Les contrôles au faciès racontés
En faisant mes recherches sur la Police j’ai découvert qu’il existait une chaîne YouTube qui a un concept intéressant : interroger des personnes adultes sur les contrôles au faciès qu’elles ont vécus durant leur adolescence.
On a notamment beaucoup d’ancien rappeurs qui témoignent.
Voici par exemple le témoignage de Médine :
“Salam, c'est Médine. Je vais vous parler d'un contrôle d'identité qui a été assez marquant pour moi. Je n'étais pas seul. J'étais avec Tiers Monde, un autre collègue du label Din Records, et puis d'autres amis.
C'était à l'époque où l'album d'Ideal J était sorti et ils étaient passés très peu de temps avant chez nous, dans notre ville, et ils avaient scandé un refrain.Nous, on avait retenu ce refrain- là avec Tiers Monde et d'autres collègues.
On le chantait, ça disait "Système d'ordures, Dieu seul sait ce qu'on endure. Ordure, les temps sont durs et ça fait un moment que ça dure".
Nous, on scandait ce slogan-là quand on sortait du concert pour se rappeler du bon moment qu'on avait passé avec toute l'équipe d'Idéal J. Il n'y avait plus de bus, naturellement, donc on est rentrés à pied chez nous. Et je pense que de voir notre gaieté comme ça, il y a tout un escadron de CRS et de la police nationale qui étaient là et qui nous regardaient d'un mauvais œil. (…) Et dans une ruelle, on voit tout l'escadron de CRS qui débarque avec leur bolide et qui s'arrête.
Donc nous, on se dit « Bon, on va avoir le droit à un contrôle d'identité ». Et direct, il y a une voiture qui s'avance plus qu'une autre et qui essaie de me toucher, de me percuter.
Donc, je me dis le contrôle d'identité va malheureusement se passer de façon très musclée. Donc ça commence par « Vos papiers, bande de bougnoules ».
Bref, j'en passe et des meilleures. Nous, on était relativement jeunes à cette époque- là, donc moi, ça m'a clairement très effrayé de voir ça. J'avais 15 ans. Tiers Monde, il devait en avoir 17, il avait un petit peu plus que moi.
Bref, on était relativement jeunes et de voir cette virulence, cette entrée en matière de la police nationale, ça nous a un peu effrayés. Le contrôle d'identité, à peine une sommation de vos papiers, "bougnoules". Bref, j'en passe et des meilleures. Il y a bien sûr un dans notre groupe qui était un peu plus âgé, qui ne s'est pas laissé faire en disant
« Mais qu'est- ce que tu racontes ? Comment tu nous parles ? Parle-nous autrement. »
C'est un contrôle d'identité qui, malheureusement, a dégénéré. J'ai vu mes premiers coups de matraque à l'âge de 15 ans à cause d'un refrain d' Idéal J, Kery James.
On en garde un bon souvenir avec Tiers Monde aujourd'hui parce qu'on se renvoie un peu la pareille. « Toi, tu t'es pris un coup de matraque sur l'épaule et lui, il me renvoie toi tu as failli te faire renverser par un Laguna ou je ne sais plus c'était quoi, la marque.
On garde le sourire par rapport à cet événement, mais en réalité, quand on revient un peu dessus, c'est assez dramatique de vivre à 15 ans un contrôle d'identité de cette manière. Aujourd'hui, heureusement, on peut se faire entendre avec ce numéro 07 70 19 33 81. Et si vous avez quelques soucis, appelez-les, stop le contrôle officiel. Fr, allez sur leur site. Tout.”
Ce que je trouve ouf avec ce récit c’est le fatalisme. Ça me rappelle quand j’ai été en boîte de nuit avec ma soeur, son conjoint et une amie blanche. On a été recalé à l’entrée. Mon amie blanche était scandalisées, car elle n’avait jamais été recalée à cette endroit. Elle s’est emportée, le ton est monté…
Et, rétrospectivement, j’avais dit à ma soeur mais c’est ouf que ça soit elle qui s’emporte. Nous on est blasés maintenant… à quel moment on a abandonné comme ça ?
Autre récit sur la chaîne Youtube, celui de Mokobé, le rappeur du groupe 113 :
“ C'était un soir à Vitry-sur-Seine. J'étais avec mon ami, OGB un de mes potes d'enfance. On marchait tranquillement sur la dalle Robespierre, dans le quartier Robespierre de Vytri. À un moment, j'entends « Mokobé, Mokobé ».
