Jamais un thème avait été aussi franchement choisi.
EJ’ai été surpris. Surtout que c’est un exercice spécial que je propose : vous raconter un livre. En effet, cette semaine : rien ne va venir de moi. Même quand je ne mettrai pas de guillemets parce que je paraphrase. Je vais résumer, mettre en forme mais je ne vais rien créer. Toute la pensée viendra d’Angela Saini dans son livre :
Inferior: How Science Got Women Wrong-and the New Research That's Rewriting the Story
“Les femmes ont moins de libido que les hommes”
On est en 1978 et des professeurs en psychologie vont imaginer une expérience pour trancher un débat avec leurs étudiant·es : les hommes sont-ils plus ouverts au sexe casual que les femmes ?
On est donc à l’Université de Floride et des volontaires vont aller aborder des étudiant·es de cette manière :
Je t’ai vu·e sur le campus, je te trouve très attirant·e
Ensuite, il y a une proposition de date (rencard) et enfin de sexe dans une chambre du campus. Tout ça dans la même interaction.
Résultats ? Sans appel.
Les hommes et les femmes ont le même taux d’acceptation d’un date suite à cette invitation. En revanche, si 75% des hommes acceptent la proposition de sexe, c’est le cas pour 0% des femmes.
Zéro.
Aucune étudiante n’a accepté la proposition. D’ailleurs, certains refus ont été rugueux : mais c’est quoi ton problème ?
Alors que les étudiants hommes qui ont refusé, l’ont fait en s’excusant.
Il a fallu plusieurs années avant que cette étude ne fasse l’objet d’un article publié dans une revue scientifique. Et c’est en 1989 que sort cette bombe : les femmes sont plus réticentes au sexe que les hommes, on en a la preuve.
Après tout, cela confirmait parfaitement ce que tout le monde pensait déjà savoir sur la sexualité et les sexes. Les hommes sont naturellement polygames et se battent contre la nature lorsqu'ils s'engagent dans des relations à long terme. Les femmes sont monogames et toujours à la recherche du partenaire idéal.
Selon certains biologistes, cela revient à dire que les hommes et les femmes ont des désirs fondamentalement différents. Ils sont coincés dans une lutte évolutive sans fin : les mâles chassent indistinctement n'importe quelle femelle afin d'augmenter leurs chances d'engendrer le plus grand nombre d'enfants, et les femelles tentent d'échapper à l'attention indésirable des mâles en recherchant soigneusement le meilleur père pour leur progéniture.
Charles Darwin lui-même a inscrit cette observation dans la pierre scientifique en 1871 dans son célèbre ouvrage "La descendance de l'homme et la sélection en fonction du sexe".
Cette explication, on l’entend encore aujourd’hui. Car, cette étude est devenue un classique de la psychologie. Et ce n’est pas SI vieux, 1989.
Des couacs dans la machine
Sauf que… l’explication évolutionniste a vite donné des signes de faiblesse. Après tout, ne pourrait-on pas dire qu’au contraire une femme a intérêt à coucher avec plein d’hommes pour qu’aucun ne puisse être certain d’être le père, afin que tout le monde s’occupe de l’enfant ?
Au-delà de ça… plein de femmes scientifiques ont commencé à s’interroger : 0% ? Alors que nous connaissons tous et toutes des femmes qui ont du sexe casual.
Ce n’est pas toujours un homme qui fait croire qu’il veut s’engager pour coucher. Y’a bien un pourcentage de femmes qui s’engagent sciemment dans du sexe casual.
Alors, en 2013, deux scientifiques refont l’expérience. Mais en changeant le protocole.
Déjà, ils ont changé les contextes. Plutôt que de faire que sur un campus, ils l’ont fait aussi dans des bars par exemple.
Les résultats ont été similaires à l’expérience originale : les hommes et les femmes acceptent le date à taux égal, mais les hommes sont davantage à accepter le sexe.
Mais déjà on avait plus le 0%.
Et là ils ont l’idée de le faire en laboratoire. Pourquoi ? Parce qu’ils soupçonnent que ce sont bien des normes culturelles et des dangers potentiels qui influent sur le résultat. Que se passerait-il dans un environnement garanti 100% safe ?
Ils voulaient faire croire à leurs sujets qu'ils étaient invités à avoir de vrais rencards avec de vraies personnes, ils ont donc concocté une ruse élaborée basée sur une étude sur les rencards. Ils ont montré à chacun dix photographies d'inconnus du sexe opposé et leur ont dit qu'ils voulaient tous avoir un rendez-vous ou des relations sexuelles avec eux en particulier.
