Le vrai rap c'est IAM ?
Je ne sais pas combien de fois j’ai entendu quelqu’un me dire non mais moi ce que j’aime c’est le vrai rap, genre IAM.
Et… le problème c’est que je n’écris pas ce texte en 1997.
La dernière fois c’était caricatural :
- Non mais y’a plus de vrai rap ?
- Ah bon, genre quoi ?
- J’sais pas… IAM
- Mais… tu écoutes du rap ?
- Non.
- Alors, du coup, comment tu sais ce qu’est le vrai rap ?
- …
- C’est fou, parce qu’on se permet ça uniquement avec le rap. Personne viendrait donner un avis inculte sur le jazz. On n’oserait pas.
Je vais essayer de clarifier rapidement le problème de ce genre de propos. Même quand il est tenu par des personnes qui ont sincèrement aimé le rap dans leur jeunesse. Car y’a aussi le cas : le vrai rap c’était quand j’étais jeune.
Vous remarquez que c’est marrant comment la vraie musique s’est comme par hasard produite entre les 15 et 25 ans de n’importe quelle personne. Tout simplement parce que c’est vers ces âges que se forment les goûts. Ensuite, c’est plus dur, il faut se forcer.
Vink c’est du vrai rap
Netflix a sorti un télécrochet rap. Une nouvelle star mais avec que des gens qui rappent. Ça s’appelle Nouvelle Ecole. Et, dedans il y avait un rappeur qui s’appelle Vink.
Dire qu’il fait du rap classique serait un peu dur. Ça reste une formule modernisée. Mais il n’empêche que ça ressemble bien plus au rap d’IAM que ce qui est proposé par PNL, Damso ou SCH (et 90% des têtes d’affiche du rap d’aujourd’hui).
Alors que quasiment tous les autres concurrents ont ramené une formule contemporaine, avec un flow moderne.
Sans rentrer dans les détails (que je ne maîtrise pas), les rappeurs utilisaient, avant, un flow binaire (un nombre pair de syllabe entre deux pulsations musicale). Depuis le milieu des années 2010, le flow ternaire (trois syllabes entre deux pulsations) a pris le dessus.
Le tout avec des instrumentales qui se sont ralenties.
Sans compter évidemment, l’utilisation désormais massive de l’autotune, l’effet qui corrige les notes de la voix et qui a amené beaucoup de rappeur à troqué les chanteuses R&B contre leur propre voix, modifiée.
Ça donne une esthétique très différente. Si bien que désormais on appelle Boom Bap l’esthétique de l’époque d’IAM. Et Trap/Drill l’esthétique dominante aujourd’hui.
Est-ce que y’en a une meilleure qu’une autre ?
Absurde.
Ce serait comme dire que les romans écrits avec un narrateur à la première personne sont meilleurs que ceux écrit avec un narrateur omniscient. Ou qu’un film en noir et blanc est en soi meilleur qu’un film en couleur.
Puisqu’il ne s’agit que de l’esthétique elle ne dit rien du talent de la personne. Ni de la valeur artistique de l’œuvre.
D’ailleurs, les rappeurs d’aujourd’hui ont souvent au moins un morceau Boom Bap dans leurs archives (parce que comme c’est le rap classique de leur enfance c’est comme la flûte en musique, on commence par ça pour apprendre). Et c’est marrant d’en montrer un aux gens qui expliquent que le vrai rap c’est IAM. Leur montrer par exemple PNL (ou même JUL) qui rappent dans l’esthétique d’IAM : ils sont choqués. Parce que d’un coup ils ont de quoi comparer. Là où avant leur allergie à l’esthétique contemporaine les empêchait d’écouter.
Mais revenons à Vink.
On a des gens qui se sont insurgés qu’il n’ait pas été en finale. Mais ce qui est flagrant c’est qu’aucun connaisseur, aucun média spécialisé rap n’a tenu ce propos. La plupart s’entendaient sur : ok Vink c’est marrant mais c’est académique.
Alors pourquoi des gens disent que Vink ça c’était du vrai rap ?
Et bah justement parce que c’est académique. Donc ça coche plus facilement les cases stéréotypées.
Par ailleurs, on remarque que les gens qui disent ça c’est du vrai rap désignent très souvent un rappeur blanc. Que ça soit IAM (dont la figure la plus reconnaissable est blanche), Nekfeu, ou Hugo TSR… ça m’a toujours frappé. À l’exception notable de MC Solaar. Ça pose question.
Ensuite, il s’agit souvent d’un jugement qui se fonde uniquement sur le texte. Oubliant que le rap est aussi une musique. Certains rappeurs sont des génies de la musicalité. Niska par exemple, ne raconte pas grand chose d’intéressant dans son texte, certes. Mais son travail est ailleurs : dans l’énergie, dans le choix du flow, etc.
Mais surtout… surtout, surtout : ces gens n’ont pas de goût.
Le goût n’est pas une chose innée ou bien partagée
Comme dit quelqu’un de mon entourage qui se reconnaîtra : tous les goûts ne se valent pas.
Ça sonne snob, mais paradoxalement ce sont justement les gens snobs qui ne le comprennent pas. Souvent une personne snob va être figée dans les goûts qu’elles croient être légitimes.
Je viens de chercher la définition du mot snob (pour voir si je devais pas nuancer mon propos) et je suis choqué. Je crois que j’ai toujours utilisé ce mot sans jamais le définir. Et en fait la définition est : “personne qui admire et imite sans discernement les manières, les goûts, les modes des milieux dits distingués.”
