Les chroniques guadeloupéennes #13
Les cendres de la dispute retombent. On s’explique tous ensemble : ma mère, mes deux sœurs et moi.
4 personnes, 4 versions, tellement différentes.
On a beau le savoir, c’est toujours surprenant.
C’est à se demander comment la communication est même possible.
La veille, mon amie si je m’énervais juste pour pouvoir le raconter dans les chroniques...
Bien sûr que non, mais j’avoue que parfois j’y pense.
Ça me rappelle un vers d’Orelsan... dont je me rappelle plus. Je le retrouve plus. Si ça se trouve c’était même pas Orelsan ?
En gros c’est un rappeur qui dit qu’il fait exprès de vivre des trucs tristes pour pouvoir les raconter ensuite.
Bon... c’est un peu nul sans l’original, c’est comme raconter une blague dont on se souvient pas.
Quelques leçons sur le conflit
Je repars de cette dispute avec des choses que je savais déjà :
1 | Une histoire a plusieurs versions
2 | C’est pas parce qu’une personne pleure qu’elle a raison
3 | Renoncer au conflit n’est pas forcément plus “gentil” que d’y aller. Le conflit protège forcément quelque chose. Parfois ce quelque chose c’est quelqu’un.
4 | Si on pouvait lire dans les cœurs, on aurait moins besoin du conflit
5 | Parfois, la seule issue est de trouver une solution qui ne dépende pas de la confiance mutuelle.
6 | On est toujours plus indulgent avec nos fautes, on accepte de soi ce qu’on n’accepte pas de l’autre partie.
7 | La colère pousse à tout interpréter dans son sens.
8 | Si tu dis des gens des choses que tu ne peux pas leur dire en face, tu prends le risque de t'asseoir sur une bombe.
Bien sûr que je juge
À plusieurs reprise on m’a dit : c’est ton jugement. Comme si c’était un argument ultime qui allait me faire dire “ah oui, j’avoue”. Mais je ne comprends pas ? Le concept même d’un conflit est de s’ancrer dans un jugement.
Ça me rappelle le père d’un de vous qui a écrit qu’il ne fallait pas s’embrouiller avec ses amis parce qu’ils ont des valeurs différentes de nous.
Mais ? Vous voulez vous disputer pour quoi alors ? C’est la meilleure raison d’arrêter une amitié.
J’ai vu des gens tweeter qu’il fallait pas arrêter des amitiés à cause de leurs opinions politiques. En prenant en exemple l’extrême-droite. Il faut ne pas être la cible de l’extrême-droite pour dire ça. Bien sûr que je ne peux pas être profondément ami avec quelqu’un qui trouve que mon existence ne va pas de soi.
Encore du poisson fumé
Mélissa me sert du poisson fumé. C’est vraiment de la chair crue à mes yeux. On m’explique que non, c’est un mode de cuisson. Mais je vois du poisson cru.
Je me dis que je vais encore me sentir mal.
Mais en fait, non. C’est bon...
Comme quoi... ça aura pas duré longtemps. Il m’aura fallu une semaine pour revenir dans le déni du rapport entre le cadavre et l’aliment.
Souvent je me dis que je ne pourrai pas remanger de la viande rouge. Mais en fait... c’est sûr que je pourrais. Si j’y arrive si vite sur le poisson, j’y arriverai sur une vache.
Vous mangez qu’une seule fois par jour ?
On est chez Cyril, on discute de tout et de rien. Je ne sais pas comment le sujet arrive sur la table. Mais on parle du changement de mes habitudes alimentaires suite au confinement.
Quand on a décrété le confinement, je me suis senti comme dans la fin du monde. J’ai été acheté des courses pour trois semaines. J’ai même acheté des pâtes de couleur ! Le truc infect que je n’ai évidemment jamais mangé. Mais je pensais vraiment qu’on pouvait manquer de nourriture.
C’est pourquoi, pendant le confinement j’ai décidé de travailler sur mon rapport à la nourriture. Depuis que je suis petit je suis fasciné sur la question. On me dit qu’on peut tenir sans manger pendant des semaines. Mais moi je mange plusieurs fois par jour.
