On adresse beaucoup de critiques à la thérapie psychanalytique. J’ai eu moi-même l’occasion de m’y pencher.
Mais on aborde très peu la notion du transfert.
Je vais donc écrire ce que j’aurais aimé savoir avant.
C’est quoi le transfert ?
C’est toute la question.
Il n’y a pas de définition totalement consensuelle car plusieurs psychanalystes donnent plusieurs définitions différentes.
A l’origine, on désigne des sentiments ressentis envers le/la thérapeute qui ne sont pas cohérents avec la situation. Par exemple ressentir une énorme affection ou au contraire une énorme hostilité. L’explication qu’en donne la psychanalyse c’est qu’on transfère sur le/la thérapeute des émotions associées à d’autres personnes qu’on aime de manière primitive. Principalement les parents.
Le transfert en psychanalyse désigne un processus au cours duquel des sentiments ou des désirs inconscients envers les premiers objets investis dans l'histoire d'un sujet — le plus souvent les parents —, se trouvent reportés sur une autre personne.
Mais c’est là que ça part en sucette (comme souvent avec les théories de la psychanalyse) car l’utilisation la plus courante n’est pas liée aux parents. L’acceptation la plus courante du mot c’est le transfert comme raccourci de amour de transfert :
« Dans bien des cas, poursuit-il, et principalement chez les femmes, et lorsqu’il s’agit d’expliquer des associations de pensées érotiques, la collaboration des patients devient un sacrifice personnel qu’il faut compenser par quelques succédanés d’amour. Les efforts du médecin, son attitude de bienveillante patience doivent constituer des succédanés suffisants. »
Dans cette formulation de Freud, certains trouvent déjà, entre l’amour de transfert et ce « succédané d’amour » que l’analyste devrait être en mesure de donner à son analysant, les prémices de ce que Lacan appellera plus tard « le désir du psychanalyste » ainsi d’ailleurs que la définition qu’il a donnée du transfert comme étant « la mise en acte de la réalité de l’inconscient » dans son lien au désir du psychanalyste. Cette réalité étant posée comme sexuelle.
Et d’un coup c’est plus pareil. Du tout. On passe de l’amour des parents à l’amour romantique. Mais bon… ça se tient quand on croit au complexe d’Oedipe, ça revient au même.
Je vais donc te parler dorénavant du transfert au sens de l’amour de transfert : l’impression d’éprouver des sentiments amoureux envers l’analyste.
Le problème du consentement
Début de l’an dernier… On est un peu plus d’un mois après le début de ma psychanalyse et je suis frappé de plein fouet par le transfert.
J’éprouve d’abord de la honte. D’autant plus que la seule référence que j’avais était la série En thérapie où on nous montre une patiente qui vit un amour de transfert. Mais ça nous est présenté comme une anomalie, comme un truc d’une meuf un peu cheloue.
Je m’étais donc dit que ça ne m’arriverait probablement pas.
J’ai eu envie de le cacher. Mais en même temps : comment suivre efficacement une psychothérapie si on cache des choses à la psy ?
J’ai donc rassemblé mes forces, surmonté la honte et j’ai dit aussi calmement que je pouvais que je vivais un transfert.
Ce à quoi elle a répondu doctement et sans broncher :
Le transfert est le moteur de la cure
Cette réponse m’a laissé bouche bée. Je me suis dit qu’elle n’avait pas compris ce que je disais. Mais j’avais trop honte pour détailler. Ce n’est que la séance d’après que j’ai dit :
Non mais vous avez compris que quand j’ai dit transfert je ne parle pas de projeter mes parents ? Je parle de sentiments pseudo amoureux ?
Réponse : oui, oui.
Et là c’est la colère qui m’a envahi : comment ça c’est le moteur de la cure ? Je croyais que c’était un effet secondaire indésirable et rare. Je suis donc allé me renseigner et en effet :
Freud traite du transfert dès 1895, qu'il considère alors comme un obstacle au travail de l’analyse, avant de considérer qu’il est en fait aussi, de façon paradoxale, à proprement parler, la cheville ouvrière de l’analyse. C’est ce paradoxe qui fait la difficulté de l’approche de ce concept
De ce point de vue, c'est à partir de cette définition lacanienne du transfert comme mise en acte de la réalité de l'inconscient que ce concept d'abord découvert comme obstacle devient la cheville ouvrière du processus analytique, garant de son efficacité.
