Tous les Américains, et pas seulement les Afro-Américains, doivent réaliser que si nous avions pas été armés dans cette ville de Monroe le 27 août dernier, il y aurait eu un massacre de masse. La seule raison pour laquelle la foule raciste a perdu de son allant dans son projet d’attaque contre la communauté noire, c’est que, nous sachant bien armés, ils n’ont pas supporté l’idée d’affronter la violence.
Ce sont des gens qui aimeraient agir avec violence contre les autres, mais être protégés eux-mêmes de la violence. Ce sont ces gens qui adorent quand des Noirs pacifistes tendent l’autre joue.
Le dénouement des événements de Monroe
Hier on a quitté Robert Williams au milieu d’une tension extrême : la présence de militants non-violents a progressivement fait monter la pression.
On est dimanche et les policiers locaux, menés par leur chef, font le tour de la ville pour encourager des habitants blancs à venir chasser les Freedom Riders.
Un des leaders des Freedom Riders se retrouve rapidement avec le crâne facturé.
Leurs vies commencent à être en danger.
C’est là que la milice d’autodéfense de Robert Williams va se mettre en mouvement. Jusque là ils se tenaient à distance, respectant leur promesse de laisser les Freedom Riders déployer la méthode de la non-violence.
On a arrêté tellement de Freedom Riders et de Noirs que, pour leur faire de la place en prison, on a libéré beaucoup de prisonniers qui avaient été condamnés pour de bonnes raisons. Beaucoup de ces gens sortis de prison m'ont informé que des étudiants saignaient à mort, sans la moindre assistance médicale.
J'ai appelé le chef de la police et lui ai dit qu'on m'avait averti que les étudiants ne recevaient pas de soins médicaux, que leur vie était en danger. J'ai ajouté que je lui donnais trente minutes pour leur trouver une assistance médicale, et que s'ils ne recevaient pas cette aide dans les trente minutes, nous marcherions sur la prison.
Environ quinze minutes plus tard, James Forman m'a appelé de l'hôpital pour me faire savoir qu'ils recevaient des soins médicaux. Juste après, Julian Mayfield est arrivé et a rapporté que des éléments de la foule blanche, qui incluait maintenant quelques policiers en uniforme, étaient près des voies ferrées et tiraient sur les Noirs qui avaient fui la ville.
Des blancs commencent à passer en voiture dans le quartier Noir en tirant des coups de feu. “De nombreux Noirs ce sont alors armés, échangeant des armes, empruntant des munitions et formant des milices pour la nuit afin de défendre le quartier contre la foule massée en ville. Dans le bloc où j’habite, environ 300 personnes se pressaient dans la rue.”
L’événement qui a tout changé
Un couple de blancs (les Stegall) traversent le quartier. Les mêmes qui avaient, plus tôt, un drapeau sur leur voiture qui disait ouverture de la saison de chasse aux ratons laveurs.
Ça peut paraître étonnant qu’un homme du Klan amène sa femme dans un quartier Noir en pleine émeute mais c’était en fait une pratique courante. Ils profitaient de l’hésitation que les Noirs avaient à faire du mal à une femme blanche.
Si bien qu’il était courant que les raids du Klan, incluent quelques femmes. Surtout que ça permet, si des Noirs sont tués, de dire que c’était de la légitime défense car il a agressé une femme.
On a donc un membre du Klan qui vient faire du repérage du quartier pour voir à quel point les Noirs sont armés. Et il amène sa femme comme protection.
Sauf qu’il a sous-estimé le niveau de rage. Plus tôt dans la journées des habitants Noirs de ce même quartiers ont été tabassé par la foule blanche. D’autres s’inquiétaient parce que leurs enfants étaient en prison ou pire… disparus.
Par conséquent, dès que le couple Stegall est reconnu ils se font arrêter par des Noirs armés.
Quand les Stegall ont été arrêtés, on les a sortis de leur voiture et amenés dans ma cour. Quelqu'un m'a appelé dehors, je suis sorti et j'ai vu tous ces gens qui se pressaient autour des Stegall.
J'ai réalisé à quel point ils étaient en colère et j'ai vu le cercle se resserrer autour des Stegall. Je savais que si une seule personne perdait son self-control, les Stegall seraient tués. J'ai commencé à écarter d'eux la foule, forçant les gens à rester hors de portée.
Alors Mme Segall a dit: « On nous a kidnappés!» Elle n'arrêtait pas de le répéter. J'ai dit: « Madame, vous n'êtes pas kidnappée. Vous pouvez partir quand vous le voulez, mais il vous faudra traverser cette foule et ces gens sont en colère.»
Elle s'est levée, a regardé la foule et elle a dit: « Vous devriez nous faire sortir d'ici. Vous pourriez nous faire sortir. Si vous nous faites sortir d'ici, ils nous laisseront tranquilles. »
Jai dit: « Madame, ce n'est pas moi qui vous ai amenée ici et je ne vais pas vous en faire sortir. Vous saviez que tous ces gens seraient là; vous savez qu'il y a des émeutes en ville et vous auriez dû savoir qu'il y avait mieux à faire que de venir dans un endroit comme celui-ci, où les gens sont en colère et bouleversés comme ça. Pour le moment, nous sommes trop occupés à essayer de défendre nos foyers. J'essaie d'installer une ligne de défense et je n'ai pas de temps à perdre avec vous. C'est votre problème.»