On m’avait déjà expliqué que c’était une habitude et qu’il suffisait de se déshabituer. Le savoir en théorie est une chose, le vivre en pratique en est une autre.
J’ai donc commencé par regarder plein de vidéos sur le jeûne, ses vertus, ses dangers. J’ai essayé de comprendre où en était le consensus scientifique en la matière...
J’ai cru comprendre que c’était plutôt bénéfique ou neutre, à condition de bien s’hydrater. Tenir une semaine n’est pas une performance surhumaine. Le plus dur étant de passer la crise d’acidose :
Notre organisme, alors privé de glucose, va puiser cette énergie vitale dans les réserves lipidiques (c’est à dire les graisses). Les réserves en acides gras du tissu adipeux seront ainsi transformées dans le foie en corps cétoniques.
Ce changement métabolique brutal peut être à l’origine d’une sorte de crise de foie, appelée "crise d’acidose". Elle se manifeste par des maux de tête, des nausées, parfois même des éruptions cutanées... "Il s’agit là d’une réaction normale de notre organisme qui bascule en cétose. Ces troubles passent généralement en 36 à 48 heures au maximum"
Je me suis donc lancé avec mon amie.
J’ai mis du scotch sur le frigo et on a visé 48 heures sans manger.
C’était dur, mais genre immédiatement. Dès que j’ai mis le scotch on a commencé à avoir faim, parce qu’on savait qu’on ne pourrait pas manger. Alors qu’on mangeait déjà une seule fois par jour. Mais savoir qu’on ne pourrait pas...
On a tenu 36 heures. Elle commençait à faire la crise d’acidose et j’étais moi-même bien content d’arrêter.
Depuis... mon rapport à la nourriture a changé : je sais que je peux m’en passer. Ce n’était pas si horrible que ça. Je ne l’ai pas fait en chantant, mais j’ai connu des douleurs bien pire. N’importe quelle maladie est plus désagréable que ça.
On le raconte à Cyril, ça lui paraît lunaire, impossible.
C'est là que je réalise que ce n'est pas courant. Comme je n'ai pas vu grand monde depuis le premier confinement, je n'avais pas eu l'occasion d'en discuter autour de moi.
L'heure du Titanic
On dort sur un matelas gonflable, hyper confortable. Je dirais même qu'il était étonnamment confortable. Dans la nuit je suis réveillé parce que je touche une surface dure : il s'était totalement dégonflé.
Je me demande où est passée mon amie, je lève les yeux : elle dort sur le canapé, elle avait déserté !
Je me sens comme Jack dans le Titanic. Rose m'a abandonné à mon triste sort.
Je dors donc seul par terre, seul en mer.
Demain… on prend le bateau.
On pourrait croire que c’est une fin menée de main de maître, un talent d’écrivain… mais non… je viens de percuter. J’avais fini par « seul en mer »… et en cherchant les photos pour illustrer, je me suis rappelé que c’était la veille du jour où on prenait le bateau pour aller aux Saintes.
PS : j'ai oublié de caser l'épisode des pizzas. On a commandé des pizzas à 20h30... la vendeuse s'est exclamée en panique QUATRE pizzas ? Puis elle a dit qu'elle aurait besoin d'une heure et demie minimum...
Je ne comprends pas... c'est une pizzeria... elle est habituée à en vendre combien ? Comment elle peut être impressionnée par une commande de quatre ?
PS 2 : je voulais trouver une photo pour illustrer. Je réalise que je n’ai pris aucune photo ce jour-là. Ou plutôt j’en ai pris une seule… une photo de photo.
La première fois que j’ai vu cette photo, mes sœurs étaient en train de rigoler devant. Je suis arrivé et je me suis offusqué en disant qu’on pouvait pas rire d’un enfant handicapé. Elles m’ont répondu que c’était pas un enfant handicapé mais une photo de moi, petit.
Je te laisse admirer :