On continue dans la lignée des best of avec ce qui est probablement mon plus grand classique.
Pourquoi certaines personnes disent que le racisme anti-blanc n’existent pas ? Alors que d’autres soutiennent mordicus le contraire ? Qui a raison ? J’ai commencé cet article en étant persuadé qu’il était stupide de dire que le racisme anti-blanc existe. Je le finis en me rendant compte qu’il s’agit, en fin de compte, d’un souci de définition.
Si vous pensez savoir ce qu’est le racisme sans l’avoir vécu dans votre peau cet article va vous énerver. Mais ne partez pas : ça vous évitera peut-être de vous embarrasser en public. Vous ne vous en rendez pas compte mais vous êtes souvent ridicule comme un puceau qui donne son avis sur le Kama Sutra. Vos amis sont trop gentils pour vous le dire.
Comme beaucoup de sujets, la vision médiatique du racisme nous empêche de comprendre la réalité quotidienne d’un individu lambda. Comme la vision médiatique du viol vous empêche d’en comprendre la réalité. La plupart des viols sont commis par quelqu’un que la victime connaissait. Ne pas le savoir vous fera dire énormément de bêtises dans les discussions. Même si vous êtes de bonne volonté vous pouvez être très maladroit et blesser les personnes qui ont vécu le sujet.
J’ai récemment lu Lettre à l’ado que j’ai été. Une des artistes y raconte que quand elle était ado, elle s’est inventé une première fois pour ne pas confesser sa virginité. Première fois qui a duré…six heures. Je me rappelle de mon collège : ça m’aurait paru crédible à l’époque. Mais n’importe quelle personne sachant de quoi elle parle lui rira au nez.
Et bien c’est pareil avec le racisme. On se trahit vite. Quand quelqu’un vous dit “je n’ai jamais vu de racisme” ou “moi je n’ai jamais eu de comportement raciste” alors il trahit sa méconnaissance. Il essaie de penser un sujet charnel depuis sa position de spectateur.
Ce n’est pas grave en soi, c’est même normal et inévitable. Ce qui est étonnant c’est à quel point cette idée semble être violente auprès des gens intelligents. Plus on est intelligent et plus on a l’arrogance de croire qu’on peut comprendre un sujet par la pensée seule.
Achetez un tutoriel pour apprendre à jouer au foot, lisez tout, jusqu’à pouvoir le réciter par cœur…puis dites-moi si vous êtes prêt à jouer une finale de coupe du monde ?
Vous voilà désormais averti. Rentrons donc dans le vif du sujet. Le racisme prend 5 formes différentes dans notre société. Voyons ensemble ces 5 dimensions.
Dimension #1 : le racisme bienveillant
Je commence volontairement par cette dimension car c’est la plus lourde, la plus socialement acceptée. C’est pourquoi on l’appelle aussi “le racisme ordinaire”.
Il s’agit d’un ensemble de comportements qui vous renvoient à votre différence mais sans hostilité. Si vous ne deviez comprendre qu’une seule dimension c’est celle là. Car le racisme bienveillant est insidieux. Il n’existe pas d’individu qui soit un raciste bienveillant. De la même manière que de râler de temps en temps ne fait pas de vous un râleur. Nous participons à ce phénomène sans être ce phénomène. La distinction est importante : elle permet d’arrêter de s’offusquer quand quelqu’un essaie d’exprimer son malaise. Je parle d’expérience de cause : j’ai très mal pris la première fois qu’on m’a souligné mon sexisme bienveillant.
Le reconnaître est compliqué : j’ai mis six mois à accepter que ne pas faire le ménage autant que ma copine faisait de moi un relais du sexisme. Pourtant, je me comportais exactement comme avec mon dernier colocataire masculin : on vivait dans la saleté et le premier qui craquait faisait le ménage. Est-ce de ma faute si elle craque toujours avant moi ? Non. Est-ce de ma faute si pendant toute sa vie, tous les hommes avec qui elle cohabitera lui laisseront faire le ménage ? Non. Est-ce que je la traitais différemment d’un homme ? Non.
Et c’est ça qu’il est fondamental de comprendre dans le sexisme ordinaire : mon comportement n’a pas besoin d’être malveillant pour constituer une brique de sexisme dans la vie de l’autre. Voilà pourquoi on n’a pas besoin d’être sexiste pour être un relais du sexisme. Voilà pourquoi on n’a pas besoin d’être raciste pour être un relais du racisme.
