La semaine dernière on est partis sur un concept particulier, que vous avez choisi : le texte danse avec les photos.
Je vous avais promis une petite explication de texte. C’est parti.
Mais avant ça…
Assure-toi d’avoir tout lu car je vais spoiler.
Pareil, si tu veux les relire avant que je te dévoile mon explication c’est maintenant :
Chapitre 1 : comme tous les enfants, comme tous les parents
Chapitre 2 : le dernier Galita
Chapitre 3 : les maternités sont un manège fade
Chapitre 4 : l’alcool est doux comme la mort
Chapitre 5 : la gloire ne soigne pas les blessures
Le premier chapitre : dans quoi je me suis lancé ?
En finissant d’écrire ce chapitre, je me rends compte que j’ai posé un truc beaucoup trop complexe par rapport à l’exercice. Comment réussir à boucler quelque chose d’aussi fouillé avec 4 textes, semi-improvisés ?
On a d’un côté une histoire en italique, qui est une histoire de revanche. Appelons ce personnage Valérie (parce ça commence comme vengeance). Mais au moment d’écrire, je ne sais même pas encore que c’est une femme.
De l’autre côté une histoire en caractère normal qui est l’histoire banale d’un adulte qui s’occupe d’un enfant. Sauf qu’en vrai, elle vient de le kidnapper. Appelons ce personnage Katia (car ça commence comme kidnapping)
Je ne sais pas encore si Valérie est la mère en question, ni si les deux histoires se passent au même moment.
Mais en finissant, je penche plutôt vers ce scénario : Katia a kidnappé l’enfant de Valérie.
Je n’ai volontairement pas précisé de genre. Donc le lecteur croit probablement que Katia est un homme. Il peut aussi penser que Katia est tout simplement le père de l’enfant et que c’est donc une histoire banale. Comme le suggère les répétitions en mode “comme tous les enfants”.
Deuxième chapitre : la pirouette pour m’en sortir
En fait, je suis incapable de boucler une telle histoire. J’ai donc une idée : et si je proposais une structure circulaire ?
Je sors ma tablette et je commence à dessiner un truc comme ça :
En gros : le chapitre 5, fait référence au chapitre 4, qui fait référence au chapitre 3, qui fait référence au chapitre 2, qui fait référence au chapitre 1 … qui fait lui-même référence au chapitre 5.
Tu remarques que les liens sont dans le sens inverse de la lecture. Ce qui permet de faire un truc déstabilisant.
Le chapitre 2 n’est donc pas la suite du chapitre 1, mais au contraire quelque chose qui va s’y référer.
Concrètement ça donne quoi ?
Ça donne deux personnages : Léna et l’amie de Léna qui sont en train de discuter d’un roman de Galita. On découvre que ce roman est la version complète du chapitre 1.
J’en profite pour introduire des fausses pistes sur le dénouement.
- En fait j'ai deux hypothèses ...
- Raconte ?
- Soit c'est une mère qui retrouve son ex mari pour le tuer car il a fait un truc horrible à son enfant et l'autre femme est en fait la mère de l'ex mari...
- Ah oui du coup y'a un récit dans le présent et un récit dans le passé ?
- Oui, le récit sur l'enfance de l'ex mari servirait donc à montrer la banalité du mal. Ça expliquerait les motifs rythmiques "comme tous les enfants".
- Ok, et la deuxième hypothèse ?
- Ou alors rien à voir et ce sont deux histoires en parallèle dont on comprendra le lien uniquement à la fin. Peut-être que ça se passe exactement en même temps et qu'à un moment les deux histoires vont fusionner.
Remarque : je continue à suggérer que Katia est un homme. Pour cacher le lien final entre les deux personnages.
L’une d’entre vous va d’ailleurs réagir :
Et là je me dis : ça vaaaaaaaa. C’est pas si compliqué que ça : y’a déjà une personne qui a compris l’intrigue.
Ce deuxième chapitre s’ouvre avec une autre intrigue :
- Ouais ... en fait, Élodie est enceinte
- Félicitations !
- Pas vraiment...
Ce qui va déclencher une autre réaction de lecteur :
Je suis rassuré : cette fois-ci la fausse piste a fonctionné. Je voulais effectivement suggérer un adultère.
Troisième chapitre : la pièce centrale
Il ne faut pas que je me loupe, on est sur le milieu de l’oeuvre. Je choisis de faire relativement simple : on va choisir de faire parler Elodie. Celle qui a été citée par Léna comme étant enceinte… Mais sans le dire au lecteur.
Tout l’intérêt du troisième chapitre c’est d’apprendre à la fin que c’est Elodie qui parle. On le sait car elle dit que sa mère s’appelle Léna.
On apprend, du même coup, que Léna est maman. Quand elle dit “Elodie est enceinte” c’est une mère qui va devenir grand-mère qui parle. Alors qu’on aurait pu croire que Léna était en couple avec Elodie.