Oh. Mon. Dieu.
Le pire c’est que j’en ai parlé à une amie qui avait fait une psychanalyse et elle a rigolé en me disant ah oui, oui c’est normal.
Mais ? Est-ce que le monde est devenu fou ? Y’a que moi qui voit le problème ? Comment on peut accepter ça en toute détente ?
Et, malheureusement, quand j’en parlais à des personnes qui faisaient d’autres psychothérapies que des psychanalyses elles me regardaient avec des yeux ronds.
Limite : non mais c’est Nicolas il est un peu artiste-romanesque-torturé-de-base, il exagère.
Encore aujourd’hui je me demande comment on accepte si tranquillement ce concept ?
Je ne parle même pas des tensions que ça peut provoquer au sein du couple…
Mais, avant ça… pourquoi ne pas avertir ?
Car ce n’est pas un effet secondaire : la psychanalyse CONSISTE à créer un transfert pour le résoudre.
Et je ne comprends pas comment on peut provoquer ça sans recueillir de consentement.
Comment le provoquer ?
Toutes les positions avec une personne détenant une connaissance est à même d’engendrer le transfert. Ce n’est pas pour rien s’il y a le cliché des élèves qui s’éprennent de leur prof.
Mais, normalement, l’effet est limité par le fait que la personne qui a le savoir donne suffisamment d’elle-même pour enrayer cette projection.
Moi-même, dans ma pratique, j’ai parfois senti qu’une élève en se confiant à moi développait un lien parental. Sauf que j’ai toujours essayé de le rompre en partageant moi-même des confidences sur ma vie pour me remettre au même niveau. Recréer de l’égalité.
Les psychanalystes, au contraire, l’attisent en prenant une posture mystérieuse.
D’ailleurs dans la saison 2 de En thérapie, le héros (un psychanalyste) va voir une consoeur. A un moment il s’énerve en lui disant grosso modo arrêtez avec le mystère, c’est ce qui crée le transfert et je ne suis pas venu pour ça.
Car, oui, c’est en partie le mystère qui déclenche le transfert. Dans mon cas je sais que y’avait un mélange de plusieurs choses :
Le fait de raconter à une personne des choses que dans ma vie je n’ai racontées QUE à des partenaires amoureuses et/ou sexuelles
Le fait de vivre une relation inédite que notre cerveau ne sait pas classer : dans mon cas par exemple je ne vouvoie personne dans la vie. Mais je la vouvoyais. Et en même temps je lui disais des trucs intimes qu’on se dit uniquement quand on se tutoie.
Le fait de partager son intimité profondément à quelqu’un qui l’écoute attentivement.
Concrètement, c’était quoi le transfert ?
J’imagine que chaque personne le vit différemment. Mais je ressentais effectivement des sentiments pseudo-amoureux. Je dis bien “pseudo” car je me connais suffisamment pour identifier le côté faux du truc.
Comment je sentais la différence ?
Parce que je n’avais pas de libido particulière.
J’avais juste la sorte de piqûre dans l’estomac que j’ai quand je tombe amoureux.
D’ailleurs, j’ai appris récemment que tout le monde n’avait pas ça et ça m’a étonné. Je ne sais pas comment je saurais que je suis amoureux sans ça, c’est vraiment une sorte de point qui s’active uniquement dans ce cas.
En effet, normalement j’ai à la fois les tripes chamboulées ET l’envie de coucher avec la personne.
Là je n’avais que les tripes chamboulées.
J’étais aussi capable de voir quelle était la relation qui se rejouait. Donc ça aidait de me dire tu la prends pour Machine, mais ce n’est pas Machine.
Est-ce un moteur ?
Je ne sais pas.
