

Discover more from L'Atelier Galita
Les 2 vrais problèmes de l'école
Je vais faire un truc très prétentieux : je vais expliquer pourquoi je pense que la plupart des débats sur l’école loupent le coche.
Je t’ai déjà expliqué pourquoi je pensais que le fantasme de l’école qui ne s’adapte pas assez au monde de l’entreprise était une horreur.
Maintenant, je vais te dire pourquoi je pense que beaucoup de débats passent à côté de la montagne. Un peu comme si on débattait de toutes les petites fuites d’eau alors que y’a un énorme trou dans le toit.
Ou alors comme si on débattait des quelques millions de la fraude sociale alors que y’a des milliards de la fraude fiscale.
Problème # 1 : Le budget alloué n’est pas assez grand
Voilà. C’est tout.
Comme pour l’hôpital, comme pour la police. La plupart des problèmes découlent, selon moi, de celui-ci.
D’ailleurs, pour l’hôpital personne ne dit :
L’hôpital fonctionne mal : je pense que c’est parce qu’il y a un souci fondamental dans la posture des soignant·es, il faudrait plus de bienveillance.
Ou plutôt, on le dit, mais on ne se concentre pas dessus car on comprend qu’on ne peut pas demander aux soignant·es de la bienveillance quand on les plonge dans des situations précaires et qu’il manque de moyens partout.
Le problème c’est que, quand il s’agit de l’école, les conséquences d’un manque de moyens sautent moins aux yeux.
Personne ne meurt. Par exemple, avant la dernière réforme il y avait une pénurie de professeurs de math. Il y avait énormément de profs de maths qui étaient recrutés sur Leboncoin en vacataire, parce que personne ne voulait être prof de math titulaire. C’est scandaleux. Mais personne ne le voit.
D’ailleurs, pour régler le problème, la dernière réforme a tout simplement enlevé les maths du tronc commun. Il n’est donc plus obligatoire pour les élèves de première et de terminale de faire des maths. Ah bah oui… problème résolu.
Les salaires des profs se sont effondrés.
Certes, les profs gagnent toujours plus que le français moyen. Ce sont toujours des cadres. Mais ce sont des cadres mal payé·es.
D’ailleurs je devrais dire mal payées. Car 67,8 % des profs sont des femmes (85% parmi les maîtresses d’école). Or, on observe ce phénomène dans toutes les fonctions cadres à majorité féminine : le luxe, la communication… Ce sont des fonctions mal payées par rapport aux équivalents : ingénieurs, finance, commerciaux, etc.
Voilà comment on se retrouve avec un salaire de base qui nous met 20ème sur 36 parmi les pays de l’OCDE.


HEC a un budget de 155 millions d’euros pour 4500 étudiant·es.
Les collèges et lycées ont 5,6 millions d’étudiants. Ce qui veut dire que si on investissait autant qu’HEC le fait, ça donnerait un budget de 192 milliards.
Pour info, le budget de l’éducation nationale est de 75 milliards d’euros pour TOUT (primaire, collège, lycée et les sports).
Voilà.
Y’a pas de secret.
On peut dire “ah oui mais à HEC ils font de la pédagogie en classe inversée blablabla”… bah oui mais forcément… ils ont le budget pour.
Quand j’ai dû créer mon école, j’ai été regarder les systèmes qui fonctionnaient le mieux. Comme souvent, je suis tombé sur les systèmes scandinaves. Sauf que… le Danemark et la Norvège dépensent quasiment 8% de leur PIB dans l’éducation. Alors qu’on en dépense 5,5%. Concrètement, à chaque fois qu’on met 1 000€ ils en mettent 1 400€.
En m’intéressant à leur système j’ai découvert qu’ils mettaient deux professeur·es par classe afin d’avoir deux points de vue en permanence et d’avoir la possibilité qu’un prof corrige l’autre et donne raison à la classe.
J’ai essayé ce système dans ma propre école. Ça marche. Mais c’est cher. Ça veut dire payer deux salaires au lieu d’un.
Y’a pas de secret. Le financement.
Idem pour les infrastructures, les bâtiments, l’équipement informatique…
La taille des classes
Un corollaire du manque de budget est le problème des effectifs. La moyenne est désormais de 30 élèves par classe de lycée. Et c’est une moyenne. Ça veut dire qu’il n’est pas inhabituel d’avoir des classes de 35.