S'ils acceptaient de se rencontrer, ils le faisaient dans un environnement sûr, et l'équipe de Baranowski et Hecht filmait la première partie de leur rencontre. Tous les hommes participant à l'étude ont accepté de sortir avec au moins une des femmes photographiées et d'avoir des relations sexuelles avec elle.
Pour les femmes, le chiffre était de 97 % et, contrairement à la première expérience, "presque toutes les femmes ont accepté d'avoir des relations sexuelles", précise Baranowski.
Dans leur article, ils notent que cela prouve que les différences entre les hommes et les femmes sont nettement moins marquées dans un environnement non menaçant.
Ce n'est peut-être pas la biologie qui a freiné les femmes dans l'expérience de Floride, mais d'autres raisons, très probablement sociales et culturelles, comme la peur de la violence ou un double standard moral.
Baranowski et Hecht ont toutefois remarqué une différence entre les sexes en laboratoire : les femmes avaient tendance à choisir moins de partenaires parmi les photos qui leur étaient proposées. Comme Brooke Scelza l'a constaté chez les Himba en Namibie, les femmes étaient plus sélectives que les hommes, mais pas plus chastes.
En d’autres termes, la première expérience reflète uniquement le comportement d’une femme étudiante d’un campus universitaire avec tout ce que ça implique d’enjeux de réputation et de violences.
Le biais de confirmation
Il y a plein d’exemples dans le livre, mais je trouve que c’est celui qui illustre le mieux la thèse : la science est influencée par le sexisme.
Car c’est dur de séparer son opinion et les données.
Quelle que soit la neutralité de la présentation initiale de l'information, les gens ont tendance à mobiliser les stéréotypes et les associations qui prévalent dans une culture", explique-t-elle. Cela fait partie de la nature humaine.
Nous avons tendance à interpréter les nouvelles informations en les classant par catégories, en utilisant la compréhension que nous avons déjà, même si elle est empreinte de préjugés.
Un autre facteur qui pousse les gens à se comporter de la sorte est que nous aimons justifier le système social dans lequel nous nous trouvons.
Si tout le monde autour de nous pense que les femmes sont moins rationnelles ou moins douées que les hommes pour les parkings, la moindre information renforçant cette hypothèse sera gravée dans notre esprit. Les recherches qui confirment ce qui semble évident nous paraissent justes. Tout ce qui contredit “l’évidence” est rejeté comme aberrant. C'est pourquoi nous avons du mal à accepter les théories qui remettent en cause les stéréotypes de genre.
On le voit avec le mythe des femmes dangereuses au volant. On a beau avoir les statistiques qui montrent que les hommes sont trois fois plus dangereux… ça reste.
L’effet de la presse
Oui… encore la presse qui gâche tout.
Un des soucis c’est que, pour les financements, les universitaires ont intérêt à produire des études qui vont faire du bruit dans les médias.
Or…
Gina Rippon estime que la recherche sur les différences entre les sexes continue de souffrir d'une mauvaise qualité de recherche parce qu'elle reste un sujet hautement brûlant.
Pour les scientifiques et les revues, une étude sexy sur la différence de sexe peut être synonyme de publicité mondiale instantanée. La grande majorité des expériences et des études ne montrent aucune différence entre les sexes, affirme-t-elle. Mais ce ne sont pas celles qui sont publiées. Je décris cela comme un iceberg. Il y a la partie émergée, la plus petite mais la plus visible, parce qu'il est facile de faire publier des études dans ce domaine.
Mais il y a aussi une énorme partie sous l'eau, où l'on n'a pas trouvé de différence". Les gens finissent par ne voir que la partie émergée de l'iceberg - les études qui renforcent les différences entre les sexes.
En conséquence, les chercheurs sont fortement incités à s'engager dans des pratiques de recherche qui rendent leurs résultats publiables rapidement, même si ces pratiques réduisent la probabilité que les résultats reflètent un véritable ... effet", poursuivent-ils. Ils ont souligné que la "faible puissance statistique" était un "problème endémique" dans les neurosciences. En résumé, les scientifiques sont poussés à faire de mauvaises recherches, notamment en utilisant de petits échantillons de personnes ou en amplifiant des effets réels, afin de pouvoir donner l'impression d'avoir des résultats sexy.
Ce n’est pas conscient, mais c’est un effet massif. Une étude qui dit on a pas trouvé de différence entre les hommes et les femmes aura très peu de viralité.
