Les autistes doivent refuser la division
Tous les autistes sont autistes
Quand on a dit aux gens qu’il fallait arrêter de dire autistes Asperger car Asperger était un nazi, ils ont fait
Okay, alors on va dire “autiste de haut niveau”.
Mais y’a un souci : le concept d’Asperger est ancré dans l’idéologie nazie et changer le mot en gardant le concept nazi change pas grand chose.
Ça marche pas comme dans Harry Potter avec Voldemort, genre si tu prononces pas le mot alors c’est bon.
Tu peux appeler ça :
Asperger
Autiste de haut niveau
Autiste léger
C’est la même hiérarchie validiste.
Nous devons refuser ce piège.
Le validisme essaie de te flatter
Y’a ça dans tous les mouvement d’oppression. Une fois qu’un groupe commence à revendiquer ses droits, le système répond okay okay on va accepter une partie du groupe.
Du point de vue de l’oppression, cette stratégie permet d’amputer le “cancer” de la libération. En acceptant de concéder uniquement à une toute petite partie du groupe on espère faire taire les autres.
Par exemple, on m’a souvent sous-entendu que j’étais un bon noir.
Quand j’avais 23 ans, un gars de mon école me racontait que les “immigrés” (ça voulait dire les noirs et les arabes) posaient un souci d’intégration et que lui n’avait rien contre eux c’est juste qu’ils posaient un souci de sécurité.
Puis il m’a regardé et a dit “alors que TOI par exemple”... je te laisse imaginer la suite. J’ai un accent parisien, j’ai un bac +5, je porte des marinières... bien sûr que pour lui j’étais un bon noir.
Pareil dans le féminisme. On va entendre “non mais MACHINE c’était une vraie féministe”... et MACHINE c’est toujours une féministe morte.
Le patriarcat ADORE les féministes mortes.
Le patriarcat adore les féministes “modérées”.
D’ailleurs, les féministes ont un mot que je trouve génial pour ça c’est le concept des pick me. L’idée d’une femme qui essaie de plaire aux hommes en reniant le féminisme. Une femme qui dit choisissez moi, je suis pas une de ces meufs chiantes.
Nous devons refuser ce piège.
Les institutions se servent de nous pour légitimer le validisme
Chaque fois qu’un·e autiste fait des efforts pour crier non mais moi je suis pas un autiste profond… c’est tout le monde qui recule.
Parce que c’est fou à quel point les gens adorent se dire autistes légers mais que je n’ai encore jamais entendu quelqu’un se dire autiste profond. J’ai entendu d’autres gens dire que d’autres gens étaient autistes profonds, oui. C’est toujours les autres.
« Comme de nombreux États n’offrent pas une aide adéquate face aux difficultés rencontrées par les personnes autistes, le fait de mettre en avant nos différences devient un bouc émissaire commode sur lequel rejeter la faute. En nous divisant davantage et en participant à ce que Mary Doherty appelle l’hétérogénéité instrumentalisée (weaponized heterogeneity), nous risquons de nuire aux plus vulnérables d’entre nous.
Le handicap est contextuel
Aujourd’hui j’ai fait un cours de sensibilisation à l’autisme dans une école. Des élèves m’ont parlé d’autistes profonds et de niveaux d’autisme (ce qui est normal). J’ai alors répondu :
Prenez une autiste non-oralisante, donc une personne qui ne parle pas à l’oral. Disons qu’elle a une hyper réactivité olfactive, donc un super odorat.
Maintenant prenons moi qui suis oralisant avec une hypo réactivité olfactive, donc quasiment pas d’odorat.
Sans aucun doute, je suis moins handicapé que cette autiste : je peux avoir plein de jobs qui seraient compliqués pour elles, etc. Je ne vais pas nier mon privilège. Mais il est contextuel. Imaginez que maintenant on soit dans une société de chasseurs-cueilleurs, vous pensez qu’il se passerait quoi ? Bien sûr que je deviendrais plus handicapé qu’elle.
Moralité : quand vous me parlez de niveau d’autisme vous voulez en fait me parler de niveau de handicap ET DONC de niveau de compatibilité avec le capitalisme.
Bien sûr qu’une partie du handicap est indépendant du contexte. Mais on surestime cette partie. Comprendre que notre hiérarchie n’est pas absolue est primordial.
L’arnaque : le capitalisme te laisse t’auto maltraiter
Là où c’est très vicieux c’est que cette division va t’encourager à t’auto-maltraiter. Te classer dans les autistes asperger/haut niveau/léger va te pousser à minimiser tes difficultés. Ça te plonge alors dans un paradoxe douloureux : comme tu nies tes difficultés tu te juges très durement quand ton handicap se met en travers de ta route.
Quand tu échoues sur la vie d’adulte tu te vois comme une personne nulle. Quand tu es fatigué·e en permanence tu te dis que tu fais pas assez d’effort.
