J’en suis à la deuxième personne racisée de mon entourage qui me dit qu’elle a pleuré devant en lisant mon thread Twitter qui résume l’actualité du racisme.
Les deux m’ont dit la même chose :
“On avance pas”
“On s’en sortira jamais”
“On peut rien faire”
J’ai eu l’impression d’avoir rompu mon serment : je vous avais promis d’être l’inverse des journaux d’actualité.
Les journaux font du contenu inutile, éphémère et anxiogène.
Je pense que l’email d’hier était utile mais… en revanche il était bel et bien anxiogène pour les personnes concernées.
D’ailleurs, moi-même au début, j’ai été abattu. Avant que la rage me fasse reprendre le dessus.
Mais, du coup, je vous propose de faire l’inverse ce matin.
On va prendre de la hauteur, du recul.
(Si l’email est trop long pour être affiché correctement, tu peux cliquer ici pour accéder à la version web )
#1 | Les choses vont de mieux en mieux
Hier je te parlais de la phrase de Will Smith :
Le racisme n’est pas en train d’empirer, il est simplement filmé
Je rajoute : non seulement ça ne s’empire pas mais ça s’améliore. Même si on a le sentiment contraire.
Pourquoi ?
Parce que ça ne s’améliore pas de manière continue et douce comme ci-dessous :
En fait, ça avance par accrocs. On avance, on avance, on recule. On avance, on avance, on avance… on recule, on recule, on recule, on avance…etc.
Ce qui donne une progression beaucoup plus hachée :
Pire encore, quand on est sur une échelle temporelle trop petite on peut avoir l’impression que ça ne fait que reculer.
Par exemple si je prends uniquement l’intervalle de temps de cette petite fenêtre… ça donne quelque chose comme ça :
Et, effectivement, globalement les choses reculent durant cet intervalle.
La solution est donc de regarder, avec plus de recul. On va le faire.
#2 | C’était bien pire avant. Et avant c’était y’a pas si longtemps.
Je suis né en 1989, dans un monde où l’Appartheid existait encore. Il existait encore un pays (l’Afrique du Sud) où la loi empêchait aux Noirs de se mélanger avec des Blancs.
Trevor Noah raconte régulièrement dans ses spectacles comment son existence même était un crime puisque sa mère était noire, son père blanc. Sa mère a dû le cacher aux yeux de l’administration.
La version américaine de l’Appartheid, a pris fin en 1967. Mon père était né. Ce n’est pas si vieux que ça. D’ailleurs, si tu as mon âge, l’année 1967 est beaucoup plus proche du jour de ta naissance que l’année 2020.
C’était 22 ans avant ma naissance. Aujourd’hui on est 30 ans après ma naissance.
Et la France ? En 1983, Toufik Ouanes a été abattu d’une balle dans le coeur par son voisin blanc, parce qu’il jouait avec un pétard. Cet événement a déclenché une séquence qui a abouti à la création de SOS Racisme.
5 ans avant ça, en 1977, la France avait encore une colonie en Afrique. Là encore, c’est beaucoup plus proche de ma naissance (12 ans avant) que maintenant.
#3 | L’évolution des mentalités sur le racisme est un des changements sociologiques les plus rapides de l’histoire
Ma grand-mère est née en 1927. La grand-mère de sa grand-mère était une esclave. L’abolition de l’esclavage en France date de 1848. Là encore on dirait que c’est y’a super longtemps.
Mais…pour ma grand-mère, qui est encore vivante au moment où j’écris, l’abolition de l’esclavage est plus proche du jour de sa naissance que l’année 2020 (79 ans contre 93 ans).
Concrètement ça veut dire que ma grand-mère a côtoyé dans son enfance des gens qui étaient nés esclaves. Des gens qui ont pu lui raconter ce qu’ils ont vu de leurs yeux quand ils étaient enfants.
Mais revenons à la ségrégation. En 1958, 96% des américains étaient contre les mariages entre Blancs et Noirs.
