Je suis toujours surpris quand j’entends dire des trucs du style :
Non mais laisse tomber, c’est des haterz qui n’ont rien à faire de leur vie.
C’est tellement une réaction de droite. Mais je l’entends dans la bouche de gens de gauche.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Que quand on est au chômage on est forcément une moins bonne personne ? Que quand on a “réussi sa vie” on est une meilleure personne ?
Pourtant Jean-Marie Le Pen est riche, très riche. Il a réussi sa vie. Ça l’empêche pas d’avoir des propos haineux envers certaines personnes.
Puis, comme disait un pote à moi :
Tout le monde dit que y’a des haterz mais personne ne dit “je suis un haterz”. Du coup, qui sont les haterz ?
Il a raison. Où sont tous ces gens qui sont censés être des personnes rabougries et énervées ? Pourquoi ne les voit-on pas, même dans les reportages où on voit des personnes qui se prennent pour leur célébrité favorite ?
Tu peux chercher… les haterz n’existent pas.
Je suis moi-même un haterz
Une des raisons pour lesquelles je n’ai jamais cédé à cette tentation d’expliquer l’hostilité envers moi par la jalousie c’est que je suis moi-même très prompt à défendre mes valeurs par le conflit.
Il m’arrive donc d’aller laisser des commentaires énervés. Par exemple quand les salariés du Slip Français on fait leur blackface j’ai été les allumer. Et, désormais quand je passe devant la boutique je jette un regard noir à l’intérieur.
Récemment sur Twitter je m’en suis pris violemment à des personnes qui étalaient du mépris de classe envers une vendeuse de vêtement.
Des histoires comme ça j’en ai des dizaines.
Les valeurs existent
Quand on croit que les internautes sont virulents par jalousie on oublie l’existence des valeurs. Il est normal que l’extrême-droite m’écrive violemment : elle est allergique à mes valeurs. Et vice-versa.
Une fois j’ai fait un post LinkedIn pour expliquer que l’orthographe n’était pas une valeur morale et qu’il ne fallait pas juger les gens sur leur orthographe… je n’ai jamais reçu autant de commentaires violents.
Parce que ça contredisait une des valeurs de la droite : le respect de la tradition.
Chaque fois que j’ai reçu de la violence c’est que je contredisais une valeur de mon interlocuteur.
Je ne dis pas que c’est justifié ou que c’est bien. Quand quelqu’un m’envoie une insulte raciste parce que j’ai dit qu’il ne fallait pas débattre avec l’extrême-droite il n’est pas dans son bon droit. Je pourrais lui faire un procès et gagner. Mais ce n’est pas la jalousie qui le motive : c’est le décalage des valeurs.
L’anonymat exacerbe la virulence
L’autre point qu’on oublie c’est l’anonymat ou au moins l’absence de danger physique. On sait qu'on peut dire ce qu’on veut sans se recevoir une gifle.
Parfois on dit que c’est les réseaux sociaux qui rendent violent. Ce n’est pas vrai : ma mère était déjà violente quand j’étais petit, dans sa voiture. Elle insultait tous les autres conducteurs. Je me rappelle encore d’elle criant :
Mais il fait quoi le Belge là ?!!!!
Alors que, hors de la voiture, c’est plutôt une personne polie (ce que je ne suis pas). Pourquoi ce décalage ? Parce que dans sa voiture elle est à l’abri et elle n’imagine même pas vraiment l’autre conducteur comme un humain.
C’est d’ailleurs un des soucis sur Internet : les gens ne se rendent plus compte que les créateurs de contenu sont des humains. Parfois il suffit de répondre “ça me blesse ce que tu dis” pour que la personne se confonde en excuse en disant qu’elle ne réalisait pas…
Le public exacerbe la virulence des deux côtés
L’autre point c’est que je suis également virulent. À cause de la dimension publique des discussions.
C’est d’ailleurs une des choses que je préfère avec l’Atelier Galita : vous ne pouvez pas répondre en public. En tout cas gratuitement.
