Les règles cheloues des législatives
Bienvenue dans une des élections la plus étrange de la Cinquième République. D’habitude on s’en fiche un peu parce que le résultat est toujours le même depuis le quinquennat : le parti présidentiel obtient la majorité absolue.
Déjà en 2022 on avait une petite anomalie puisque le parti présidentiel n’a obtenu “que” 42% des sièges.
Chelou #1 | Scrutin national ou local ?
On a un système hybride : chaque petit territoire va voter pour un·e déput·é. Ça peut sembler logique : les député·es seront en charge de représenter les territoires.
Mais en vrai c’est totalement absurde. Puisque, concrètement, le rôle d’un député n’est pas tant de représenter son territoire que de voter les lois nationales.
Et, dès qu’on rajoute un étage à un système de points on a des phénomènes étranges. Par exemple, il est techniquement possible de gagner les législatives avec un peu plus de 25% des voix et de les perdre avec un peu moins de 75% des voix.
Pourquoi ? Parce que c’est comme au Tennis. Si tu gagnes 6-0, 6-0 puis que tu perds 6-7 6-7 6-7…
… au final tu auras gagné 30 jeux et ton adversaire en aura gagné 21 jeux. Mais il a quand même gagné 3 sets à 2.
Car, le seul jeu qui compte c’est celui qui te fait gagner. Ça sert à rien d’avoir des points en plus, de faire des écarts.
Aux législatives c’est pareil. D’ailleurs, certains partis peu scrupuleux changent les découpages des circonscriptions pour les avantager. Car, avec exactement les mêmes votes, le découpage peut tout changer.
On appelle ça le Gerrymandering. Imagine que 60% des gens votent pour les bleus et 40% pour les rouges, dans un territoire qu’on va découper en 5 circonscriptions. Bah selon le découpage je peux obtenir 5 députés bleus et 0 rouge.
Ou au contraire 3 rouges et 2 bleus.
Alors qu’on rappelle qu’en proportion on devrait avoir 3 députés bleus et 2 rouges.
Voilà comment. Sur cette image, chaque carré de couleur représente un électeur et chaque rectangle ou forme noire représente une circonscription :
Tordu, hein ?
Chelou #2 : une poignée d’électeurs et électrices ont un impact monstre
En 2022, il y a eu environ 22,5 millions de personnes qui ont voté aux législatives.
Mais, 96 circonscriptions se sont jouées à moins de 1 000 voix. Et, parmi elles… 13 se sont jouées à moins de 100 voix.
Concrètement ça veut dire que si 25 000 personnes avaient décidé de changer leur vote pour le camp adverse… ça aurait changé 96 députés.
Tu te rends comptes ?
25 000 personnes sur 22 millions (donc 0,001% des votants) décident de 17% des députés…
Totalement délirant.
Chelou #3 : les triangulaires
Je n’ai aucune idée de pourquoi mais on a décidé que les législatives seraient comme 577 mini-présidentielles (on a vu plus haut que c’est absurde)… SAUF QUE les règles pour accéder au second tour sont différentes.
En effet, n’importe quel·le candidat·e qui fait 12,5% des inscrit·es a le droit d’aller au second tour. Techniquement ça veut dire qu’avec 0% d’abstention on peut avoir 8 candidat·es au second tour !
Bon… dans les fait ça donne davantage des triangulaires (3 candidats) ou des quadrangulaire (4). En 2014 on a même eu quelques pentagulaires.
Dans notre cas à nous si la participation est autour de 65% on pourrait avoir jusqu’à 200 triangulaires possibles.
Et c’est là qu’est le truc le plus chelou pour moi : ce n’est pas automatique. Les candidats peuvent décider ou non de participer.
Concrètement ça veut dire que, cette fois, les macronistes pourront décider de maintenir plein de candidats arrivés en troisième position en disant nous on ne peut pas choisir entre les extrêmes. Et, dans ce cas, en toute probabilité c’est le RN qui prendra ces circonscriptions.
Parce que, refaire une triangulaire dans une élection où tu as déjà 3 grands blocs… ça revient à rejouer le premier tour.
La gauche peut donc se retrouver face à un chantage électoral : devoir retirer des candidat·es arrivé·es en deuxième position au profit d’un candidat macroniste. Pour faire barrage au RN.
Chelou #4 : on peut pas revoter avant un an
Dans plein de pays, on dissout l’assemblée autant de fois que nécessaires pour avoir un gouvernement qui fonctionne. Nous, non. Il va falloir attendre un an quoi qu’il arrive.
Imagine que Macron démissionne parce que le RN obtient une majorité relative et qu’on élit un·e président·e de gauche dans la foulée… bah cette personne devra quand même gouverner avec cette assemblée RN.
Chelou #5 : comment on choisit le premier ministre
Souvent dans les médias on te dit que le premier ministre est le chef du camp majoritaire à l’assemblée.
Alors… oui et non.
C’est littéralement faux mais techniquement vrai.
En théorie le président nomme qui il veut premier ministre. Qui il veut.
En pratique… si le premier ministre ne fait pas partie du groupe majoritaire à l’assemblée alors ce dernier peut faire chuter le gouvernement (c’est ce qu’on appelle la motion de censure).
Mais… le président nomme encore qui il veut. Y compris le premier ministre qu’on vient de faire tomber.
Mais bon… alors l’assemblée peut le refaire tomber… et ainsi de suite, indéfiniment.
C’est pour ça qu’en pratique le président est obligé de nommer quelqu’un de la majorité.
Mais cette subtilité a son importance si aucun groupe n’a la majorité. Le président pourrait très bien nommer un premier ministre “neutre”. Quelqu’un de suffisamment consensuel, tout en gérant uniquement les affaires courantes (donc sans proposer de loi importante).