L'homophobie dans la Police
Dans mon article sur la Police, je n’ai parlé “que” de racisme. C’est un choix éditorial. Premièrement parce que le sujet est déjà large et que ça ferai beaucoup à traiter. Deuxièmement parce que je me sens davantage légitime à parler de racisme que de sexisme ou d’homophobie.
Mais pas que. C’est aussi une conséquence de ce qu’on tolère. On tolère bien plus facilement une personne qui tient des propos ouvertement misogynes ou homophobe qu’une personne qui tient des propos ouvertement racistes.
Attention, je ne suis pas en train de comparer la gravité. Le racisme est très présent mais il passe de manière plus subtile.
Un des signes de ça c’est qu’il n’y a pas de livre dédié au sexisme ou à l’homophobie dans la Police. Alors qu’il y en a plusieurs dédiés au racisme.
Pour autant ça ne veut pas dire que je n’ai rien trouvé dans mes recherches. Notamment dans le livre de Sihem Souid dont le titre est explicite :
Omerta dans la police : abus de pouvoir, racisme, sexisme, homophobie
Elle y raconte donc des cas d’homophobie.
Nadia et Ève
Nadia est Adjointe de Sécurité (donc déjà une sorte de contractuelle, une stagiaire améliorée qui ne peut rester que 5 ans maximum).
Tout le monde loue ses qualités et son sérieux. Il se trouve que Nadia est lesbienne. Un jour, elle est mutée au même endroit que sa compagne : Ève.
Catastrophe.
Aux yeux de sa responsable, la brigadier-chef du secrétariat frontière (le dragon), la jolie Nadia est coupable d’un crime terrible : elle est homosexuelle. Pire encore : elle est pacsée ! Avec qui ? La brigadier-chef Ève C. ! Une policière de la PAF d’Orly, sacré bon sang !
C’est un peu trop pour le dragon, qui fulmine : « Je ne veux pas d’une gouine dans mon bureau ! »
Elle hurle ça de toutes ses forces. Bureau interdit aux gouines ! Et aux Arabes ? Je ne sais pas. Le dragon n’aime pas les gouines, c’est sûr. Le délit d’homosexualité n’existe plus depuis que le Parlement, à la demande de Robert Badinter, l’a fait supprimer mais elle, elle fait de la résistance.
Le plus souvent, Nadia reste impassible. Elle laisse passer l’orage, la tête dans les épaules, la mâchoire serrée, stoïque. Mais le dragon s’acharne à la détruire, d’autant que Nadia a été mutée dans son service sans qu’elle ait été consultée. Circonstance aggravante : c’est une autre femme, une gradée, qui a participé au processus d’affectation. Or, cette gradée est elle-même homosexuelle. Un complot de gouines !
Les ragots se répandent. On accuse Nadia de coucher pour réussir. On lui invente un ménage à trois avec Ève et une autre supérieure. On l’insulte toute la journée, on fouille ses affaires…
Sa responsable (le dragon) est si violente que la hiérarchie réagit et demande à… Nadia de prendre sur elle. Un sous-brigadier se révolte et fait un rapport.
Rien ne change.
Ève, la compagne de Nadia, assume son homosexualité qu’elle affiche sans ostentation, mais sans complexe. Elle n’en rajoute pas, parce qu’elle sait qu’assumer sa sexualité, c’est déjà la revendiquer, surtout dans un milieu aussi machiste que la police. Blonde et élancée, c’est une femme d’une quarantaine d’années, assez jolie et très bonne professionnelle. Pas le genre à se laisser impressionner par un dragon.
Elle écrit un rapport à ses supérieurs pour dénoncer l’acharnement dont est victime Nadia. Il reste sans suite. Elle en rédige un autre, et puis un autre encore. Avec pour seul résultat, aussi incroyable que cela puisse paraître, qu’elle devient à son tour la cible de brimades !
Nadia craque : elle se plaint à la supérieur de sa supérieure. La réponse de cette dernière est hallucinante :
« Cela ne m’empêchera pas de dormir ! Démerde-toi. J’espère simplement que tu n’as pas ma photo dans ton portefeuille et que tu ne m’impliqueras pas dans toute cette histoire. »
C’est la goutte d’eau. Nadia se met en arrêt maladie pour dépression. Elle profite de ce temps pour faire un rapport au grand patron. Erreur.
À son retour elle est mutée dans le genre de service qui sert à mettre au placard. Sa compagne, Ève, aussi.
Pourtant Ève appartenait à un service d’élite qui ne prend que les meilleur·es. Ève est exemplaire, au point qu’elle était pressentie pour prendre la place de la chef de ce service, après son départ à la retraite.
Mais elle se retrouve brutalement à la comptabilité dans un local de 4m2 à faire des additions pour lesquelles elle est clairement surqualifiée.