C’est le rêve pour le validisme : y’a plus rien à faire, tu deviens ton propre manager toxique.
La récupération de la neurodiversité
De la même manière que le capitalisme a compris que le greenwashing lui permettait d’exploiter la lutte écologiste à peu de frais, il a compris qu’il pouvait glamouriser la neurodiversité tout en la démonétisant de sa dangerosité pour lui.
« Le mot neurodiversité se voit peu à peu dépouillé de sa portée politique. La neurodivergence est de plus en plus perçue comme un atout capitaliste.
Les entreprises commencent à se demander comment elles pourraient exploiter les travailleur·euses neurodivergent·es pour accroître leurs revenus. La Harvard Business Review a publié des articles aux titres tels que « La neurodiversité est un avantage concurrentiel », concluant que « les retombées potentielles sont importantes » et que les managers devraient « faire le travail difficile consistant à assembler des pièces de puzzle irrégulières » — les pièces “irrégulières” étant bien sûr les personnes neurodivergentes elles-mêmes.
Certain·es pensent également que le terme neurodiversité gagne en popularité parce qu’il est « préférable à “handicap” ou à d’autres mots porteurs d’une connotation négative similaire ». Cette utilisation de la neurodiversité comme euphémisme trouve sa racine dans le validisme. Elle suppose que le mot handicap doit être évité à tout prix, qu’il serait honteux, ou qu’il serait indésirable de l’associer à son identité.
Non seulement cette récupération trahit les objectifs du mouvement, mais elle insinue en plus que les personnes engagées dans la défense de la neurodiversité auraient honte du mot handicap — ce qui est faux.
En tant que personne autiste attachée aux valeurs qui sont au cœur du mouvement de la neurodiversité, cela m’attriste profondément. La neurodiversité représente une étape importante sur la voie d’un changement social positif, et je ne veux pas que ce potentiel politique soit oublié ou dilué. »
Ça me rappelle cet argument qui m’a toujours fait grincer des dents. Tu sais quand les gens disent des études ont montré que quand y’avait de la diversité dans une entreprise alors elle faisait plus de profit et avait davantage d’innovation.
À chaque fois j’ai envie de répondre et si une étude trouve l’inverse ? Que quand on a plus de diversité on a moins de profits, on fait quoi ? La diversité n’est pas un enjeu de profit mais bien d’égalité de droit et de dignité.
Si nous voulons préserver la dimension politique de la neurodiversité, telle qu’elle avait été pensée à l’origine par celles et ceux qui ont formulé cette idée, alors il existe de bonnes raisons de résister à la glamourisation de ces expériences — un phénomène de plus en plus visible : la création de produits promettant, d’une manière ou d’une autre, d’optimiser ton expérience. Des programmes qui te disent qu’ils vont transformer ton TDAH en super-pouvoir, ou te suggèrent que tu peux devenir une CEO autiste girl-boss si tu suis « ces cinq conseils ».
(…)
Un des dangers de cette approche réside dans la mise en avant des aspects les plus “vendables” de la neurodivergence. Celles et ceux jugés les plus “commercialisables” sont ceux qu’on entend le plus, entraînant une explosion de représentations neurodivergentes qui sont blanches, de classe moyenne, anglophones, et perçues comme non menaçantes et “digestes” par une majorité du grand public.
L’élévation de cette fraction étroite de la population neurodivergente fait peser une attente supplémentaire sur toutes les personnes concernées : celle de se comporter de cette manière. Et quand elles n’y parviennent pas — ce qui est, bien sûr, impossible — elles s’exposent à un nouveau risque de marginalisation.
Dire « Je soutiens les personnes neurodivergentes, mais pas celles dont le comportement me dérange », c’est fragmenter toute possibilité de libération collective, une fois encore minée par la discrimination.
En laissant la vision de la neurodiversité être infiltrée par la logique insidieuse du capitalisme, nous risquons de perdre de vue son objectif premier : la libération de toutes les personnes neurodivergentes.
Cette forme de neurodiversité-là peut — et finira par — abandonner certaines personnes : celles qui ne peuvent pas être exploitées par le capitalisme à cause de leur incapacité à travailler risquent d’être oubliées, leur neurodivergence n’étant pas monétisable. »
Nous sommes autistes et nous ne devons pas abandonner une partie d’entre nous
C’est trop facile d’abandonner les autres en endossant un nom plus cool comme Haut niveau.
En investissant pleinement le mot stigmatisant d’autiste, on protège du même coup les autres personnes concernées et plus vulnérables.
La source
Toutes les citations viennent du même livre : Autism is not a disease de Jodie Hare.
PS - Aujourd’hui à 12h30, j’organise un atelier d’auto-identification autistique, si ça t’intéresse c’est par ici l’inscription : https://nicolasgalita.podia.com/workshop-es-tu-autiste
