Les 3 lois de la maîtrise
Hier on a étudié les leviers de l’autonomie. Aujourd’hui on s’attaque à un autre élément de la motivation intrinsèque : la maîtrise.
Le flow
Tu en as probablement déjà entendu parler. Mais il existe un état psychique dans lequel notre productivité décuple : le flow.
Le flow c’est quand tu fais une activité dans le but de l’activité. Il faut également que l’activité soit bien équilibrée en termes de difficulté : ni trop facile, ni trop difficile. Tu atteins alors cet état psychique particulier d’ultra-concentration.
Or… le flow est une récompense en soi. Quand on dit qu’il faut aimer le voyage plutôt que la destination on parle du flow. Par exemple, l’écriture est une activité qui déclenche le flow chez moi. Bien sûr que je suis content quand ce que j’écris est partagé et reconnu. Mais rien que le fait d’écrire est un plaisir, parce que ça me plonge dans le flow.
Le flow c’est la recherche d’un défi, ni trop facile, ni trop difficile, qui va nous transcender.
Le flow c’est l’état temporaire qui va te permettre de développer la maîtrise, état de long terme.
Loi #1 : la maîtrise est un état d’esprit
Je t’ai déjà partagé les résultats des études de Carol Dweck
Selon Carol Dweck, on peut avoir deux visions différentes de sa propre intelligence. Pour ceux qui ont une « théorie de l’entité » (fixed mindset), l’intelligence n’est rien d’autre que cela : une entité. Elle existe en nous, sa quantité est définie et nous ne pouvons pas l’accroître.
À l’inverse, les adeptes de la « théorie incrémentielle » (growth mindset) considèrent que si l’intelligence peut varier légèrement d’un individu à un autre, il est surtout possible – non sans efforts – de l’augmenter.
Pour faire une comparaison avec le monde physique, la théorie incrémentielle considère l’intelligence comme une sorte de force que l’on peut développer, à l’instar d’une force physique augmentée par des exercices de musculation. Pour les partisans de la théorie de l’entité, l’intelligence est plutôt comme la taille une fois adulte : il n’est pas possible de grandir.
Si vous pensez que l’intelligence est une grandeur fixe, alors toute rencontre éducative ou professionnelle devient une mesure de votre propre capacité. En revanche, si vous pensez que l’intelligence est une chose que vous pouvez développer, alors ces mêmes rencontres deviennent des opportunités de progresser.
Dans le premier cas, l’intelligence est une chose que l’on peut montrer ; dans le dernier cas, c’est une chose que l’on peut développer. Ces deux théories débouchent sur deux voies très différentes : l’une mène à la maîtrise, l’autre non.
Raisonnons par exemple en termes d’objectifs. Toujours selon Carol Dweck, il en existe deux sortes : les objectifs en termes de performance et les objectifs en termes d’apprentissage. Obtenir un 20/20 en anglais est un objectif de performance. Être capable de s’exprimer en anglais est un objectif d’apprentissage.
« Les deux objectifs sont tout à fait normaux et sont universels, nous dit Carol Dweck, et l’un comme l’autre permettent de réussir. »
Cependant, un seul mène à la maîtrise. Dans plusieurs études, Carol Dweck a constaté que l’assignation d’un objectif de performance à un enfant (par exemple obtenir une bonne note à une interrogation écrite) était une méthode efficace dans le cas de problèmes relativement simples, mais que cette méthode inhibait souvent la capacité de l’enfant à appliquer des concepts à de nouvelles situations.
Par exemple, dans une étude, Carol Dweck et une collègue ont demandé à des lycéens d’apprendre une série de lois scientifiques en assignant à la moitié d’entre eux un objectif de performance et à l’autre moitié un objectif d’apprentissage.
Les deux groupes de lycéens ayant montré qu’ils avaient assimilé le contenu en question, on leur a demandé d’appliquer leur connaissance à une nouvelle série de problèmes qui présentaient à la fois un lien et une différence avec ce qu’ils venaient d’étudier. Les lycéens à qui l’on avait assigné un objectif d’apprentissage ont alors significativement mieux résolu ces nouveaux problèmes. Ils ont aussi cherché plus longtemps et essayé davantage de solutions. Comme le note Carol Dweck : « Avec un objectif d’apprentissage, les lycéens n’ont pas besoin de s’estimer déjà bons dans un domaine pour s’accrocher et persévérer. Leur objectif est justement d’apprendre, et non de prouver qu’ils sont intelligents. »
Dans un cas on pense que travailler dur est une faille, que ça veut dire qu’on manque d’intelligence ou de savoir. Je rencontre ces gens tellement souvent dans mon métier. Je suis formateur en recrutement et donc on m’appelle pour venir former des équipes au recrutement. Et, parfois, la personne qui manage les recruteurs et recruteuses va me dire :
Non mais ce sont des expert·es, je ne veux pas qu’on leur enseigne la base
Je n’ai jamais compris cette phrase. Quand j’étais enfant j’ai fait plusieurs arts martiaux (karaté, tae-kwon-do, judo) et à chaque fois y’avait cet état d’esprit de le maître c’est celui qui a refait tellement de fois le mouvement basique qu’il le maîtrise à un niveau insensé.
Dans l’autre cas on pense que travailler dur est précisément l’apanage des personnes qui maîtrisent.