On s'approche et très vite, on s'aperçoit qu'il y a un contrôle de police. C'était deux gendarmes avec deux petits de chez nous. Ça paraissait très bizarre comme genre de contrôle. On commence à s'approcher, on demande qu'est-ce qui se passe, bien évidemment.
Tu as un des deux jeunes qui nous dit « Ouais, je sais pas, on n'a rien fait, ils sont là, ils sont en train de nous contrôler. Ils veulent nous ramener au poste et tout. Ils veulent nous menotter depuis tout à l'heure, ils nous font la misère. »
Donc nous voilà, comme des grands frères, on avait 18, 19, mais c'était des petits de 14, 15 ans. On essaye de calmer le truc et tout. On leur dit « Écoutez, calmez- vous. Qu'est-ce qui se passe ? »
On arrive dans un style un peu diplomate et tout ça.
Le ton monte très vite. Tu as un des gendarmes qui commence à s'énerver.
« Qu'est-ce que tu as toi ? Qu'est-ce que... »
FLAP. Son calibre, il me le met sur la tempe.
C'est la première fois que je me retrouve avec un calibre sur la tempe. Tu imagines, pour un jeune de 18 ans et surtout de la part des forces de l'ordre, d'un gendarme. Il met le calibre sur la tempe et tout.
Il tremble en même temps. Tu te dis, le coup peut partir à tout moment. Il est là : qu'est-ce que tu veux ? Il y a quoi là ? Tu as quoi, toi, Bamboula ? Il y a quoi ? Tu vas l'ouvrir encore ?
J'essayais d'être zen, je te dis la vérité. Samir, OGB en est témoin. Je n'ai pas fait pipi sur moi. J'ai gardé mon calme. Je me suis dit « Cool, OK. »
Je lui ai dit
Calme- toi, calme-toi.
Et au fur et à mesure, il retire un petit peu son pistolet. Il l'a toujours dans la main, il retire son pistolet. Et puis on s'aperçoit très vite qu'ils étaient bourrés. C'était vraiment bizarre.
Donc à un moment, ils ont eu un moment d'inattention. On s'est dit « Voilà, à trois, on taille. » Il n'y avait pas d'autre solution, il n'y avait pas d'autre option.
On sentait que le truc ne pouvait pas se calmer. Donc on attend, on attend, on attend. Au moment précis, voilà, on repère. Il y avait un des petits qui était déjà dans la voiture, l'autre, il était encore à l'extérieur. On compte un, deux, trois. OGB, il ouvre la porte.
Le petit court. Moi, je tire le petit, on court. Et à ce moment- là, on sent, on a senti vraiment une haine, mais incroyable. Pour nous, c'était foutu, on allait se faire attraper, ça allait dégénérer pour nous. Donc on commence à courir. Je tape mon meilleur sprint à la Usain Bolt, mais vraiment, tu vois, je m'applique, je cours de toutes mes forces et tout, on court, on court, on court.
Et derrière, les gendarmes sont en train de courir, toujours le calibre à la main et en nous insultant, mais vraiment de tous les noms
« Bande de bâtards, vous allez voir. Tu vas voir, tu vas voir, négro. »
Donc on court, on court, on court, on court. Il y en a un qui se cache en dessous d'une voiture. Moi, j'arrive à esquiver. Incroyable et tout ça. Et voilà, donc on l'a échappé belle. Mais il n'y a pas un moment dans ce contrôle où j'ai senti qu' il y avait une place pour la diplomatie. Aucune place, aucun dialogue. C'est soit tu vas au poste avec des bleus menottés ou soit tu as la chance de courir et d'esquiver ça, malheureusement.”
Là encore… tragique.
Et des témoignages comme ça… sont d’une banalité affligeante sur la chaîne. C’est ça qui est fou… la ressemblance et le nombre de toutes ces histoires. Des histoires dont on entend jamais parler quand on habite pas en banlieue.
Dernière histoire, celle du rappeur Youssoupha qui se fait contrôler dans Paris :
“ Je devais avoir 17-18 ans. Et il y a un jour où je sortais de la fac, normal. En plus, au début de la fac, c'était un peu galgère parce que tu es loin de tes potes, loin de ton quartier, loin de ta famille.