Un travail abrutissant pour lequel elle est surqualifiée. Du gâchis pour elle et l’administration qui l’emploie. Mais qui s’en soucie ? La gouine devait se taire. Elle a parlé. Elle compte. 198 + 198 + 198... Ça lui apprendra.
Pire encore, pour bien l’humilier, c’est la brigadier-chef homophobe qui est promue patronne du service à la place d’Ève !
C’est comme ça à la PAF d’Orly : on n’aime pas les « bougnoules », « les nègres », « les pédés » ni « les gouines ». C’est même conseillé de les détester. Ça facilite et accélère les promotions. L’acharnement n’a pas de limite. Les sales coups pleuvent de tous les côtés. Avant qu’elle ait l’extravagante idée de se plaindre d’un acharnement homophobe, Ève était une fonctionnaire particulièrement bien notée.
(…)
En 2006, avant toute cette affaire, son dossier est excellent. Elle obtient une note de 6 sur 7 et quelques commentaires élogieux. On la juge apte à « une fonction plus importante », c’est-à-dire à prendre davantage de responsabilités. En 2007, après la plainte, la note est aussi bonne – 6 –, mais les appréciations le sont nettement moins.
En 2008, après une plainte à l’IGS pour homophobie, une dépression et le licenciement de sa compagne, Ève reçoit sa notation. Première surprise : elle est signée par Alain Bianchi. Le grand patron de la PAF a signé le dossier d’une simple brigadier-chef. C’est sans doute une première.
Deuxième surprise : sa note tombe à 5. C’est une mise à mort. La gouine estampillée emmerdeuse est torpillée, puis coulée par les appréciations. « Apte à des fonctions supérieures : NON. Changement d’orientation souhaitable : OUI. »
Quant à Nadia… on finit par la retirer du placard, pour la mettre… nulle part. Elle passe son temps à errer dans les couloirs sans aucune mission.
Alors elles vont voir le grand patron en personne. Qui leur dira que “L’homophobie n’existe pas dans la police et encore moins dans les services qu’il dirige.”
Elles craquent. Elles s’arrêtent pour dépression. Mais on rappelle immédiatement Nadia pour un contrôle médical.
Le médecin ne perd pas de temps. « Démissionnez ! Foutez le camp ! Plus personne ne veut de vous à Orly. »
Il crie. « Dégagez ! Vous êtes lamentable et vous n’empêcherez pas votre amie de se suicider ! »
Il hurle. « Et vous n’avez même pas d’ordonnance, c’est lamentable. Vous vous arrêtez sans motif valable, c’est un abus ! »
Il se calme, le temps que Nadia compte jusqu’à dix. Puis, d’une voix contenue, il siffle comme une vipère.
Heureusement que tout le monde n’est pas comme vous. Il y a des gens dont les conjoints souffrent du cancer et qui ne se plaignent pas. Alors, j’appelle votre médecin, et vous allez reprendre votre boulot. La comédie, ça suffit comme ça ! »
Voilà. Nadia doit retourner travailler, immédiatement.
Les insultes continuent, elle n’a toujours pas de mission… elle craque à nouveau…
On lui refait un contrôle médical pour la forcer à revenir et ainsi de suite…
Jusqu’à ce qu’elle soit licenciée pour raison médicale…
Le procédé est sauvage. Si ce n’est barbare.
Alors Sihem essaie d’intervenir, elle témoigne en faveur de Nadia et Ève qui ont fini par porter plainte. Là encore : grave erreur.
« Je te ferai péter les plombs comme j’ai fait péter les plombs à Nadia S., et à d’autres encore avant elle. »
Et elle vit à son tour un enfer, qu’elle raconte dans son livre
Le problème c’est la culture
On voit à quel point la Police a une culture homophobe. Comment on analyse la culture d’une organisation ? En regardant les comportements sanctionnés, tolérés et récompensés.
Or ici on voit : les insultes homophobes ont été tolérées, puis le harcèlement homophobe a carrément été récompensé.
Aussi dingue que ça puisse paraître, la brigadier-chef homophobe n’est pas seulement tolérée, elle est promue.
En cela, c’est exactement les mêmes schémas que le racisme. La culture de la Police est raciste parce que les comportements racistes sont encouragés.
À l’inverse, qu’est-ce qui a été puni ? Les dénonciations de l’homophobie. Que ça soit celles de Nadia et Ève, mais aussi celle de Sihem…
Là encore, ce sont les mêmes rouages que le racisme. La culture de la Police est raciste parce que les comportements antiracistes sont punis.
Et c’est ça que j’ai analysé dans mon article : https://medium.com/d%C3%A9penser-repenser/la-police-est-elle-devenue-raciste-4f7aedf9e43?source=friends_link&sk=329ffb441a4c59a4a8825db2f1b76234
Il est enfin totalement fini ! Avec les sources propres et tout.