Les découvertes de la semaine - édition spéciale bigotry
La semaine dernière on a fait une édition spéciale fascisme. Mais j’étais un peu frustré car j’avais encore du contenu à montrer. Voilà donc la suite. Cette fois ci on va plonger au coeur d’un phénomène plus large que le fascisme : the bigotry.
Le terme est intraduisible en français. C’est le mécanisme en commun entre le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie, etc. Un mot pour dire tout ça à la fois.
Wordreference me propose : sectarisme et intolérance. Mais je trouve que ça ne traduit pas bien ce mot.
La bigotry est donc un phénomène qui englobe plus de personnes que le fascisme. Heureusement, il y a relativement peu de fascistes. En revanche, il y a beaucoup plus de personnes faisant preuve de bigotry à un moment de leur vie. Par exemple, je n’ai jamais fait preuve de fascisme (je crois), en revanche j’ai déjà fait preuve de bigotry.
Mais avant de décortiquer la bigotry, on va d’abord revenir sur l’importance de l’euphémisme en la matière.
[Vidéo semi-courte] La stratégie de l’euphémisme
Comment j’ai découvert cette vidéo ?
YouTube a fini par me la recommander à force que je regarde des vidéos sur le sujet.
Les 3 choses que j’en retiens
#1 | Le concept du double language. On en a déjà parlé la semaine dernière : le dog-whistling.
L’idée de protéger les emplois américains des travailleurs clandestins est le double langage Républicain pour “on déteste les mexicains”. Personne ne demande à renforcer la frontière avec le Canada, personne n’arrête des voitures conduites par des blancs pour vérifier leur visa. “Protéger les emplois” a toujours été un euphémisme pour le racisme.
Il en va de même avec la lutte contre le terrorisme, qui est un langage codé Républicain pour cacher l’islamophobie. Quand un acte terroriste est perpétré par un blanc on ne le connecte pas à une idéologie. On dit que c’est un déséquilibré ou un solitaire. Alors qu’il y a bizarrement, en Amérique, plus de terroristes blancs chrétiens que des terroristes musulmans. Par ailleurs, la guerre contre le terrorisme semble n’être menée que dans des endroits avec du pétrole.
Ce double langage permet normalement de faire plaisir aux électeurs d’extrême-droite qui comprennent le langage codé, tout en ne braquant pas les électeurs de droite modérée.
#2 | Cette stratégie a été inventée par Barry Goldwater. Dans un contexte de fin de la ségrégation il a compris qu’il pouvait gagner des voix en séduisant les Blancs qui voulaient maintenir la ségrégation. Le souci c’est que la plupart des gens entretiennent une relation compliquée avec leur propre racisme.
On en a déjà parlé ici : très peu de gens disent “je suis raciste”. On a donc des positions paradoxales de personnes qui veulent la ségrégation sans passer pour des ségrégationnistes.
C’est là que Goldwater a une idée de génie : il va insister sur le fait que chaque État devrait décider sur cette question. Il va prétendre que la déségrégation est une bonne idée MAIS que ce n’est pas au gouvernement fédéral de décider. C’est génial parce que ça joue sur une corde sensible chez les américains : le droit des États à avoir une autonomie relative par rapport à l’Union. Ce sont des états unis. Pas des états fusionnés.
Sauf que, sur cette question, Goldwater savait très bien que les États du Sud ne voteraient jamais d’eux-même la fin de la ségrégation.
Il arrive donc à dire en même temps que la fin de la ségrégation est une bonne idée tout en soutenant une mesure qui va permettre de la perpétuer. Il arrive à avoir le beurre et l’argent du beurre.
#3 | Ça n’a aucun sens parce que c’est pas censé avoir un sens. Et on arrive à la révélation de cette vidéo. Parfois quand je débats avec des personnes d’extrême-droite, j’ai l’impression qu’elles disent des choses qui n’ont pas de sens. Je crois donc qu’en leur montrant, ça suffira à gagner le débat.
Mais c’est un piège : ce n’est pas supposé avoir un sens. C’est même le but que ça n’ait pas de sens. N’oublie pas : on veut le beurre et l’argent du beurre. On veut promouvoir la ségrégation sans passer pour quelqu’un qui veut promouvoir la ségrégation.
Pourquoi tu devrais la découvrir à ton tour ?
Donald Trump a fait voler en éclat ces euphémismes. Soudainement il a dit franchement “les mexicains sont des violeurs”. Ou alors qu’il faut un muslim ban ou un muslim registry. Est-ce parce qu’il est fondamentalement incapable de subtilité ? Ou une stratégie bien plus cynique et réfléchie ? Peu importe.
Jusque là, la logique habituelle était : parler à la droite modérée et, de toutes façons, la droite extrême est obligée de voter pour le parti Républicain. Elle est désormais retournée : parler à l’extrême droite et, de toutes façons, la droite modérée est obligée de voter pour le parti Républicain.
