Ne sois pas fort·e
Bon… je n’avais pas prévu de faire une deuxième semaine sur la dépression, mais vos réactions font que j’ai encore plein de trucs à rajouter. On est donc repartis pour un tour.
Ce n’est pas parce que tu PEUX encaisser que tu DOIS encaisser
Il y a des personnes qui paraissent plus solides que d’autres. Qui sont souvent les points de référence dans la tempête. C’est généralement mon cas.
D’ailleurs c’est probablement vrai puisque dans les tests je finis dans le top 2% des personnes les moins stressées.
Forcément… ça aide quand il faut faire face.
Mais je reste un humain qui a besoin de pouvoir faiblir.
J’ai l’impression que les personnes qui sont élues par leur entourage comme étant la personne forte oublient que forte ne veut pas dire invincible.
Tu as le droit de faiblir.
Si tout le bateau dépend de toi, peut-être qu’il est temps de voir ce que ça donne quand le bateau coule.
Tu as le droit d’avoir des pauses sur ta force.
Tu es une personne forte. Tu n’es pas une personne invincible.
Si tu fais partie des personnes qui se reposent sur une personne “forte”… tu as aussi le droit de le faire. C’est ce qui est le plus beau dans l’humanité : nous sommes une espèce collective. Nous avons besoin des autres pour fonctionner.
Mais tu peux essayer de demander de temps en temps à cette personne forte comment elle va. Faire attention de lui laisser l’espace de “faiblir”.
Ne pas la punir pour les rares moments de “faiblesse”.
Faire une dépression n’est pas un signe de faiblesse
Depuis tout à l’heure je mets “faiblesse” entre guillemet. Parce que ce n’est pas un concept pertinent.
Et surtout… il n’y a pas de lien. Je suis une personne que l’on juge généralement comme très forte et je fais régulièrement des dépressions.
Il y a des personnes qui sont plus “fragiles” qui ne font jamais de dépression.
La dépression est un trouble psychique. Ça n’est pas une expression de faiblesse.
Il y a d’ailleurs des facteurs génétiques. Parfois même biologique : le cerveau ne produisant pas assez de telle ou telle hormone.
Tu as le droit de déprimer.
Je répète : tu as le droit de déprimer.
Surtout si tu es une personne forte
Ton masque à oxygène avant de mettre celui des autres
J’aime beaucoup quand dans l’avion on rappelle qu’il faut toujours s’occuper de son propre masque à oxygène avant de s’occuper de ceux des autres.
Même si les autres sont plus vulnérables que toi, tu ne leur seras d’aucune aide si tu t’évanouis en perdant ton souffle.
C’est pareil ici : ok les gens ont l’habitude que tu sois leur pilier, que tu sois la personne qui les aide à mettre le masque à oxygène. Mais quand le tient s’échappe… tu dois commencer par le rattraper. Tu dois commencer par t’occuper de toi. Pour ensuite revenir t’occuper des autres.
Il n’y a même pas toujours de contradiction
Mieux encore… parfois il n’y a pas de contradiction, c’est dans ta tête qu’il y en a.
Pour l’illustrer je vais te recopier un passage du livre Cessez d'être gentil, soyez vrai !
Un homme vient en atelier et se présente en disant: «Moi je n’ai pas de sentiments, encore moins des besoins. Ma femme, elle, a des sentiments et des besoins, mes enfants également, et mon patron, mais moi, rien. Des devoirs, oui, des obligations, ça, je connais bien.» «Et qu’est-ce que ça vous fait de constater cela?
— Ça m’attriste…
— Vous voyez que vous pouvez quand même reconnaître un sentiment: la tristesse.
— Ah oui!
— Et cela vous attriste pourquoi?
— Parce que j’aimerais bien partager cette façon de vivre, ça paraît plus vivant. — Vous voyez que vous pouvez également identifier des besoins fondamentaux: celui de partager et celui d’être plus vivant.
— Vous avez raison, dit-il, les larmes aux yeux, je me suis tellement entendu dire qu’un homme ça ne pleure pas, qu’on s’assied sur ses sentiments, et qu’on fait son devoir, que je ne pouvais même pas m’autoriser à penser que je puisse désirer quelque chose, avoir une envie personnelle.»
Même si souvent nous n’en sommes pas conscients, nous ne pouvons pas être dépourvus de sentiments. Même si nous croyons que nous sommes à l’écoute des besoins des autres exclusivement, nous ne pouvons pas être dépourvus de besoins. Bien plus, nous consacrons l’essentiel et peut-être la totalité de notre temps à tenter de satisfaire ces besoins que nous méconnaissons.
Si nous pensons que nous sommes uniquement à l’écoute des besoins des autres et non des nôtres, nous ignorons simplement que nous prenons alors soin de l’un des besoins les plus forts et les plus répandus chez l’être humain: prendre soin des autres, contribuer à leur bien-être.