Anecdote : le prénom des personnages est celui des personnes qui ont envoyé les premières photos.
Et donc ce chapitre 3 nous permet de comprendre qu’en fait Elodie est en couple avec une femme. Que sa mère, désapprouve.
Il se passe avant le chapitre 2, car Elodie y découvre qu’elle est enceinte.
Pour être subtil, je n’ai pas écrit directement “je te hais” quand Elodie parle de sa mère. Mais y’a volontairement une progression géométrique. On commence par l’amour : de la mère à la fille, de la fille à la mère, mais aussi de la femme à sa femme.
Et on glisse irrémédiablement vers la haine.
Notez le point de basculement. La mère hait sa fille et sa femme. Mais pour le moment la fille ne renvoie pas cette haine. Elle reste sur un neutre “j’en ai marre”.
Jusqu’à la conclusion :
Comme je disais, j’ai voulu éviter de faire un truc trop cliché qui commence par je t’aime et finit par je te hais. Donc, plutôt que de finir par “je te hais”, je me suis inspiré de l’ambiance de la chanson d’Eminem :
Ça commence par :
Je suis désolé maman
Je n'ai jamais voulu te faire du mal
Je n'ai jamais voulu te faire pleurer
Mais ce soir, je vide mon sac
Et ça finit par :
N'était-ce pas la raison pour laquelle tu m'as fait ce CD, maman ?
Pour essayer de justifier la façon dont tu m'as traité, maman ?
Mais tu sais quoi… tu vieillis maintenant et il fait froid quand tu es seule
Et Nathan grandit si vite qu'il va comprendre que tu es une hypocrite
Et Hailie est si grande maintenant, tu devrais la voir, elle est magnifique
Mais tu ne la verras jamais, elle ne viendra même pas à tes funérailles
J’ai mélangé ça avec une inspiration de Peter Pan : je n’ai pas besoin d’une maman.
J’ai secoué et ça a donné ça. L’innovation ici c’est que ça finit en remplaçant la haine par l’amour. Plutôt que de dire qu’elle déteste sa mère elle dit qu’elle aime sa femme et son enfant à venir.
Mais… dans le trio, il manque une voix. Sa femme. Comment elle réagit face à cette haine ? Sachant qu’elle n’est pas retenue par le lien familial.
Quatrième chapitre : à quel point les histoires sont liées
À l’origine je voulais que tout, absolument tout soit lié. Que la femme d’Elodie soit en fait Valérie (celle qui se venge dans le chapitre 1). Mais c’était trop compliqué. Et un peu cliché là encore. Ça faisait un peu rédaction de lycéen. Je veux dire… encore plus que ça ne l’était déjà.
On arrive donc sur le quatrième chapitre, qui doit donc faire référence au troisième.
La photo est tellement incongrue (les sept masques) que je choisis vraiment de créer de la matière totalement neuve.
On arrive donc avec Clément (dont on ne connaît pas encore le prénom).
On ne comprend pas trop ce qu’il a. On sait juste qu’il est ivre. Puis il allume la télévision et apprend qu'Elodie est impliquée dans une tentative de meurtre, avec sa femme.
On peut supposer que la femme d’Elodie a essayé d’assassiner Léna. Mais pourquoi ? La question reste en suspens et ne sera jamais élucidée. J’ai quelques idées. Notamment une sorte de miroir de l’histoire du roman.
Cinquième chapitre : le moment de tout boucler
Je ne sais pas si j’y suis parvenu : c’était très court. Sans compter la contrainte des photos.
Mais normalement tout se dénoue ici. On est avec Galita, l’auteur du roman. On a donc la confirmation que tout n’est pas lié. Katia n’est pas Léna. Elle n’est pas non plus la femme d’Elodie. Les histoires n’ont finalement aucun rapport. Puisque Galita a écrit son roman bien avant les faits.
Le lecteur ne saura donc jamais ce qui est arrivé entre Léna, Elodie et la femme d’Elodie, si ce n’est qu’elles sont les protagonistes d’une tentative de meurtre. On sait quand même une chose : le fait divers est suffisamment marquant pour avoir un écho dans la presse nationale.
Et…la fin du roman nous est livrée, brutalement. Ce qui m’a permis d’éviter la galère de développer cette histoire en 5 textes (ce qui est à la fois trop et pas assez).
- Parlons-en justement de votre roman : qu’est-ce qu’il raconte ? On a tous compris que c’est l’histoire d’un couple de femmes qui ont un enfant grâce à un donneur inconnu. Que l’une des deux finit par retrouver le donneur. Pour ne pas trop divulguer l’intrigue à nos spectateurs qui ne l’auraient pas encore lu, je ne vais pas dire qui est le donneur. Mais, en gros, c’est en découvrant qui est le donneur qu’une des femmes entre dans une folie meurtrière.