En 2013, ils ne sont “plus que” 13%. Ça reste beaucoup mais c’est un changement très rapide à l’échelle de toute une société.
Pourquoi je reviens encore sur les USA ? Non pas parce que le racisme n’existait pas en France mais parce que les statistiques ethniques sont autorisées.
On a la fâcheuse manie en France de faire comme si les USA c’était pire. Non…les USA c’est juste comptabilisé.
#4 | En France, en 1961, voilà l’état des mentalités françaises sur le racisme
Nous n’avons donc pas de chiffres pour la France mais on a ce trésor de l’INA. Une sorte de Guillaume Meurice de l’époque qui va dans la rue pour demander aux français s’ils pourraient louer une chambre à un asiatique. D’ailleurs il dit “un jaune”. Ça choquerait aujourd’hui. Puis il leur demande s’ils laisseraient leur fille épouser un Noir.
Les réponses sont divisées sur le fait de louer un appartement à un asiatique. En revanche, elles sont unanimes sur le fait de laisser son enfant épouser un Noir.
“Ça ne me ferait pas très plaisir, je suis blonde et elle aussi, y’a des blancs quand même sur la Terre (…). Mais j’estime que nous sommes frères, les noirs et les blancs”
Ce qui est dingue c’est que la personne fait bien la différence entre les racistes et elle. Les racistes c’est ceux qui estiment que nous ne sommes pas frères, ceux qui estiment que nous ne sommes pas égaux. Elle, elle ne veut juste pas que sa fille se marie avec un Noir. Mais ils sont quand même égaux. C’est une réthorique qu’on retrouve beaucoup aujourd’hui : les racistes sont ceux qui sont plus racistes que moi.
“C’est pas sa place, pour elle, ça pourrait la gêner dans son avenir. (…) Je ne louerai pas non plus une chambre à un asiatique car j’ai été dans leur pays. J’aime pas ces gens là. (…) Je ne suis pas raciste. Pas du tout. Je n’aime pas les racistes, ceux qui combattent une race par haine. Mais on a le droit, en revanche, de ne pas aimer une race. Ça c’est permis à tout le monde”.
Là encore, la même réthorique : les racistes sont les autres.
“Je ne l’aurais pas envisagé car je crois qu’il ne faut pas mêler les races. On met au monde des individus qui sont détestés des Noirs et détestés des Blancs. (…) Je ne suis pas raciste. Je vois tout ce qui se passe maintenant (aux États-Unis) : il ne faut pas les séparer dans les écoles, les traiter comme des bêtes parce qu’ils sont noirs. Car, malgré tout, ils n’y peuvent rien”
Ça te rappelle quelque chose ? Toujours cette référence aux Etats-Unis qui eux sont racistes.
Qu’est-ce qu’on déduit de ça ? Simple : la phrase “je ne suis pas raciste”, nous permet de voir quel est le degré de racisme acceptable dans une société. Quand quelqu’un dit “je ne suis pas raciste” il pense à ce qui est inacceptable socialement.
Aujourd’hui, ce serait inadmissble de dire en public “je ne veux pas que ma fille épouse un Noir”. Mais en 1961 c’était totalement admis. De la même manière que les blagues racistes sont globalement admises en 2020.
D’ailleurs la seule personne qui admet se sentir un peu raciste, dans le reportage, ça donne :
— Vous croyez donc à la supériorité de la race blanche
— Ne disons pas la race blanche…disons d’une manière encore plus limitative : les blancs de culture occidentale.
Aujourd’hui ce propos est probablement passible d’une condamnation. Grâce à une loi qui date de … 1972 (là encore, pas si vieux).
#5 | Il n’y a jamais eu autant de Noirs à des positions de pouvoir
Ce n’est pas un détail. Bien sûr, on pense tout de suite à Obama. J’ai presque pleuré de joie quand il a été élu. C’était y’a 12 ans. Autant dire que c’était hier.
Aujourd’hui ça nous paraît acquis. Parce que c’est un phénomène psychologique naturel : on s’habitue super vite. C’est pour ça que les gagnants au loto, ne sont pas plus heureux que les personnes qui deviennent tétraplégiques, six mois après.