Voilà. Tout est dit.
Une personne snob va répéter qu’IAM c’est le vrai rap parce qu’un jour IAM a été validé par une partie de l’élite. D’ailleurs, ça n’est arrivé qu’après leur apogée, il ne faut pas exagérer. Par définition, les goûts snobs ont toujours 10 à 20 ans de retard. Le temps que ça se diffuse.
Voilà pourquoi ces gens vont encenser le rap classique, le Boom Bap. Parce que c’est l’esthétique du rap que l’élite a reconnu. Pourquoi IAM ? Parce qu’IAM a fait l’unanimité à la fin des années 90. Qu’on ne peut pas se tromper en disant ça c’est bien.
On retrouve ce phénomène avec Diam’s. Alors que, contrairement à IAM, elle fait selon moi un rap qui est déjà dépassé quand elle le fait, un rap tellement scolaire que c’est caricatural. Ici j’ai pris la peine de rajouter selon moi car contrairement à ce que j’ai dit plus haut je sais que c’est un avis qui divise même au sein des connaisseurs.
En tout cas, c’est le recul qui permet de dire avec certitude ce qu’on garde d’un art.
Que fait une personne snob ? Elle regarde ce qu’on lui a dit qui était bien : IAM. Puis elle compare ce qui sort actuellement à IAM. Sauf que, entre temps, l’art a évolué. Si bien qu’elle n’y arrive plus. Le genre est trop différent, c’est comme comparer les peintures des siècles derniers avec les peintures de notre siècle.
Alors… perdue…. la personne déclare que “y’a plus de vrai rap”.
Ça marche évidemment dans tous les arts. Pour les personnes snobs, il n’y a plus de vraie musique, plus de vrai cinéma, plus de vraie littérature…
Ce qu’elles ne comprennent pas c’est que les artistes qu’elles encensent étaient rejetés par les snobs de leur époque.
Ce phénomène n’est d’ailleurs pas exclusif à l’art : Chirac a désormais une image très positive alors qu’il était extrêmement critiqué pendant sa présidence. Pareil pour les militants : Martin Luther King était aussi détesté que Trump. Littéralement. Ce n’est pas une image ou une exagération : le sondage de popularité Gallup existait déjà et Martin Lutjher King avait une côte très basse juste avant son assassinat. Aujourd’hui il fait quasiment l’unanimité.
Faire son propre goût est dur…
… mais ça commence par faire preuve d’un minimum d’humilité. Ne pas se permettre de jugement comme ça c’est le vrai rap si je n’en écoute pas.
Et, si j’en écoute, résister à la tentation de s’enfermer dans le goût de sa jeunesse.
Ça a été un défi personnel pour moi. Avant l’arrivée de Spotify j’écoutais en boucle les trois mêmes artistes : Booba, Orelsan et Keny Arkana.
À ma décharge, j’ai grandi musicalement dans ce qu’on appelle désormais l’âge creux du rap : entre 2005 et 2015.
Mais, du coup, quand ce qu’on appelle désormais le deuxième âge d’or (2015 à … on sait pas encore) est arrivé, j’ai été mis face à la violence du changement d’esthétique.
Je me rappelle avoir entendu Kaaris vers 2015 et m’être dit mais on peut encore appeler ça du rap ? C’est plus du slam, non ?
Ne parlons même pas de Koba La D en 2018 où je me dis non mais faut pas déconner, je me suis habitué au rap à la Kaaris, mais là c’est trop ? C’est ridicule, on dirait Homer Simpson :
Je me suis même demandé si c’était une blague. J’ai commencé à écouter parce que ça me faisait rie. Et… quelques années plus tard, j’écoute régulièrement du Koba.
La boucle est bouclée puisque ma dernière claque cheloue est venue d’un des participants de Nouvelle Ecole (le télécrochet rap) : BB Jacques.
Et là… carrément le mec rappe en décalé sur les temps et ne fait pas de rimes !
J'ai envie d'remettre en question c'qui m'anime
Écrivain, producteur, réal, faut que j'prennе du temps pour oi-m
Les sons, ils s'sont pas fais tout seuls un pur d'amnésia
On a déjà raté l'batеau pour l'Tennessee, l'prochain, c'est pour la Louisiane
Comment ça on fait du rap sans faire de RIMES ??? C’est quoi encore ces conneries ?
Bon bah… là encore… j’ai eu du mal à m’y plonger. Et finalement j’ai écouté ça tout l’été.
Alors… évidemment… tout ce qui prend une nouvelle direction n’est pas forcément bon. Mais quand on n’aime plus ce qui sort dans un art, c’est pas parce que subitement tout est mauvais. C’est parce qu’on laisse son goût se fossiliser au lieu de le travailler.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que ça s’appelle “le goût” : c’est comme le goût culinaire. La première fois qu’on goûte une bière c’est dégueulasse. Il faut persister pour aimer (perso j’ai abandonné).
Mais si ton but est de développer ton goût dans une discipline alors il faut un peu te forcer à goûter de nouvelles choses et attendre avant de statuer que tu n’aimes pas.
Dédicace à ma collègue Marion qui a détesté quand je lui ai fait goûter du Shay pour la première fois, pour quelques semaines après m’écrire “finalement je retire ce que j’ai dit, j’aime bien Shay”.