Bah, vas-y, pendant que t’y es, dis aussi qu’elle tue son enfant et sa femme. Mais que quelque chose se brise chez elle ... que la soif de vengeance n’est pas éteinte. Que le feu en elle la fait sombrer dans la folie. Qu’elle finit par passer une décennie à séduire des femmes qui ont des enfants de l’âge qu’avait le sien ... pour ensuite les assassiner. Encore et encore. Jusqu’à tomber sur une femme qui déjouera ses plans et finira par la tuer.
Pour finir, on apprend que Galita, connaît Clément (ce qui donne quand même un grand liant à tout…j’ai pas pu m’empêcher de faire le lycéen).
On suggère qu’ils sont amants… mais je pense qu’ils sont amis. Il faudrait une suite pour le savoir.
Les personnages
Si je récapitule les personnages principaux sont donc :
Katia (fictive) : kidnappe l’enfant de Valérie et lui envoie la photo. Elle a l’habitude de kidnapper les enfants de ses meufs. C’est une psychopathe qui a sombré dans la folie en découvrant qui était le donneur pour l’enfant de sa première femme. On ne sait pas pourquoi, ni qui il était.
Valérie (fictive) : vient tuer Katia. Elle y arrive, ou du moins croit y arriver. C’est la mère de l’enfant en scaphandre. On remarque au passage que ce scaphandre ne sert à rien de particulier. On voit que j’ai eu du mal à utiliser cette contrainte de la photo.
Léna : maman d’Elodie. Homophobe. Elle lit le roman sur Katia et Valérie. Sa fille est homosexuelle et enceinte.
Elodie : fille de Léna. Elle a fait son coming-out à sa mère qui l’a très mal pris. On ne sait pas exactement à quel moment. Avant ou après l’annonce de la grossesse ?
Clément : copain de classe d’Elodie. Peut-être l’amant de Galita. Au moins son ami. Semble avoir des idées noires. Peut-être à cause de Galita.
Galita : auteur du roman. Inspiré par un scaphandre (comme ça c’est méta).
La chronologie
Il y a trois grands temps forts :
1) 2015 : l’écriture du roman
2) 2019 : début de l’histoire entre Elodie sa femme et sa mère (Léna)
3) 2020 : fin de cette histoire
Du coup dans l’ordre chronologique on a :
Chapitre 1 => Chapitre 5 (première moitié) => Chapitre 3 => Chapitre 2 => Chapitre 4 => Chapitre 5 (deuxième moitié).
En résumé ça donne :
L’histoire fictive se déroule (chapitre 1).
Galita écrit cette histoire (chapitre 5).
Elodie découvre qu’elle est enceinte (chapitre 3).
Léna apprend qu’Elodie est enceinte (chapitre 2).
Clément découvre que Léna a failli mourir de la main de la femme d’Elodie (chapitre 4).
Galita explique son roman et réagit à l’histoire de Léna et Elodie (chapitre 5).
La structure
Dernier détail qu’on a déjà évoqué : la structure. J’avais donc décidé de faire cette structure circulaire, et voilà ce qu’elle donne une fois finie.
Verdict : j’ai presque réussi ! Je dis presque car il y a un problème entre le 4 et le 3 (flèche violette). C’est deux fois le même lien. Et ce n’est même pas le bon : on aurait dû avoir une mention de la télévision dans le chapitre 3.
C’est tout pour aujourd’hui
Maintenant tu sais tout sur cette oeuvre :D. N’hésite pas à venir commenter pour dire si tu avais bien cette histoire en tête. J’annoncerai demain, ou après-demain les gagnants parmi ceux et celles qui ont décidé de jouer au jeu qui consistait à essayer de m’expliquer tout ça avant que je le fasse.
whaou, je suis sidérée que tu aies réussi à imaginer l'histoire et la structure comme ça en moins d'une semaine (à moins qu'une des idées te trottait déjà dans la tête avant ?). C'est ce que j'aime dans la littérature et dans le cinéma. Tu lis la première fois et tu ne comprends rien mais tu sens qu'il se passe un truc. Tu relis et des pièces se mettent en place mais ça reste obscur. Tu fouilles internet pour trouver des analyses et tu t'exclames : aaaahh c'est ça ! du coup tu relis et tu te grattes la tête parce que toi, tu le voyais pas comme ça. Bref, ça reste dans la tête longtemps, et là, pour moi, l'auteur a gagné :)
Excellent comme idée de structure ! Je ne sais pas ce que c'est que d'écrire comme un lycéen, mais en tout cas ça se lit bien.
C'est pas le genre de texte où on se dit d'emblée ("aaargh comme le style est mauvais")(ce qui m'est arrivé une fois au début de la saga twilight's il y a x années).
Félicitations pour avoir réussi malgré la difficulté, à retomber sur tes pieds.