Au début j’étais sceptique en me disant que c’était dommage pour les interactions. Mais, pour rien au monde je ne reviendrai en arrière : c’est tellement mieux.
Car, parfois, vous m’envoyez des emails critiques. Sauf que personne d’autre ne voit la discussion. Elle est donc automatiquement plus sereine. Personne ne joue son ego en public.
Le manque de lucidité par rapport à soi-même
Je trouve ça encore plus surprenant quand le thème des haterz est propagé par des rappeurs qui ont commencé dans la pauvreté et crient aujourd’hui à la jalousie.
J’ai toujours envie de dire : mais… tu étais avec tes voisins, vous aviez de la rancoeur face aux inégalités… maintenant tu es riche… tu pensais quoi ? Qu’ils allaient subitement trouver ça cool parce que c’est toi qui est riche ?
Et même au-delà de ça, peut-être que tu as tout simplement changé et que tu reçois des critiques de ton premier public ? Ou de ton premier cercle.
C’est une dynamique qui est parfaitement décrite dans la chanson How Come où Eminem s’adresse à ses amis, qui lui répondent.
Il demande dans le refrain :
Comment se fait-il que nous ne nous parlions même plus,
Et que vous ne m’appelez même plus,
Nous ne sommes pratiquement plus en contact,
Je ne ressens plus le même amour quand on se serre dans nos brasEt j'ai même entendu dire par le bouche à oreille que nous étions désormais en froid
Après toutes ces années que nous avons traversé ensemble…
Comment cette connerie pourrait être vraie ?
En aucun cas cette bêtise ne peut être vraie
Nous sommes une famille et aucune chose n'a changéÀ moins que ça ne soit vous…
Il enchaîne :
À présent je ressens une tension, je ne peux pas la décrire
Tant ton amour-propre essaie de la masquer.
Tu es froid, ton toucher est glacial
Et tes yeux forment un regard débordant de ressentiments,
Je parviens à le ressentir et je n'aime pas ça...
Puis, deux amis lui répondent. Le premier lui explique qu’il était prêt à mourir pour lui, jusqu’à ce qu’il rencontre sa copine et le délaisse.
Arrête de blâmer le jeu ou les joueurs, celui qui a changé c’est toi
Le second est bien plus dur :
See the devil in you grin since the ghetto we been friends
Je vois le diable dans ton regard, depuis le ghetto on est amis
Toujours la lucidité, et ce jusqu'à la fin
Je montre la haine dans tes yeux, et Satan dans tes mensonges
Et Je ne veux plus perdre mon temps avec ces serpents déguisés…
Comment se fait-il que quand tu parles ce soit avec amertume et dépit
Et comment se fait-il que tu me désignes fautif de ce que tu as fais de ta vie
Et à chaque fois que je viens t'écouter rapper, tu regardes ailleurs
On se salue à peine, tu ne peux même plus me regarder en face.
Je trouve que ça raconte bien la chose. La facilité c’est d’attribuer les changements à la jalousie de son entourage. Mais c’est facile quand cet entourage ne peut pas répondre et donner sa version de l’histoire.
Bref.
Je pense que les haterz n’existent pas plus que les gens “méchants”. Ou en tout cas bien moins que ce qu’on dit. C’est de la fainéantise intellectuelle.
J'étais un peu perplexe en lisant le début du mail, puisque je considère que j'agis moi-même parfois en hater ... jusqu'à ce que je lise la suite.
Sur le fond je te rejoins totalement : on a de tels décalages de valeurs ou de vision du monde avec d'autres personnes qu'on ne peut s'empêcher de leur rentrer dedans, et pas toujours très poliment ou en y mettant les formes.
Mais j'en arriverais plutôt à la conclusion qu'on est plutôt tous des haters (ce que tu mentionnes), même si j'avoue ne pas beaucoup connaitre le sujet (je ne suis pas du genre à lire les commentaires sous une vidéo Youtube, je vois plutôt les haters entre les anti/pro n'importe quel sujet sur Twitter).