Deux exemples de mythes répandus par la presse
Non seulement, les scientifiques ont tendance à produire de la recherche de mauvaise qualité pour obtenir un effet sexy, mais en plus, les journalistes en rajoutent une couche en surinterprétant cet effet déjà surestimé.
C’est par exemple ce qui a eu lieu avec le mythe selon lequel les femmes sont multitâches et les hommes monotâches. Il est super ancré. Je suis toujours surpris. Même des amies féministes vont le reprendre. Probablement parce qu’il a un côté valorisant.
Mais moi c’est un de mes chevaux de bataille parce que le multitâche est corrélé à la dépression et génère en moyenne 30% de perte de productivité… peu importe le sexe.
D’où ça vient ?
D’une étude qui avait trouvé que les cerveaux masculins et féminins étaient différents.
Lorsque l'article a été publié, les médias ont été aidés par un communiqué de presse envoyé par l'école de médecine de l'université de Pennsylvanie, conçu pour traduire les résultats en termes que le public pourrait mieux comprendre. En l'occurrence, ce communiqué contenait des affirmations qui allaient bien au-delà du contenu de l'article.
Il affirme que les différences de câblage cérébral mises en évidence par Ruben Gur et ses collègues indiquent que les hommes sont plus aptes à effectuer une seule tâche, tandis que les femmes sont plus aptes à effectuer plusieurs tâches à la fois.
Ruben Gur lui-même m'a avoué qu'il n'avait vu aucune preuve scientifique à l'appui de cette affirmation, et il n'est pas sûr de savoir comment elle s'est retrouvée dans le communiqué de presse.
C’est fou, parce que le même Ruben Gur continue à être dans le camp de ceux qui clament qu’il y a bien un cerveau masculin et un cerveau féminin, que nous sommes complémentaires et autres conneries.
Pourtant… même lui ne sait pas pourquoi on a intégré le multitâche dans cette histoire.
On a un autre exemple de mythe avec la testostérone. L’idée selon laquelle la testostérone génère l’agressivité, hors comme les hommes en ont plus ce serait pour ça qu’ils sont plus agressifs.
Là encore… on ne comprend pas bien d’où vient la légende urbaine :
En 2008, l'ancien trader de Wall Street John Coates, neuroscientifique à l'université de Cambridge qui étudie la biologie de la prise de risque et du stress, a décidé de vérifier si le cliché selon lequel les salles de marché sont des antres de la masculinité alimentés par la testostérone était vrai. Il a prélevé des échantillons de salive sur des traders et a constaté que lorsque leur taux de testostérone était supérieur à la moyenne, leurs gains étaient également supérieurs à la moyenne.
Une autre étude réalisée en 2015 par une vaste équipe de scientifiques britanniques, américains et espagnols a révélé que la testostérone ne rendait pas les traders plus agressifs, mais simplement légèrement plus optimistes.
Et lorsqu'il s'agissait de prédire les changements de prix à venir, cela pouvait les encourager à prendre un peu plus de risques. Richard Quinton affirme lui aussi n'avoir constaté aucun lien entre la testostérone et l'agressivité chez ses patients, malgré le stéréotype selon lequel la testostérone rend les gens plus violents. Je ne sais pas trop d'où ça vient", me dit-il. Une légende urbaine, probablement ?
Tout ça est encore récent
1989 pour l’étude sur la libido…
En 1945, Harvard acceptait enfin les femmes. Pareil… ce n’est pas si vieux, des personnes de cette époque sont encore vivantes au moment où j’écris. Jean-Marie Le Pen avait déjà 17 ans !
Supprimer le sexisme de la loi ne le supprime pas des esprits
C’est comme pour le racisme, le fait d’avoir ouvert les études aux femmes, n’a pas immédiatement éradiqué le sexisme des têtes.
Dans une étude publiée en 2012, la psychologue Corinne Moss-Racusin et une équipe de chercheurs de l'université de Yale ont exploré le problème des préjugés en science en menant une étude dans laquelle plus d'une centaine de scientifiques ont été invités à évaluer un CV soumis par un candidat à un poste de directeur de laboratoire.
Tous les CV étaient identiques, sauf que la moitié d'entre eux étaient présentés sous un nom féminin et l'autre moitié sous un nom masculin. Lorsqu'ils ont été invités à commenter ces employés potentiels supposés, les scientifiques ont évalué ceux qui portaient des noms féminins comme étant nettement moins compétents et moins faciles à embaucher. Ils étaient également moins disposés à les parrainer et leur offraient des salaires de départ bien inférieurs.