Là encore c’est une question de budget. Des classes deux fois plus grandes ça fait deux fois moins de salaires à payer.
Là encore il n’y a pas de secret : la qualité de l’enseignement se dégrade avec le nombre de personnes dans la classe.
J’admire les personnes qui enseignent à 40. Je l’ai fait une fois. Plus jamais. Alors que pourtant j’enseigne dans le supérieur privé donc c’est plus simple.
Problème #2 : dépendre d’une autorité centrale qui n’y connaît rien
C’était déjà le danger contre lequel alertait Condorcet quand on a créé le système scolaire républicain :
S’il fallait prouver par des exemples le danger de soumettre l’enseignement à l’autorité, nous citerions l’exemple de ces peuples, nos maîtres dans toutes les sciences, de ces Indiens, de ces Égyptiens, dont les antiques connaissances nous étonnent encore, chez qui l’esprit humain fit tant de progrès, dans des temps dont nous ne pouvons même fixer l’époque, et qui retombèrent dans l’abrutissement de la plus honteuse ignorance, au moment où la puissance religieuse s’empara du droit d’instruire les hommes.
Nous citerions la Chine qui nous a prévenus dans les sciences et dans les arts, et chez qui le gouvernement en a subitement arrêté le progrès depuis des milliers d’années, en faisant de l’instruction publique une partie de ses fonctions.
Nous citerions cette décadence où tombèrent tout à coup la raison et le génie chez les Romains et chez les Grecs, après s’être élevés au plus haut degré de gloire, lorsque l’enseignement passa des mains des philosophes à celles des prêtres.
Il continue en expliquant que seule une institution scientifique pourrait prendre en main l’éducation. En rédigeant les manuels scolaires.
Or, aujourd’hui ce n’est pas le cas.
Le programme n’est pas décidé par des autorités scientifiques mais par le ministère.
Voilà pourquoi tous les profs sur le terrain disent il faudrait davantage de formation à la pédagogie. Mais que ça ne bouge pas (sans compter le problème de budget cité plus haut).
C’est un problème classique qu’on retrouve également dans les entreprises : quand le management est centralisé et trop loin du terrain pour en comprendre les enjeux. Même en étant de bonne volonté.
Pourquoi les profs reçoivent si peu de formation à la pédagogie ?
Dur à dire, mais je pense que c’est en partie parce qu’il y a une erreur très répandue chez les gens qui n’enseignent pas : croire que le plus important est d’être solide dans sa matière.
Croire que les meilleurs footballeurs font les meilleurs entraîneurs.
C’est d’ailleurs une critique qu’on me fait souvent. Je suis prof de recrutement. Mais je n’ai pas été un recruteur incroyable. Alors on m’attaque là-dessus. Ça me fait rire à chaque fois parce que je sais que je suis un bon prof.
Mon métier c’est pas le recrutement, mon métier c’est l’enseignement. C’est pour ça qu’ici je te propose des formations sur plein de sujets qui n’ont rien à voir : parce que la formation est mon expertise.
L’exemple de l’agrégation
Une prof qui voudrait être mieux payée va devoir passer ce qu’on appelle l’agrégation. Or, en quoi consistent les épreuves de l’agrégation ? On fait passer des épreuves sur des savoirs encore plus pointus de la matière.
Du coup, au lieu de sélectionner les profs qui sont les meilleures dans leur métier on choisit les profs qui en savent le plus dans leur matière…
C’est hallucinant.
Les profs sur le terrain savent quoi faire
L’autre problème d’avoir une autorité centrale loin du terrain c’est que cette autorité ne comprend pas ce qui se passe concrètement. Alors que si on laissait les établissements gérer avec plus d’autonomie, ils auraient probablement des solutions efficaces à apporter.
Là encore… à condition d’avoir un budget.
Mais sommes-nous d’accord pour augmenter les budgets et décentraliser l’enseignement ?
Chaque fois que je regarde un débat sur l’enseignement, je m’arrache les cheveux que je n’ai pas. On parle de tellement de choses qui sont certes vraies mais qui représentent l’épaisseur du trait par rapport à l’énorme montagne du manque de budget…
Quand on acceptera, en tant que société, d’investir dans notre école… elle sera meilleure. C’est cruel de se plaindre que l’école se dégrade quand elle est sous financée. What did you expect ?