Les autistes sont handicapé·es et ce n'est pas un gros mot
« Je suis autiste, mais je ne suis pas handicapée. »
Si cette phrase t’a déjà échappé, ou qu’elle est restée coincée quelque part entre la fierté et la peur, cette partie est pour toi.
Le validisme chez les adultes autistes se cache souvent derrière un instinct de préservation. On apprend très tôt que le mot handicapé·e ferme des portes. Les employeurs l’évitent, les proches le chuchotent, les médecins le hiérarchisent.
Alors on se met à fuir ce mot, en confondant distance et dignité.
Sauf que… s’éloigner du handicap, ce n’est pas être en sécurité — c’est dissoudre son identité.Le handicap n’a rien de honteux. C’est ton inconfort face à ce mot qui l’est.
Cet inconfort, c’est le résidu de l’eugénisme — cette illusion que la proximité du « normal » protège.Quand quelqu’un dit :
« Je ne vois pas le handicap »,
ce qu’il veut dire, c’est :
« Je ne veux pas le voir. »
C’est la même logique que le « Je ne vois pas les couleurs ».
Les deux effacent les systèmes de domination sous couvert de bienveillance.
Les deux permettent aux privilégiés de rester à l’aise pendant que les autres se tordent pour s’adapter à leur confort.Chaque fois qu’une adulte autiste insiste pour dire qu’elle est « à haut fonctionnement », une hiérarchie se renforce.
Une hiérarchie où certaines d’entre nous deviennent des « sources d’inspiration », et d’autres, des vies jetables.Le validisme intériorisé transforme nos stratégies de survie en symboles de statut. Elle nous convainc que camoufler, c’est maîtriser ; que se taire, c’est réussir ; qu’être agréable est la preuve du progrès.
Mais la vérité est simple : nous sommes handicapé·es.
Certain·es d’entre nous ont simplement plus de ressources, de camouflage ou de tolérance sociale.La vraie fierté ne vient pas du fait de s’éloigner du handicap.
Elle vient de la destruction des systèmes qui ont fait du handicap un mot sale.
Tu viens de lire le début d’un article qui m’a mis une giga-claque :
Le lien entre racisme et rationnalité
C’est dur à comprendre mais y’a un lien très fort entre l’idée qu’il existe une rationalité distincte des émotions et la colonisation. On l’avait déjà vu dans cette vidéo :
L’idée c’est que y’a d’un côté les sauvages et de l’autre côté les civilisés. Les sauvages sont justement ceux qui se laissent déborder par leurs émotions, les civilisés sont ceux qui sont les rationnels.
Ce n’est pas pour rien qu’Hitler adorait le concept de QI. Ça ne veut pas dire qu’il faut balancer le QI par-dessus bord, ça veut dire qu’il faut garder un esprit critique sur la définition de l’intelligence.
L’intelligence et le handicap ont toujours coexisté. Croire le contraire est l’un des mensonges les plus discrets de la suprématie blanche. Ce mensonge affirme que l’intellect appartient aux corps valides, aux personnes verbales, aux diplômé·es.
Il érige la performance et la productivité en culte, en prétendant que savoir s’exprimer équivaut à valoir quelque chose.
Les autistes ont toujours bousculé cette équation.
Notre intelligence se manifeste par la reconnaissance de patterns, la mémoire, l’hypersensibilité sensorielle, la pensée systémique et créative —
des formes que les modèles coloniaux et capitalistes n’ont jamais su mesurer.Et pourtant, le mythe persiste : celui selon lequel être intelligent effacerait le fait d’être handicapée. De ce mensonge sont nées les étiquettes « haut fonctionnement » et « bas fonctionnement », toutes deux conçues pour nous classer selon notre degré de digérabilité pour le confort alliste.
Le concept d’« autisme à haut fonctionnement » n’est pas un compliment :
c’est une stratégie d’endiguement. Une manière d’applaudir la productivité tout en ignorant l’épuisement. C’est ainsi que les entreprises exploitent le génie autistique tout en refusant d’aménager les corps autistes. C’est ainsi que les écoles récompensent la conformité tout en punissant la différence.L’intelligence autistique et le handicap coexistent parce qu’elles n’ont jamais été opposées. Notre intellect n’efface pas nos besoins : il les éclaire.
C’est lui qui nous aide à naviguer dans un monde qui nous comprend de travers à chaque détour.Mais tant que l’intelligence restera attachée à des normes valides, les autistes perçues comme « intelligent·es » continueront d’être traité·es comme des exceptions, et non comme des preuves.
Le mythe de la méritocratie nous dit que si nous sommes assez brillant·es, assez calmes, assez éloquent·es, nous pourrons échapper au handicap. Mais non.
Nous ne le pourrons pas, et nous n’avons jamais été censées le pouvoir.
Le but n’est pas de prouver que nous sommes capables malgré le handicap,
mais de vivre pleinement grâce à lui.La suprématie blanche a inventé la fausse opposition entre intellect et handicap
pour préserver son propre mythe de supériorité.L’idéal des Lumières, celui de la « raison », s’est bâti sur l’exclusion :
seules certaines têtes étaient jugées rationnelles, civilisées, pleinement humaines.Toutes les autres — noires, handicapées, autochtones, neurodivergentes —
étaient placées du côté du manque. L’intelligence est ainsi devenue un outil de hiérarchie, et non une mesure de capacité.Cet héritage structure encore notre manière de parler de l’autisme aujourd’hui.