Le problème c’est que la fin de l’euphémisme libère la parole et déplace la fenêtre d’Overton (le curseur de ce qui est socialement accepté). L’effet est alors immense. C’est ce qu’on a vu dans le reportage de la semaine dernière sur l’impact de l’élection de Donald Trump sur la revitalisation des mouvements fascistes internationaux.
[Vidéo Longue] JK Rowling
Comment j’ai découvert cette vidéo ?
L’un de vous me l’a envoyée en me disant que je devais absolument la regarder. Mais comme ça durait une heure et demie, j’ai repoussé au lendemain jusqu’au jour où j’avais vraiment plus rien d’autre à regarder. J’avais le choix entre regarder des résumés de match de foots d’équipes qui ne m’intéressent pas ou accepter d’essayer de commencer cette vidéo. Et… c’était génial.
JK Rowling et ses tweets transphobes n’est qu’un prétexte pour analyser comment fonctionne la bigotry.
Les 3 choses que j’en retiens
#1 | Les euphémismes, encore eux. Ici, elle analyse les tweets de JK Rowling pour nous montrer comment, quand on n’a aucune notion de transphobie on peut les trouver normaux. C’était mon cas. J’ai été alerté par le Twitter féministe. Mais j’ai eu du mal à comprendre le problème. Après tout, elle disait juste que “les sexe biologique existe”. Y’a quoi de mal à ça ?
Beaucoup de gens ont du mal à identifier cette bigotry, et je pense qu’une des raisons réside dans le fait que notre idée reçue de la bigotry est très étroite. On imagine la bigotry comme étant le fait de juger un individu pour son groupe et non pour lui-même (…) ou alors on pense que la bigotry c’est la haine, quelque chose d’inhumain et de monstrueux. Donc quand les gens entendent le mot bigot, ils imaginent une sorte de Lord Voldemort, un supernazi qui déteste l’amitié et l’amour. Mais le problème des nazis n’a jamais été qu’ils détestaient l’amitié et l’amour. Le problème c’est qu’ils croyaient défendre le sang et le sol allemand contre le judéo-marxisme
Alors, qu’au contraire, l’essentiel de la bigotry se transmet de manière indirecte : en défendant quelque chose plutôt qu’en attaquant autre chose. Il est plus subtil de dire qu’on défend la civilisation occidentale plutôt que de dire qu’on veut moins de droits pour les personnes non blanches.
#2 | La bigotry n’est pas la haine. C’est une erreur classique. Par exemple quand on croit que le racisme est le fait de détester les Noirs. Alors que la majorité du racisme passe plutôt par des blagues, des remarques ordinaires…
Là où quelqu’un de direct va exprimer du mépris, des insultes, de la discrimination, voire même de la violence envers les membres du groupe concerné, quelqu’un d’indirect va dire son “inquiétude”, il va dire qu’il “défend quelque chose”, il va parler de “libre expression” ou de “cancel culture”.
Or, ces personnes sont beaucoup plus que les personnes ouvertement racistes ou sexistes. On peut être contre les avancées gagnées par les féministes en disant “je suis pour le féminisme mais pas cette version extrême”.
Généralement ça se passe comme ça : la bigotry passe avant tout par une réaction. On imagine le racisme comme étant la haine alors qu’en fait il est bien plus dans le sentiment d’être menacé par les avancées.
#3 | Comment reconnaître l’euphémisme bigot ? Voici la révélation de la vidéo : il ne faut pas tomber dans le piège tendu par l’euphémisme. Il faut refuser les débats de diversion comme celui sur le racisme antiblanc (ici : est-ce que le sexe biologique est réel). Comme on l’a vu dans la vidéo précédente, ce n’est pas censé avoir un sens. À la place, il faut regarder les objectifs politiques de la personne. Le problème du racisme ce n’est pas la haine, c’est qu’il essaie d’empêcher des individus d’avoir certains droits politiques. Ça peut être fait poliment, subtilement, sans haine. Comme dans la vidéo précédente où on dit “je suis pour la déségrégation mais ça devrait être une question réglée par chaque État”.
Même si en surface on dit qu’on est en faveur de la déségrégation, on soutient une mesure politique qui va la ralentir.
Voilà comment se trahit cette stratégie. Si quelqu’un te dit “je suis pour le féminisme mais pas celui-ci”, puis que tu lui demandes “ok tu ferais quoi à la place ?”… si cette personne te répond des choses qui ont pour effet de maintenir le statu quo… tu sais désormais quelle est sa vraie allégeance.
Pourquoi tu devrais la découvrir à ton tour ?
Parce que je sais que, spontanément, on veut pas regarder quelque chose d’aussi long. Moi le premier. Mais, vraiment, ça vaut le coup.