trouver et à reproduire des résultats suggérant l'existence d'un réel écart.
Pour l'instant, la science du bébé ne montre pas de manière convaincante de différences cohérentes".
(…)
Au-delà de l'identité de genre et de la préférence pour les jouets, sur pratiquement toutes les autres mesures comportementales et cognitives que les scientifiques ont étudiées (dans un domaine qui n'a pas laissé de côté la recherche de preuves), les filles et les garçons se chevauchent énormément. En fait, presque entièrement. Une étude menée par Hines sur les préférences en matière de couleurs, par exemple, a révélé que les bébés filles n'aimaient pas plus le rose que les garçons.
La société change les cerveaux
C’est quelque chose qu’on ignore trop souvent. Tu vois quand je t’ai dit au début que ce qui avait rapport avec le cerveau était joué à la naissance ? Bah en fait c’est faux : le cerveau est plastique. Il peut donc changer.
Par conséquent, les différences qu’on observe entre les hommes et les femmes peuvent très bien avoir été provoqués par la société et non la nature. Même quand ces différences semblent ancrées dans le cerveau.
On appelle ça : la plasticité du cerveau. On a par exemple observé que les conducteurs de taxis londoniens avaient un cerveau différent de nous, à force de l’entraîner à retenir les rues.
La plasticité et l'enchevêtrement suggèrent que, à l'instar des taxis londoniens qui mémorisent le tracé des rues, la culture peut avoir un effet d'entraînement sur la biologie. Nous savons, par exemple, que le fait de jouer avec certains jouets peut avoir un impact actif sur le développement biologique d'un enfant.
Nous sommes bons dans ce que notre cerveau nous permet de faire, et lorsque nous devenons bons dans quelque chose, notre cerveau change pour nous permettre de le faire", explique Paul Matthews.
Les jeux vidéo d'action ou les jeux de construction, par exemple, améliorent les compétences spatiales.
Ainsi, si un jeune garçon se voit offrir un jeu de construction plutôt qu'une poupée, le stéréotype selon lequel les garçons ont de meilleures aptitudes spatiales se vérifie physiquement. La société finit par produire un changement biologique.
C’est fou… parce que, même si je sais qu’un cas personnel ne prouve rien bah… je fais partie des garçons qui ont un très mauvais sens de l'orientation et un mauvais repérage dans l’espace. Je n’ai pas cette compétence stéréotypée de mon genre. Et… il se trouve que je détestais les jeux de construction quand j’étais enfant. Je ne sais pas pourquoi : j’étais repoussé par les Lego autant que par les Barbie.
Du coup ça m’a fait sourire de lire que si ça se trouve ce truc des garçons doués de compétences spatiales ça vient du fait qu’on les fait jouer aux Lego et aux Playmobil.
Ça ferait un formidable argument marketing pour ces marques, soit dit en passant.
Selon Gina Rippon, la psychologue Cordelia Fine et les spécialistes du genre Rebecca Jordan-Young à New York et Anelis Kaiser à Berne (Suisse), la plasticité est un phénomène qui a été étrangement ignoré lorsque les neuroscientifiques parlent des différences entre les sexes.
Notre cerveau absorbe en fait beaucoup d'informations en permanence, y compris les attitudes et les attentes des gens à notre égard", explique Mme Rippon. Ses propres travaux l'amènent à penser que ce ne sont pas seulement les exploits d'apprentissage ou les expériences traumatisantes qui affectent le cerveau, mais aussi des choses plus subtiles et prolongées, comme la façon dont les filles et les femmes sont traitées par la société.
Cette idée a à son tour été intégrée à une nouvelle théorie encore plus vaste et plus radicale qui pourrait expliquer comment les petites différences entre les sexes que nous observons parfois dans la composition du cerveau peuvent émerger.
Rippon, Fine, Jordan-Young et Kaiser ont soutenu que la biologie et la société sont "enchevêtrées", c'est-à-dire qu'elles travaillent de concert, par le biais de mécanismes tels que la plasticité, pour créer l'image complexe que nous appelons le genre.
Leurs idées sont étayées par un nombre croissant de données sur la manière dont les différences entre les sexes évoluent au fil du temps. Des recherches menées dans les années 1970 et 1980 ont révélé que le nombre de garçons américains dotés d'un talent exceptionnel en mathématiques était supérieur à celui des filles, dans une proportion de treize pour une. À l'époque, ce déséquilibre était considéré comme choquant.
Depuis lors, cependant, comme l'ont souligné les psychologues américains David Miller et Diane Halpern (Halpern est une ancienne présidente de l'American Psychological Association), ce ratio s'est effondré et n'est plus que de quatre, voire deux, pour un.
Dans un article publié en 2014 dans Trends in Cognitive Sciences, ils notent le même type de diminution des écarts de performance aux tests de mathématiques dans les écoles américaines.
Mais comment cela se fait-il ? Si les aptitudes en mathématiques étaient ancrées dans la biologie et que les différences entre les sexes étaient fixes, nous ne nous attendrions pas à observer ce type de changements au fil du temps. Qui plus est, nous nous attendrions à ce que les différences soient les mêmes partout.
Or, ce n'est pas le cas. Parmi les enfants latinos des maternelles américaines, par exemple, ce sont les filles qui ont tendance à obtenir les meilleurs résultats aux tests de mathématiques, et non les garçons. Remettant en cause la notion d'avantage masculin universel en mathématiques, Miller et Halpern observent que les différences entre les sexes dans les résultats moyens aux tests de mathématiques ne sont pas observées dans de nombreux pays et qu'elles sont même inversées (avantage féminin) dans quelques-uns d'entre eux. Ce qui semble être une différence biologique dans un lieu et à un moment donnés peut s'avérer être une différence culturelle en fin de compte.
Voilà. Je crois que c’est l’idée la plus puissante de ce livre. On nous escroque en nous faisant passer pour naturelles des différences qui proviennent de la culture. La biologie et la culture dansent un tango vicieux… mais pas irréversible. C’est aussi une bonne nouvelle : ça peut se défaire.
La source
Comme toute cette semaine, la source c’est le livre Inferior. Plus spécialement le chapitre 3 : les différences à la naissance et le chapitre 4 : les 140 grammes manquants du cerveau féminin.