Quand quelqu’un me fait une blague raciste, pour lui, c’est la première. Dans ma vie c’est la millième (et toujours la même en plus). Le contexte et l’historique changent tout.
Quand je coupe la parole à une femme et que statistiquement on coupe davantage la paroles aux femmes, ce n’est pas de ma faute. Je ne suis pas sexiste. Je ne suis pas malveillant. En revanche, dans l’expérience de vie de la personne, ce sera une pression sexiste.
Il est fondamental de dissocier le racisme (ou le sexisme) de la malveillance. Quand quelqu’un me dit que j’ai la danse dans la peau parce que je suis noir, il n’est pas malveillant. Parfois c’est pour rigoler, parfois il le pense vraiment. Il n’empêche que c’est bel et bien un préjugé racial.
Quand un camarade de classe entend une langue africaine, se retourne vers moi et me demande spontanément “tu comprends ce qu’ils disent ?” c’est de l’ignorance, pas de la malveillance. Quand je lui réponds “non désolé, je ne parle pas le langage universel de la Noirie” et qu’il s’excuse, il prend conscience de sa gaffe. Il n’est pas raciste. Il n’empêche que dans ma vie ce sera un épisode de plus de la pression raciale.
Quand tout le monde utilise le mot “black” comme si le mot “noir” était sale, comme si c’était honteux et bien ce n’est pas par racisme. Pourtant…je le vis comme une pression raciale. J’ai envie de leur crier que le mot n’est pas sale. Mais il n’y sont pour rien.
J’insiste : il faut absolument déconnecter de toutes nos têtes les comportements et les individus. Quand une camarade d’Erasmus me dit “ahah on voit tes dents dans le noir”, elle ne le fait pas par malveillance. Mais elle sera la première d’une longue série de cette vanne identique et déprimante.
Pendant qu’on y est parlons de l’humour raciste. Premièrement, si quelque chose est une moquerie ce n’est pas de l’humour. Qu’est-ce que la moquerie ? Faire rire aux dépens d’une personne qui vous entend. Peu importe le sujet. Si vous riez d’une caractéristique positive ou neutre en face d’une personne, vous êtes en train de vous moquer. Si vous riez d’une caractéristique négative (ex : le surpoids) d’une personne en face d’elle alors là c’est le stade ultime de la moquerie : vous êtes en train de l’humilier.
Deuxièmement, si vous n’êtes pas un professionnel de l’humour vous marchez sur des oeufs : si l’humour raciste est raté alors il ne reste plus que la partie raciste. Vous devrez alors assumer les conséquences d’avoir raté votre blague. Comme pour toutes les blagues d’ailleurs. Si vous mettez un seau d’eau au-dessus de la porte de votre soeur et qu’en ouvrant elle se prend la tranche du seau sur le front et s’assomme, vous ne pourrez pas dire “oh ça va ! C’était pour rire !”. Vous devrez assumer d’avoir tenté une blague dangereuse. Vous n’aviez pas l’intention de l’assommer. Mais c’est trop facile de vous dédouaner.
Troisièmement, les humoristes professionnels talentueux utilisent tous la même astuce : faire rire du racisme et non pas de ses victimes. Sans compter que les humoristes professionnels bénéficient d’un contexte très particulier : les gens sont venus pour rire. Faites exactement les mêmes blagues à un enterrement et observez les réactions. Un humoriste n’a pas besoin de dire qu’il rigole : ça fait partie du contrat. Donc quand Desproges vous dit “c’est vrai que certains juifs ont manqué de respect à l’égard de l’occupant nazi”, vous SAVEZ qu’il se moque de l’antisémitisme et non pas des juifs.
Enfin, le rire est déclenché par l’anormal. Si une situation est normale elle ne vous fera pas rire. Imaginez si on passait toute la journée à étouffer de rire parce que des gens marchent normalement dans la rue. En revanche, on va rire si quelqu’un glisse sur une peau de banane sans se blesser. Quand vous riez de la couleur de peau de quelqu’un (“ahah tu ressembles à du chocolat”) alors vous trahissez votre vision de la normalité.
Voilà pourquoi un humoriste talentueux se moque du racisme : ce faisant, il le désigne comme anormal.
Dimension #2 : le racisme hostile
Rdv demain pour la suite
Ça doit être la 5e ou 6e fois que je lis ce contenu et c'est toujours aussi clair, bien écrit et génial. C'est par cet article que je t'ai découvert à la base et je ne regrette RIEN 😁