La foule Noire appelle à la vengeance
Jusqu’ici, les Stegall sont encore revendicatifs. La femme est offusquée. L’ambiance change quand une quinzaine d’hommes noirs va tirer sur un avion de reconnaissance de la police qui passait au-dessus du quartier.
D’u coup elle a compris que les gens étaient vraiment en colère. Alors elle se met à se blottir contre Robert et ne plus le quitter, son mari la tenant en même temps.
Plus ça avance plus ça empire : les gens appellent à en finir et tuer les Stegall.
Robert est un peu dépassé par la situation car commencent à arriver des Noirs qu’il ne connaît pas. En effet, les nouvelles ont circulé et des Noirs d’autres villes commencent à arriver pour se joindre au groupe de défense.
“La foule de la rue était constituée de Noirs qui étaient devenus furieux et déterminés. Ils n’appartenaient à aucune organisation, à aucun groupe. C’étaient de simples citoyens armés qui en avaient marre de l’oppression”.
Le moment de réalisation de Mme Stegall
Je suis allé au téléphone et ma femme a donné un fauteuil aux Stegall. Quand je suis revenu, la femme insistait encore : Si vous nous faites sortir d’ici, tout ira bien pour nous”. Je lui ai dit une fois plus que je n’avais pas le temps de la faire sortir.
J’ai dit que si j’avais été attrapé dans son quartier dans des conditions similaires, je serais déjà mort : Vous voyez nous ne sommes même pas à moitié aussi cruel que les vôtres”.
Elle a reconnu que j'avais raison. En tant que chrétienne pratiquante, disait-elle, elle voulait nous aider, et espérait qu'elle pourrait faire quelque chose.
J'ai dit que son mari pouvait nous aider. Il a répondu qu'il ne voyait pas ce qu'il pouvait faire, parce qu'il n'était pas très connu autour de Monroe, ils vivaient à Marshville. Elle répétait: « C'est vous qui êtes Robert Williams !» Je lui ai dit: « Oui. » Elle a dit: « Je ne vous avais jamais rencontré avant, mais j'ai beaucoup entendu parler de vous.»
« Toujours en mal», ai-je dit.
« Oui, a-t-elle répondu, je dois admettre que c'était toujours en mal, mais vous ne ressemblez pas au portrait qu'ils font de vous. Vous paraissez être un type bien. Vous êtes beaucoup mieux que je croyais. »
Le moment de la fuite
Cet instant de révélation sera de courte durée. Le téléphone de la maison sonne. Robert décroche. Le chef de la police, furieux, lui annonce que les militaires sont en route et que dans trente minutes Robert sera pendu devant le tribunal.
Alors Robert, emmène sa femme et ses enfants et prend la fuite.
Il pense rejoindre New-York puis raconter le scandale de ce qui est arrivé à Monroe, pour mobiliser l’opinion publique.
Mais ce qu’il ne sait pas c’est qu’il est désormais inculpé de kidnapping des Stegall. Il le découvrira, à la radio, une fois à New-York.
Forcément… pour pendre quelqu’un il faut lui faire un faux procès. C’était la première étape. La deuxième étape c’est qu’une centaine d’homme du gouvernement sont arrivés armés de mitraillettes, de fusils de guerre et gaz lacrymogènes pour envahir sa maison.
Heureusement… Robert s’était enfui.
Et voilà comment Robert devient un fugitif alors qu’il aurait pu être une figure persistante du combat antiraciste (il commençait déjà à avoir une renommée mondiale suite à l’affaire des garçons Noirs qui avaient embrassé la fille blanche)
Ce récit perdu, doit se transmettre
J’aurais aimé qu’on me raconte cette histoire à l’école. Plutôt que me bassiner avec l’histoire de Rosa Parks et Martin Luther King version bisounours Noir (car je rappelle que le vrai Martin Luther King est très loin de l’image de bisounours qu’on enseigne à l’école, c’est pour ça qu’il a été assassiné).
Je ne dis pas qu’on ne doit pas parler des actions non-violentes. Mais ce mythe de la non-violence qui permet seule de débloquer les choses doit cesser.
La libération (relative) des Noirs et Noires des USA est passée par une lutte armée qui, en combinaison avec la lutte non-armée a débouché sur des avancées.
J’aurais voulu qu’on me parle de Robert Williams comme on m’a parlé de Robespierre.
Merci Nicolas. Merci et non merci, je ne vais pas fort ce matin et ton récit me fait d'autant plus mal. Mais autant je ne veux pas passer une seconde que je peux éviter, à parler, penser à Micron, ses marionnettes et ses marionnettistes, autant je te remercie de la lumière apportée sur Robert Williams. Que je ne connaissais pas. Merci, et excellente journée!😉