La vieille et malheureuse habitude de la pensée binaire donne à croire que prendre soin de soi conduit à cesser de prendre soin des autres et que pour bien prendre soin des autres il faut «s’oublier»! Pourquoi y aurait-il opposition entre le soin que nous prenons des autres et celui que nous prenons de nous-même?
Quand je pense aux êtres – nombreux – qui ont payé de leur personne ou qui font payer aux autres l’oubli de soi, je suis pris d’une immense tristesse. Cette tristesse m’indique à quel point je voudrais que les êtres humains comprennent que s’ils ne s’occupent pas des autres pour leur propre joie et bien-être d’abord, il vaudrait mieux qu’ils fassent autre chose.
Combien de personnes, en particulier dans la relation d’aide et dans le domaine de l’éducation (enseignants, assistants sociaux, éducateurs, médecins, infirmiers, thérapeutes), se sont usées et s’usent jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la dépression nerveuse dans le soin de l’autre et l’oubli de soi? Elles se font souvent à elles-mêmes une telle violence «pour bien faire» qu’elles ne sont plus capables de «ne rien faire».
Elles se sont tant coupées d’elles-mêmes que leur énergie, leur vitalité s’est épuisée, que le ressort s’est cassé – et c’est par un choc (dépression, accident, deuil, perte d’emploi) que la vie, parfois, les ramène à elles. Les parties non écoutées de nous-même se rappellent vigoureusement à nous.
Ainsi, la violence entretenue, souvent de façon parfaitement inconsciente, vis-à-vis de nous-même appelle la réaction violente de la vie. Si nous vivons dans la violence, vis-à-vis de nous-même, vis-à-vis de la vie (exigence, contrôle, surmenage, culpabilité), nous risquons bien de susciter une réaction violente de la vie (accident, maladie, dépression, deuil). D’autres personnes font également inconsciemment payer à d’autres cet oubli de soi.
Combien de personnes en relation d’aide sont à ce point surmenées qu’elles en viennent à perdre disponibilité, humour et humanité, et finissent par causer, malgré leur souci de «bien faire», plus de tort que de bien. Ainsi, dans le milieu médical, l’épuisement peut entraîner la négligence dans les soins ou l’attention; dans le milieu scolaire, la saturation sous l’effet de trop de sollicitations peut par exemple entraîner le rejet ou l’indisponibilité vis-à-vis d’un élève nécessitant une attention particulière.
Ayant pratiqué le bénévolat engagé pendant près de dix ans dans une association qui s’occupe de jeunes ayant des problèmes de dépendances diverses, de délinquance, d’anorexie, de dépression, de prostitution, je puis témoigner de deux choses.
•Il est urgent, pour survivre, de différencier clairement le fait de prendre soin et celui de prendre en charge. J’y reviendrai plus loin.
•La seule façon de prendre soin durablement et adéquatement de qui que ce soit, c’est selon moi d’en retirer un profond plaisir, de ressentir un grand bien-être dans chaque chose accomplie pour cette personne.
Si ne serait-ce qu’une partie de nous agit par devoir, par sacrifice, parce qu’«il faut» et ressent une obligation, une contrainte, une culpabilité, cette partie «mange» l’énergie et la vitalité, et se venge tôt ou tard en se manifestant par la colère, la révolte ou la dépression.
À ce propos, je me souviens de l’intervention d’une personne au sujet d’une randonnée que nous organisions avec une trentaine de jeunes en difficulté dans le désert du Sahara.
«Au fond, vous vous amusez bien pendant ces voyages, vous n’avez donc aucun mérite!
— Vous sentez-vous préoccupée parce que vous auriez besoin d’être assurée que nous prenons bien soin des jeunes qui partent avec nous?
— Oui, car si vous y allez, c’est que vous vous amusez.
— Est-ce que c’est difficile pour vous d’imaginer qu’on puisse à la fois se faire plaisir et faire plaisir aux autres, prendre soin de son bien-être et de celui des autres en même temps?
— En effet, j’ai toujours vu une opposition, soit je m’occupe de moi, soit je m’occupe des autres et je m’oublie.
— Et comment vous sentez-vous quand je vous dis que ce qui me réjouit en organisant ce voyage, c’est que je nourris à la fois mon besoin de découverte, d’espace et d’exploration et mon besoin de partager ce que j’aime en contribuant au bien-être des autres et en les emmenant à l’aventure?
— Je n’avais pas vu les choses comme cela. C’est nouveau pour moi et, au fond, soulageant de se dégager de cette opposition.
— Non seulement c’est soulageant mais cela mobilise toutes mes énergies en même temps. C’est tout mon être qui s’investit dans cette aventure, toute ma vitalité s’y engage. Il n’y a pas une partie de moi qui se dit “bof, je resterais bien à la maison à bouquiner au coin du feu, ou j’irais bien plutôt aux sports d’hiver avec des copains”. Non. Conscient que mes besoins ne sont pas en opposition, je suis tout entier dans ce que je fais et les jeunes sentent la disponibilité et la joie que cette unité intérieure procure. Cela éveille leur propre besoin d’unité, de vitalité, d’engagement, de goût de vivre.»