J’ai moi-même alimenté ce phénomène :
Obama n’a peut-être servi à rien par ses actes (ça se débat) mais il a servi par sa simple existence. Son existence a empli de fierté des millions de personnes.
Et surtout… il n’y a pas qu’Obama.
La maire de Chicago est Noire.
Elle a répondu aux commentaires racistes de Trump. En conférence de presse. Par un sobre “fuck you”.
La maire d’Atlanta est Noire.
Elle a licencié des policiers qui avaient abusé de la force pendant les manifestations.
Il existe des agents Noirs au FBI.
Voilà donc une scène où des policiers font un contrôle au faciès. Manque de chance…le Noir en question est un agent du FBI. Il finit en leur demandant leurs cartes et en promettant de faire un rapport sur eux.
Jay-Z, n’est plus un simple rappeur. C’est un homme d’affaires milliardaire.
Personne ne peut gagner un milliard avec seulement du rap. Le rap ça rend millionnaire au mieux. On va pas détailler ici comment Jay-Z en est arrivé là.
Mais un milliardaire ça a une influence. Ce n’est pas anodin.
Ce qui devait arriver arriva…
Je pourrais continuer longtemps : Beyoncé, Rihanna, Shonda Rimes, des sénateurs, des députés, des sportifs…
Mais je crois que tu as compris l’idée.
#6 | Les Noirs sont mobilisés comme jamais
Je t’ai parlé de stars. Mais les choses ont changé à l’échelle individuelle également. Je le vois sur moi-même. Avant, j’aurais eu peur de t’écrire un email comme ça. Aujourd’hui j’ai l’impression que c’est mon devoir.
Twitter a été un formidable endroit d’organisation du mouvement. Au point que ça a son propre article wikipédia : le Black Twitter.
J’ai évolué énormément à son contact. Notamment en apprenant un lexique. Nommer les choses permet de comprendre le monde et d’agir. J’ai appris les concepts de white fragility, woke, white saviour, alliés, white privilege, racisé, concerné…
Je ne vais pas pas m’étendre : ça mériterait un article à part entière. Mais si tu veux, voici une sélection de mes 3 comptes Twitter préférés, à suivre :
Pablo @naomypablo
Woman in Black @Black_Archange
Mrs Roots @mrsxroots
#7 | Nous sommes le futur
Mon outil me dit que j’atteins bientôt la limite de la taille d’un email. Je n’avais pas prévu d’écrire autant. Ça aurait dû être un article. Il me manquait encore :
Un tonneau vide fait plus de bruit (qui explique que, paradoxalement, plus on fait diminuer le racisme et plus le racisme restant nous paraît insupportable)
Le phénomène d’action réaction (c’est-à-dire que chaque grande avancée est naturellement suivie d’une reculade).
Mais je vais plutôt finir en te disant que nous sommes le futur. Nous sommes légion. Nous gagnerons à la fin. Nos prédécesseurs ont déjà arraché d’énormes batailles. À nous de continuer. Cette guerre sera gagnée.
Je n’en ai aucun doute. Regarde le chemin parcouru depuis 50 ans.
Prends le temps de te reposer si cette séquence a été éprouvante pour toi. Qui veut aller loin ménage sa monture. Mais rappelle-toi que, globalement, on avance. Pas assez vite, pas sans accrocs. Mais on avance.
Deux pas en avant, un pas en arrière. C’est frustrant mais ça fait quand même un pas de plus vers l’avant.
Un seul mot en cette période de où j'ai mis tout mes réseaux sur pause car je suffoque avec l'actualité aussi chargée pour notre communauté : Merci !!
Merci pour cet article. Je n'ai personnellement pas été confronté au racisme en tant que métis avec 1 grand-père noir et une grand-mère moitié chinoise moitié réunionnaise et deux grands-parents blancs. Mon frère l' a été une fois, traité de bougnoule par une vieille savoyarde (notre teint fait penser à des Nord-Africains).