En effet, ça a été une sorte de hack de mon esprit pour me faire travailler beaucoup plus. A partir du moment où ça s’est déclenché, je passais beaucoup plus de temps pendant la semaine à continuer d’avancer dans la thérapie, à écrire des notes pour la prochaine séance, etc.
Parce que ça me permettait de soulager les pensées obsédantes. C’est, j’imagine, ce que la psychanalyse appelle la sublimation. Je sublimais le sentiment par un travail.
Mais étais-je libre ? Où commence la manipulation (même pour mon bien) ?
Souvent, en séance, je comparais le transfert avec les techniques du Sharingan. C’est un oeil spécial dans le manga Naruto :
Le Sharingan confère aux utilisateurs deux grandes capacités : « L'Œil de la Perspicacité » (洞察眼, Dôsatsugan) et « L'Œil de l'Hypnotisme » (催眠眼, Saimingan)
J’aimais bien cette comparaison car elle renvoie bien la responsabilité du transfert sur l’analyste. C’est bien par l’action d’un oeil hypnotique que je suis plongé dans l’illusion. Je détestais tout ce rituel où on devait faire genre que ça vient de moi parce que mon inconscient décide je-ne-sais-quoi. Je me révoltais à chaque fois en disant que non ce n’était pas de ma faute. Puisque ça ne m’était jamais arrivé avant.
Concrètement ça arrive parce qu’une personne fait exprès que ça arrive. Et cette personne ce n’est pas la personne qui consulte, c’est la personne psychanalyste.
Y’avait vraiment une posture de pompier pyromane qui me dérangeait. On allume un incendie en vous et on vous dit non mais qu’est-ce que ça dit de vous ?
Bah qu’est-ce que ça dit de la psychanalyse surtout ?
Et, oui, cette illusion m’a fait avancer beaucoup plus vite pendant les 2 mois que ça a duré.
MAIS… si j’avais été averti avant, j’aurais probablement refusé.
Ce n’est pas éthique
Voilà pourquoi le transfert me semble manquer d’éthique. En tout cas sans consentement. J’ai d’ailleurs trouvé un mémoire qui abordait rapidement le sujet :
Cette situation pose un problème éthique particulier : Est-il possible d’obtenir le consentement du soi non intégré pour le processus qu’il devra traverser afin de devenir intégré, une sorte de consentement éclairé à la psychanalyse? Une fois que le patient est devenu plus intégré, il est possible qu’il soit reconnaissant des changements qui se sont effectués chez lui, mais cela ne signifie pas qu’il y aurait consenti s’il en avait été averti au départ (Blass, 2003a)
Même avec le consentement je me demanderais si c’est éthique de provoquer sciemment le transfert chez les patient·es. Je sais que ça ne l’est pas dans le métier de prof. Peut-on cultiver des sentiments pseudo-amoureux ou paternels pour que l’élève apprenne plus vite ? Amoureux je pense que tout le monde dirait que non. Paternel… pourquoi pas ? Surtout quand y’a une différence d’âge conséquente.
Mais surtout, sans consentement, ça me semble profondément peu éthique.
Et je vois très peu cette critique de la pratique psychanalytique. En effet, on se concentre souvent sur la critique de la théorie psychanalytique. Mais ça ne me convainquait qu’à moitié : en effet, une fois qu’on observe que les psychothérapies sont efficaces principalement à cause d’une variable (l’alliance thérapeutique), je me disais que la solidité de la théorie importait peu.
Je ne dirais plus ça aujourd’hui car une théorie solide empêche les gens de faire des erreurs sur le terrain. On en a déjà parlé. Notamment sur le fait de respecter les 3 critères de Rogers.
En revanche, on pose très rarement le problème de la pratique psychanalytique (et non plus la théorie) qui certes fonctionne MAIS fonctionne en se reposant sur le transfert.
Est-ce que c’est plus éthique quand on transfert un amour maternel/paternel ou au contraire une haine ? Peut-être. Mais je m’étonne que la question soit si peu posée.
J'ai eu envie d'être l'amie de mes psys presque à chaque fois mais je n'ai pas eu de transfert je crois :o