Mes 7 ripostes face au racisme subtil
En me baladant sur le forum Quora, je suis tombé sur cette question :
Comment réagir face à une personne qui est subtilement raciste envers vous ?
Voici ce que j’ai répondu :
Excellente question. Contrairement à ce qu'on peut penser qu'on n'est pas concerné, le racisme prend rarement une forme explicite. Il est principalement sous une forme subtile. C'est insidieux et usant.
Voilà les 7 tactiques que j'ai développées au cours de ma vie :
Tactique #0 : ignorer
Parfois, il suffit d'ignorer la personne pour qu'elle arrête. Surtout si on n'est pas amené à la revoir. Ce n'est pas vraiment une tactique mais c'est comme en art martial : la plupart du temps la fuite est la meilleure façon de remporter un combat.
Tactique #1 : “t’as vu ?”
La première tactique m'est venue dans le monde de l'entreprise. Quand j'ai été confronté pour la première fois à ce racisme subtil fait de blagues et de remarques. Du type "ahah mais normal que tu danses bien puisque t'es Noir". Il suffit de répondre "t'as vu ?". Tout simplement. Une sorte d'accusé de réception. On ne rigole pas à la blague mais on ne boude pas non plus. On le dit de manière neutre et on passe à autre chose.
Après plusieurs "t'as vu ?" dans une semaine, la plupart des gens intelligents arrêtent ce genre de remarques.
Tactique #2 : le silence
Je laisse un silence pesant après la blague ou la remarque et je regarde la personne dans les yeux. Souvent elle bredouille et passe à autre chose. Ça ne fonctionne que s'il s'agit d'un propos à vocation comique et que vous n'êtes que deux. Si ce n'est pas comique ça ne marche pas car la personne n'attend pas de connivence de toutes façons. Si vous êtes plus de deux, la réaction du groupe peut faire tomber à l'eau cette tactique. Car, si tout le monde rit sauf toi, l'effet est beaucoup moins fort.
Tactique #3 : le miroir
Attention, il faut pouvoir jouer la naïveté. Par exemple quelqu'un te dit que tes cheveux sont ceux d'une lionne, d'une tigresse et qu'il aimerait les toucher. Tu peux alors recopier son comportement dans l'autre sens.
Par exemple : "tes cheveux sont si soyeux, on dirait ceux d'un Golden Retriever... je peux les toucher ?"
Ou encore "t'es vraiment beau pour un blanc" (après qu'on t'ait dit que tu es belle pour une noire).
Ou "Nédellec ? Mais ça vient d'où ce nom ? De Bretagne ? Oh la la c'est trop bien, tu sais faire des crêpes ? Moi une fois j'ai été dans un restau breton... et j'avais une amie bretonne quand j'étais jeune. Tu la connais, peut-être ? Elle s'appelle Marine Goinvic"
Et ainsi de suite...
Tactique #4 : la pédagogie
À la fin de mon Erasmus, après 6 mois à encaisser des blagues racistes, j'ai pris une pote entre quatre yeux et je lui ai dit "je t'apprécie beaucoup, j'espère qu'on se reverra après. C'est pour ça qu'à partir d'aujourd'hui c'est fini les blagues racistes".
Elle m'a répondu qu'elle comprenait pas, qu'elle avait un ami Noir que ça dérangeait pas. Je lui ai demandé si elle lui avait demandé. Puisque, au final, moi aussi elle aurait cru que ça me dérangeait pas. J'ai fait semblant de rire pendant 6 mois après tout, comme la majorité des personnes visées.
Et comme c'est une meuf très intelligente... elle a immédiatement compris. On s'est revus après l'Erasmus et le sujet n'est plus jamais revenu.
J'ai un ami qui a aussi pris un collègue entre quatre yeux pour lui dire "tu fais souvent des blagues sur ma couleur de peau. Tu as le droit. Mais tu remarqueras que moi je n'en fait jamais sur la tienne". Il a été scotché.
Tactique #5 : poser les questions révélatrices
On arrive dans la gamme des tactiques face au racisme subtil mais hostile. Jusqu'ici on a vu que des réactions face à un racisme subtil mais bienveillant.
Il m'arrive de me faire fouiller ou contrôler. Je sens que c'est du racisme. Souvent le détecteur fonctionne. Car le racisme, même subtil, fait une impression bizarre dans le ventre, un truc qu'on sent.
Je demande alors simplement "pourquoi moi vous me contrôlez moi et pas quelqu'un d'autre ?"
Mais la stratégie fonctionne aussi face à du racisme bienveilant. Par exemple face au fameux "tu viens d'où".