Loi #2 : la maîtrise est une souffrance
Même si l’état de flow est merveilleux, le chemin de la maîtrise n’est pas une sinécure. Si c’était le cas, nous serions plus nombreux et nombreuses à le suivre jusqu’au bout. La maîtrise est un chemin difficile. Parfois, et même souvent, ce n’est pas une partie de plaisir.
C’est là une des leçons que le psychologue Anders Ericsson a tirées de ses travaux novateurs. Selon ses termes, « un certain nombre de caractéristiques dont on pensait qu’elles reflétaient un talent inné sont en réalité le résultat d’une pratique intensive d’au moins dix ans ».
La maîtrise – d’un sport, d’un instrument de musique ou d’une activité professionnelle – exige des efforts, de la difficulté, de la peine et de l’énergie sur une période prolongée (non pas sur une semaine ni sur un mois, mais sur des années)
Attention, il faut distinguer souffrance et malheur. Plaisir et bonheur. Plein de plaisirs mènent au malheur. Par exemple les drogues. Alors qu’une souffrance peut mener au bonheur, par exemple la souffrance dans un entraînement sportif.
La maîtrise est donc génératrice de bonheur mais aussi de souffrance.
C’est l’idée de y’a pas de chemin sans souffrance, mais c’est quoi la souffrance que tu tolères le mieux ?
Moi c’est l’écriture et l’enseignement.
Loi #3 : la maîtrise est une quête sans fin
Il n’y a pas un moment où c’est bon tu maîtrises tout.
La maîtrise c’est une courbe où tu t’améliores très vite au début, puis ensuite ça va de plus en plus lentement. Mais ça ne s’arrête jamais, tu peux toujours augmenter ta maîtrise.
Le plaisir est justement dans ce défi imbattable : jusqu’à où je peux monter. C’est ce qui motive les sportifs et les sportives à battre des records en sachant très bien qu’aucun record n’est définitif.
Sans flow, on peut dépérir
La découverte la plus choquante pour moi (et qui contredit l’idée que y’a des gens qui ne seraient pas faits pour l’autonomie) c’est qu’il semble que notre psychée ait un besoin vital du flow.
Csikszentmihalyi, le chercheur qui a découvert la notion de flow a mené une expérience où il s’est arrangé pour priver les participant·es d’éprouver le flow. Interdiction de faire des activités ludiques ou inutiles. Le résultat a été si choquant qu’il a dû interrompre l’expérience :
Les résultats ne se sont pas fait attendre. Dès la fin de la première journée, les participants ont remarqué que « leur comportement devenait plus apathique ». Ils ont commencé à se plaindre de maux de tête.
La plupart ont fait état de difficultés de se concentrer et de « pensées [qui] tournent et reviennent sans mener nulle part ». Certains avaient sommeil, d’autres étaient trop agités pour pouvoir dormir.
Selon Csikszentmihalyi : « Au bout de deux jours seulement de privation […] la détérioration générale du moral était si prononcée qu’il n’aurait pas été souhaitable de prolonger l’expérience. »
Deux jours, 48 heures sans flow, et les participants se retrouvaient plongés dans un état étrangement semblable à un trouble psychiatrique grave. Cette expérience indique que le flow, ce profond sens de l’implication que sollicite Motivation 3.0, n’est pas un luxe mais une nécessité. Nous en avons besoin pour survivre. C’est l’oxygène de l’âme.
Le travail est une source formidable de maîtrise
Une partie de nous sait que, contrairement à l’évidence, le travail peut nous procurer du bonheur.
On a cette intuition quand on cherche un travail passion.
Enfin, une des découvertes les plus surprenantes de Csikszentmihalyi est que les gens ont bien plus de chances d’atteindre cet état de flow au travail que dans leurs loisirs.
Le travail présente souvent l’avantage d’offrir les conditions structurelles des expériences qui génèrent le flow : des objectifs clairs, un retour immédiat et des problèmes à résoudre qui sont bien adaptés à nos capacités.
Lorsque c’est le cas, non seulement nous y trouvons davantage de plaisir et de satisfaction mais nous travaillons mieux. C’est pourquoi il est si curieux que les entreprises et les administrations acceptent que perdurent des environnements de travail qui privent un grand nombre de salariés de ce genre d’expérience.
En veillant davantage à ce que les salariés aient des « tâches idéalement équilibrées », les entreprises peuvent servir leur propre cause tout en enrichissant la vie de leurs salariés.
Csikszentmihalyi avait compris cette réalité essentielle il y a plus de quarante ans quand il avait écrit : “Il n’y a aucune raison de continuer à croire que seul un “jeu” inutile peut être amusant et que les affaires sérieuses doivent nécessairement être une lourde croix à porter. Une fois que nous avons réalisé que la frontière entre travail et jeu était artificielle, nous pouvons prendre les choses en main et nous atteler à la tâche difficile qui consiste à rendre notre existence plus vivable.”
Bien sûr… ça n’est possible que si nous ne sommes pas dans des environnements de travail toxique…
À l’inverse, nous sommes beaucoup à estimer que nous faisons des bullshit jobs, des choses qui ne servent à rien.
Car… il manque une condition cachée pour que la motivation intrinsèque rende heureux : la finalité, le sens.
Si je suis autonome, que je développe de la maîtrise, mais que j’emploie ça pour détruire la société alors je serai malheureux.
Là encore c’est une intuition que tu avais probablement.
Mais ça fait déjà trop long pour cet email… j’en reparle demain si tu es premium. Sinon je te dis à lundi pour un autre sujet.