Et puis, moi, ma fac, elle était à Paris III, à Censier. Ce n'est pas loin de Châtelet, donc des fois, après les cours, pour me poser -, me balader, faire les magasins j'allais aux Halles.
Un jour, je suis là en train de marcher au calme et tout, je sors avec mes affaires de cours et je vois une équipe de policiers. Ils arrivent en se ruant, vraiment en se ruant. Et ils arrivent et ils me bousculent.
Mais franchement, je croyais que, en vrai, ils m'avaient bousculé par rapport à leur course, ils passaient par là et qu'ils m'avaient bousculé. Ils me bousculent, normal, je m'écarte. Ils m'accrochent, en vrai, j'enlève ma main parce que je me dis, sans faire exprès, il m'a accroché. Et en vrai, non.
En fait, en vrai, le gars, il me tirait vraiment. Il me tire, j'étais dans une espèce de tapis roulant à Chatelet, du côté qui te ramène de la ligne 7 jusqu'au RER et à la sortie, tout ça.
Et il me tire du truc. Limite, avec son équipe, il me passe de l'autre côté de la rampe des tapis roulants. En vrai, je pète un plomb un peu, mais je ne comprends pas pour moi, dans ma tête, en vrai, ce n'est même pas pour moi qu'ils sont là. Ça faisait longtemps que j'avais plus affaire aux trucs de quartier, tout ça, là, en vrai, les gendarmes dont je t'ai parlé tout à l'heure par rapport à quand j'étais plus jeune.
Et en vrai, là, le contrôle, il a commencé bêtement. Moi, donc, tout de suite, vu comment ça avait commencé, j'avais pris un peu la mouche. J'étais un peu touché.
Comment ça ? Pourquoi débouler ? Pourquoi débouler comme ça sur moi ? Passez votre chemin.
Non, c'est pour vous qu'on est venu.
Moi ? C'est pour moi ?
Je leur ai demandé les critères et tout ça. Bien entendu, ils m'ont pas répondu. Et en vrai, voilà. Après, c'est parti en dispute. J'ai commencé à mal parler. De toute façon, ils voulaient rien savoir. Et puis après, à un moment, c'était placage contre le mur de là où il y a les couloirs.
Mais en vrai, ce jour- là, le fait que le fait qu'ils arrivent comme ça en ruée, j'ai envie de te dire limite, c'est des choses... Limite dans ma vie, ça arrive. C'était un peu le truc qui arrivait tout le temps quand j'étais un peu plus jeune que ça, quand j'étais avec mes potes et tout. Mais là, en vrai, c'était relou parce qu'en vrai, on était sur Châtelet, il y avait du monde qui passait, c'est un endroit en plus où il y a des gens de ma famille qui peuvent passer par rapport à mes tantes, ma tante qui m'a élevée et tout ça.
Et en vrai, c'était l'humiliation que je supportais moins.
C'était le fait que je suis là, je sors des cours. Donc, ça se voit que je suis vraiment dans autre chose. Et malgré ça, tu m'humilies devant les gens. Et ce jour- là, je me rappelle, j'ai pris la tête pour qu'ils me déplacent...
« OK, vas-y, le contrôle, vas-y, il est fait, vous êtes chauds, vous êtes déterminés, c'est pas grave. Venez, vous devez avoir un poste. À la limite, là- bas, on va s'expliquer ou quoi que ce soit.
Et en fait, non. Ils voulaient que ça soit là, m'écartent les jambes, truc, etc. Ils m'ont plaqué contre le mur. Habituel, poser les mains contre le mur, j'ai écarté les jambes, ils ont commencé à me palper.
Je parlais mal parce qu'en fait, j'étais très énervé. Donc du coup, ça me bousculait. Du coup, j'ai essayé moi aussi de bousculer, mais ils étaient beaucoup. Donc, en vrai, ils prennent très vite le dessus pour me remettre dans la position de base, là, contre les mains, contre les murs. Après, je me souviens comme je pouvais pas riposter physiquement, parce qu'ils arrivaient à me maîtriser.
Et puis voilà, après, on est resté là 15 minutes où ils ont décidé, comme je faisais un peu le mec agité, ils ont décidé que le temps de faire les contrôles sur ton identité et tout ça, tu vas rester dans cette position là.
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