(…)
Le sexe des participants n'a pas influé sur les réponses, de sorte que les professeurs hommes et femmes étaient tout aussi susceptibles de faire preuve de préjugés à l'égard de l'étudiante. Les préjugés sont tellement ancrés dans la culture scientifique, suggèrent leurs résultats, que les femmes sont elles-mêmes discriminatoires à l'égard d'autres femmes.
Et encore… ça c’est la barrière pour les femmes qui parviennent jusque là. Mais beaucoup sont empêchées bien avant… à cause de leur maternité.
Le sexisme n'est pas seulement le fait des hommes à l'égard des femmes. Il peut s'inscrire dans la trame d'un système. Et dans la science moderne, ce système a toujours été masculin.
L'UNESCO, l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, qui tient des statistiques mondiales sur les femmes dans les sciences, estime qu'en 2013, un peu plus d'un quart des chercheurs dans le monde étaient des femmes.
En Amérique du Nord et en Europe occidentale, ce chiffre était de 32 %. En Éthiopie, elles n'étaient que 13 %. En général, les femmes sont présentes en grand nombre au niveau de la licence, mais leur nombre diminue au fur et à mesure qu'elles gravissent les échelons. Cela s'explique, du moins en partie, par l'éternel problème de la garde d'enfants, qui pousse les femmes à quitter leur emploi au moment précis où leurs collègues masculins travaillent davantage et sont promus.
Lorsque les chercheurs américains Mary Ann Mason, Nicholas Wolfinger et Marc Goulden ont publié un livre sur ce sujet en 2013, intitulé Do Babies Matter : Gender and Family in the Ivory Tower, ils ont constaté que les mères mariées de jeunes enfants aux États-Unis avaient un tiers de chances en moins d'obtenir un poste de titulaire que les pères mariés de jeunes enfants.
Il ne s'agit pas de dire que les femmes sont moins talentueuses. Les femmes célibataires sans enfant ont 4 % de chances de plus d'obtenir ces postes que les hommes célibataires sans enfant.
La science fonctionne par échantillon
Enfin, il y a une faille de la science mais qui est, en l’occurrence dans sa définition même. Je veux dire que les choses qu’on a vues jusque là sont des dysfonctionnements. Là c’est normal.
Cette faille c’est le fait de reposer sur des échantillons.
Avec le mauvais échantillon tu peux conclure que tous les Cygnes sont vraisemblablement blancs. C’est pour ça que la science ne dit pas le vrai mais bien le corroboré. Plus quelque chose est corroboré plus son niveau de fiabilité augmente.
Ce qui veut dire que toutes les études n’ont pas le même poids. Quand une nouvelle étude sort, elle a un niveau de crédibilité proportionnel à la rigueur de son protocole.
Par exemple, il n’y a pas d’erreur grave dans l’étude sur le campus de Floride. L’expérience a été menée correctement.
Ce qui n’est pas le cas d’un expérience de 1945 du même ordre mais sur des animaux qui est racontée dans le livre. Là on avait vraiment des erreurs dans l’expérience et le recueil des données, qui ont falsifié le résultat.
Sauf que… l’expérience a été menée sur un échantillon particulier : des personnes dans une université américaine.
Quand on la reproduit en laboratoire, on a un résultat différent.
Le fait que la recherche soit répliquée est crucial. De nombreux travaux dans le domaine de la psychologie, même les plus largement diffusés dans la presse, ne l'ont pas été. Si un certain nombre de scientifiques indépendants parviennent aux mêmes conclusions, sur la base d'études différentes portant sur un large éventail de personnes, il est beaucoup plus facile de se fier aux résultats. De nombreux résultats de recherche ne sont jamais reproduits et sont probablement faux", déclare Hines.
C'est ainsi que fonctionne la science. On ne peut pas étudier le monde entier, il faut donc prendre un échantillon, qui peut être représentatif ou non.
C'est tellement important pour Hines qu'elle va jusqu'à m'avertir qu'elle n'est même pas sûre de la fiabilité de certaines de ses propres recherches, parce qu'elles n'ont pas encore été répliquées ailleurs.
La source
Comme je te le disais au début : tout vient du livre d’Angela Saini. Et, plus précisément, du chapitre 6 : Exigeantes mais pas chastes, pour le début.
Malheureusement, il n’y a pas de version française du livre. Mais tu peux le retrouver en version numérique et papier dans tous les endroits habituels.