Quand on prétend que l’intelligence et le handicap ne peuvent coexister,
on répète un cadre colonial qui traite la cognition comme un test de pureté.
« Haut fonctionnement » devient un raccourci pour « plus proche de la blancheur ».
« Profond » devient un code pour « dérangeant·e ».Ces hiérarchies ne sont pas des vérités médicales : ce sont des décisions politiques sur les esprits jugés dignes de patience, de salaire et de protection.
L’intelligence autistique, elle, défie cette structure. Notre reconnaissance de patterns, notre précision sensorielle, notre pensée révèlent à quel point la définition occidentale de l’intellect est étroite. Nombre d’entre nous créons des systèmes, des langages, des œuvres qui échappent aux critères autorisés du « génie ».
Le problème n’est pas que les personnes autistes manquent d’intelligence,
mais que notre intelligence refuse de se soumettre.Réaffirmer la coexistence de l’intellect et du handicap, c’est déconstruire l’idée que la valeur doit être académique, verbale ou agréable.
C’est libérer l’intelligence de la blancheur, du capitalisme, de la performance.
Et c’est la rendre à ce qu’elle a toujours été dans nos systèmes ancestraux : une qualité collective, mesurée à la capacité d’une communauté à se souvenir,
à s’adapter et à survivre ensemble.
La puissance libératrice du mot handicapé·e
C’est le moment où tu cesses de jouer pour des systèmes faits pour mal te comprendre. Quand j’ai commencé à dire : « Je suis autiste et handicapée », quelque chose s’est libéré en moi.
J’ai arrêté de m’excuser pour mes limites, et j’ai commencé à protéger mon énergie. J’ai cessé de prétendre que mon énergie était infinie, et j’ai appris à la reconnaître pour ce qu’elle est : finie, sacrée, et digne d’être préservée.
Pour les personnes autistes, s’accepter comme handicapées, c’est une forme de survie. Cela signifie : « Je suis handicapé·e par les défauts de conception de mon environnement, non pas par les défauts de ma personne. »
Le modèle social du handicap nous enseigne que la différence n’est pas une tragédie. C’est une donnée. Chaque meltdown, chaque shutdown, chaque burnout est un rapport du corps sur ce qui est intolérable. Chaque demande d’aménagement rappelle que l’accessibilité n’est pas un luxe, mais une base minimale.
S’identifier comme handicapé·e, c’est aussi créer de la communauté. Quand tu arrêtes de faire semblant de ne pas avoir besoin d’aide, tu réalises combien d’autres faisaient semblant aussi. La solidarité devient possible dès que la honte sort de l’équation. On arrête de se battre pour paraître fonctionnel·les, et on commence à se relier par la vérité partagée.
Nommer son propre handicap, c’est retirer aux autres le pouvoir d’utiliser ce mot contre toi. C’est faire de la place à une justice inclusive, pas en théorie, mais en pratique. Le paradigme de la neurodiversité n’a jamais été une célébration naïve de la différence : c’est un bouclier pour la protéger.
Revendiquer le handicap, ce n’est pas parler de limitation, c’est parler avec les bons mots, avec précision— celle qui fonde des mouvements au lieu de fonder des mythes.
La normalité n’est pas un but à atteindre
Assumer une identité handicapée, c’est un acte de refus — refus d’être catégorisé·e, minimisé·e ou effacé·e.
C’est dire : « Je suis autiste et handicapé·e. ». Point final. Pas de nuance, pas d’euphémisme (comme neuroatypique), pas de porte de sortie vers la normalité. Cette phrase, à elle seule, est révolutionnaire dans un monde encore allergique à la vérité.
Les aménagements, c’est de l’inclusion. Ce n’est ni un traitement spécial, ni de la pitié, ni un privilège. C’est la reconnaissance structurelle que des corps différents nécessitent des ressources différentes pour s’épanouir.
La rampe n’est pas le problème — ce sont les escaliers, le problème.
Et c’est pareil pour les salles calmes, les délais flexibles ou les ajustements sensoriels. Ce ne sont pas des faveurs : ce sont des moyens d’égalité.
L’acceptation de soi et la libération autistiques commencent là où la hiérarchie s’arrête. Quand on cesse de mesurer notre valeur à notre capacité à ressembler aux allistes, on récupère l’énergie nécessaire pour construire des systèmes qui nous soutiennent.
On arrête de courir après la validation, et on commence à créer des infrastructures.
Revendiquer le handicap, c’est choisir la solidarité plutôt que les apparences.
C’est comprendre que la libération ne vient pas de l’adaptation individuelle,
mais de la lutte collective.Le handicap n’est pas la fin de la fierté : c’est le début de l’honnêteté.
Nous ne sommes pas des versions ratées de la normalité.
Nous sommes la preuve que la normalité n’a jamais été le but.
La rampe n’est pas le problème : ce sont les escaliers
Cette phrase m’a mis une claque. On passe tellement de temps à faire comme si c’était les personnes handicapées qui étaient reloues alors que c’est les escaliers qui sont un système mal pensé.
Okay, à l’Antiquité ça devait être une invention géniale. Mais dans un monde capable de créer des ascenseurs, ça ne devrait pas être acceptable de ne pas les mettre en place.
On revient à ce qu’on a dit toute cette semaine.
Bref, je t’ai traduit quelques passages de l’article, mais y’a encore plein de pépite que tu peux allez découvrir en direct :

