Tu as déjà peut-être entendu parler des 5 étapes du deuil ? C’est un modèle qu’on voit souvent dans les séries. Parfois appliqué aux relations amoureuses, parfois appliqué au vrai deuil.
Voici les 5 étapes :
Déni.
Colère.
Marchandage.
Dépression.
Acceptation.
Ce modèle est totalement faux
Comme toutes les légendes urbaines je suis sidéré de voir combien de temps j’y ai cru alors qu’il suffit d’écrire “cinq étapes du deuil” dans Google pour que le deuxième résultat nous montre que c’est faux.
Ne parlons même pas de la page Wikipédia. La première partie décrit le modèle, la deuxième s’appelle “critiques” et commence ainsi :
Les critiques de ce modèle en cinq étapes reposent principalement sur le manque de recherche empirique et l'absence de preuves.
Et il finit ainsi :
Le manque de soutien dans la communauté scientifique ou l'absence d'observation clinique objective a porté certains à considérer le modèle de Kübler-Ross comme un mythe ou un sophisme
Ah ouais quand même…
Pour un truc aussi répandu c’est fou.
Le pire c’est que c’est faux à deux niveaux. C’est pas juste “faux” c’est “faux-faux”.
Le concept de faux-faux n’existe pas, je viens de l’inventer.
Élisabeth Kübler-Ross traitait du deuil face à sa propre mort
La psychiatre qui a proposé ce modèle dans un livre d’anecdotes n’avait pas pour objectif d’étudier le deuil. Elle a étudié la réaction des personnes atteintes d’une maladie en phase terminale.
Autrement dit, la réaction face à sa PROPRE mort.
Et c’est là qu’elle a observé les 5 étapes :
Déni.
Colère.
Marchandage.
Dépression.
Acceptation.
D’un coup ça paraît plus logique. Il est normal de commencer par le déni quand il s’agit de sa mort. Et j’arrive à imaginer ce que peut être l’acceptation de sa propre mort.
Mais en ce qui concerne la mort d’autrui, ce n’est pas systématique. D’ailleurs même le simple mot “acceptation” me semble d’une violence dingue quand on l’applique aux proches de la personne décédée plutôt qu’à sa propre mort.
Prétendre qu’on finit forcément par accepter la mort d’un·e proche est culpabilisant
Et c’est ça que je trouve dramatique dans cette légende urbaine. C’est qu’on finit par faire croire à des gens que c’est pas normal d’éprouver le manque toute sa vie.
On peut passer toute sa vie en douleur de la mort de quelqu’un qu’on aimait. Et c’est normal. Il n’y a rien de cassé chez toi si tu es dans ce cas. Chaque personne fait comme elle peut.
Une étude publiée en 1981 s’est attardée à 193 individus devenus veufs pour des périodes de temps variables. La conclusion : « le stress du veuvage persiste plusieurs années après la mort du conjoint; ces résultats ne confirment pas l’existence de phases d’adaptation distinctes. »
Une recherche du psychologue américain George Bonnano publiée en 2002 s’est concentrée sur 205 individus avant et après la mort de leur époux. Leurs résultats ont démontré que seulement 11 % ont suivi une trajectoire de deuil présumée « normale ».
A l’inverse, on peut aussi ne pas avoir de trauma particulier. S’en remettre très vite. Là encore il n’y a rien de cassé chez toi si tu es dans ce cas. Il n’y a pas 5 étapes à passer qui seraient universelles.
George Bonanno, professeur de psychologie clinique à l'Université Columbia, dans son livre The Other Side of Sadness: What the New Science of Bereavement Tells Us About Life After a Loss, cite une recherche sur des milliers de sujets pendant deux décennies qui conclut que la résilience psychologique naturelle est la composante principale du deuil et qu'il n'y a pas d'étapes à passer. Le travail de Bonanno démontre également que l'absence de symptômes de deuil ou de traumatisme est un résultat sain
Même sur sa propre mort, le modèle est incorrect
Voilà pourquoi je disais que c’est faux-faux, car on a même pas de certitude qu’il fonctionne en ce qui concerne sa propre mort. Notamment parce que les catégories sont arbitraires :
Parce que les étapes sont nées d'anecdotes et non de principes théoriques sous-jacents, elles contiennent une confusion conceptuelle. Par exemple, certaines étapes représentent des émotions tandis que d'autres représentent des processus cognitifs. En outre, il n'y a aucune justification pour des lignes de démarcation arbitraires entre les étapes.
Le danger de croire à ce modèle
Non seulement on peut avoir l’impression que quelque chose cloche chez soi car on ne passe pas par ces étapes, notamment l’acceptation.
Pire encore, il a imprégné les milieux de santé. Si bien que certains professionnels sont convaincus que pour accompagner les personnes en deuil il faut les aider à passer par ces étapes.
Ce qui crée du coup de l’incompréhension quand on constate que ce n’est pas le cas.
Pour aller plus loin
Pour écrire ça, je me suis reposé principalement sur la page Wikipedia du modèle (française et anglaise) mais surtout sur cet article qui décrit très précisément le problème :
https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-5-etapes-du-deuil-faux/
Incroyable. J'y ai cru sans jamais remettre en question ni cherché à trouver la source scientifique.