J'étais dans une soirée et une meuf me demande :
- Tu viens d'où ?
- De Paris
- Non mais avant ?
- Je suis né à Reims
- Non mais...
- Non mais quoi ?
- Bah avant...
- Avant quoi ?
- Tes parents ?
- Ils sont français.
- Et...
- Et quoi ?
J'aurais pu m'arrêter là et ça suffisait pour la leçon. Mais j'étais soulé de toujours répondre à cette question. Alors elle a subi pour tous les autres. J'ai enchaîné avec :
- Aaaaaah tu veux dire pourquoi je suis NOIR ? Ça c'est parce que mes parents sont guadeloupéens.
Mais ça aurait pu fonctionner sans cette dernière réplique qui était clairement une bascule dans la confrontation.
Et, justement, parlons de confrontation avec la sixième tactique : dire à haute voix que tu comprends ce qui se joue.
Tactique #6 : dénoncer le stratagème
À Amsterdam, j'étais à la fin d'une journée de conférences professionnelles. Il y avait une piste de danse pour clôturer l'événement. Mais la musique ne me plaisait pas. Soudain, le "chef des serveurs" est venu me voir en me demandant un truc en néerlandais. Je n'ai pas compris ce qu'il disait mais ma boule au ventre du racisme s'est déclenchée. J'ai joué le naïf. J'ai répondu en anglais :
- Vous me parlez en néerlandais ?
- Je disais : tu fais quoi ici ?
- Ah bah je regardais la piste de danse en me disant que c'était dommage de mettre que de l'électro, l'an dernier c'était mieux.
- Mais tu viens chercher quoi ici ?
- Comme tout le monde, j'imagine ?
- Tu étais aux conférences ?
- Oui, j'étais même speaker l'an dernier.
Sur ce, je tourne les talons et vais récupérer mes affaires au vestiaire. Je le vois aller parler en néerlandais au mec qui devait me rendre les affaires. Ce dernier fait une tête super gênée. Alors je lui demande :
- Il a dit quoi ?
- Euh... il a demandé ce que tu faisais ici
- Tu veux dire parce que je suis noir ?
- Euh... oui... je crois
Là-dessus je vais voir le mec et lui dis :
- Je sais que tu fais ça parce que je suis Noir. C'est juste du racisme.
- Non, j'ai des amis Noirs
Ça ne s'invente pas, il m'a vraiment répondu qu'il avait des amis Noirs. Mais du coup il a arrêté parce que j'avais pointé le racisme par son nom.
Tactique #7 : recourir à un témoin
Parfois, je ne suis pas sûr de ce qui se passe. Alors je demande son avis à quelqu'un d'autre. En soirée du nouvel an, il y a deux ans, quelqu'un que je ne connaissais pas passait son temps à m'appeler "Teddy".
Je ne connais aucun Teddy à part Teddy Riner... mais ça paraissait trop gros. Alors j'ai demandé à mon amie de venir et d'écouter quand il disait ça.
On a attendu. Ce qui devait arriver arriva. Elle a directement enchaîné :
- Mais pourquoi tu l'appelles Teddy ?
- Euh bah parce que !
- Parce que quoi ?
- Parce que Teddy Riner ?
- Et donc ? Je comprends pas ?
- Bah il est Noir !
Je ne me rappelle plus de la suite, je me rappelle juste qu'elle lui a crié dessus. Ce qui a eu beaucoup plus d'effet que si moi je m'étais insurgé. Forcément : quand ça vient de quelqu'un d'autre ça a immédiatement plus de poids.
Le racisme subtil se combat soit en restant dans la même subtilité, soit en le mettant en lumière.
Par définition, une personne qui exerce un racisme subtil va détester qu'il soit explicité. Sinon elle l'aurait fait de manière explicite. Elle a donc honte. On peut jouer sur cette honte.
Tactique bonus : la caméra cachée
Pour le faire, il faut avoir les moyens d'une chaîne de télévision mais c'est diablement efficace. J'en parle à moitié pour finir sur une note d'humour mais à moitié sérieusement parce que je pense que c'est important de les regarder.
Plusieurs personnes ont eu la chance d'utiliser des caméras cachés pour dévoiler le racisme.
C'est le cas dans le reportage "dans la peau d'un noir", mais aussi l'expérience menée dans TPMP :
Ce genre d'expérience permet d'exposer le racisme même quand il se veut subtil. En mettant en lumière la différence de réaction de la personne quand elle est en face d'un Blanc.
Dernière remarque : dans la plupart des exemples, je n'avais pas de lien amical avec la personne. S'il s'agit d'un proche, il n'y a qu'une seule solution : en parler de coeur à coeur.