Tu m’as déjà entendu dire que tout le monde était imprégné par le racisme.
Le problème avec cette phrase c’est que parfois les gens comprennent ah ok, tout le monde est raciste contre tout le monde.
Non.
Le racisme a un sens : il est dirigé contre les personnes non-blanches. De la même manière que le sexisme est dirigé contre les femmes.
Parfois des gens me racontent que la Guadeloupe est un endroit où on vit le racisme antiblanc. Mais concrètement ce sont juste des gens qui sont mal à l’aise d’être des blancs en minorité. Puisque, quand on analyse les lieux de pouvoir : l’économie est tenue par des blancs (les békés, descendants de colons).
J’ai un ami qui est récemment allé en Guadeloupe pour la première fois, faire un reportage dans une grande banque. Et il m’a dit qu’il avait été choqué de voir que tous les employés étaient noirs mais que tous les cadres et patrons étaient blancs.
Alors qu’on est dans un endroit où plus de 80% des gens sont noirs.
Donc, même en Guadeloupe, c’est plus facile d’arriver à une position de pouvoir quand on est blanc.
Mais revenons à cette idée selon laquelle tout le monde serait raciste contre tout le monde.
Une abonnée l’a formulé ainsi :
Y’a une réflexion que je me suis souvent faite : l’être humain semble programmé dans son ADN pour naturellement rester entouré de gens qui lui ressemblent, qui sont du même clan, de même village, de la même région du même pays, etc.... comme si se rassembler entre personnes semblables constituerait (à tord selon moi) un élément de sécurité pour soi et sa famille.
J’ai l’impression que les parents de n’importe où dans le monde préfèrent si possible que leur enfant se marie avec une personne de la même culture/religion/ethnie etc... du coup ma question : est ce qu’on a pas un biais inconscient, voir génétique, qui pousserait l’être humain à agir ainsi ?
Merci pour le courage d’avoir posé cette question. On va essayer de décortiquer tranquillement.
La diversion du sens du racisme
Cette impression que tu as pourrait s’appeler le syndrome de qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu. Ou le syndrome Pocahontas.
L’idée selon laquelle… au final tout le monde est un peu raciste contre tout le monde.
Ce récit est extrêmement dangereux et a pour fonction sociale de déculpabiliser les personnes blanches.
Tu vois ce qu’est le patriarcat pour le sexisme ? Le système global ? Et bah le patriarcat du racisme ne s’appelle pas le blanciarcat mais… la suprématie blanche.
Ce n’est pas pour rien.
C’est parce que quand le racisme est inventé on classe la race blanche au sommet.
C’était la première fois que les humains étaient intégrés au règne animal, au même titre que les souris et les insectes. Linné définit en 1735 quatre variétés pour le genre Homo : Europaeus, Americanus, Asiaticus et Africanus.
Ou, chez Gobineau :
« Les deux variétés inférieures de notre espèce, la race noire, la race jaune, sont le fond grossier, le coton et la laine, que les familles secondaires de la race blanche assouplissent en y mêlant leur soie tandis que le groupe arian, faisant circuler ses filets plus minces à travers les générations ennoblies, applique à leur surface, en éblouissant chef-d'œuvre, ses arabesques d'argent et d'or. »
En français normal ça veut dire que la race blanche est la race supérieure (versus la race noire et la race jaune) et que sa mission est de bonifier les deux autres.
Il n’existe pas d’équivalent de cette théorie.
Je répète : il n’existe pas d’équivalent de cette théorie.
La colonisation est venue de l’Occident. Pas d’autre part.
Le racisme a été généré en Europe. Pas autre part.
Les personnes blanches ont davantage de préjugés racistes
D’ailleurs ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, on mesure que les personnes blanches ont davantage de préjugés racistes que les autres.
Au total, 61% des participants blancs associaient avec plus de facilité des personnes blanches avec des mots liés aux humains («personne», «homme», «humanité»...), et les personnes noires avec des mots liés aux animaux («créature», «bête»...).
Cette proportion grimpait même à 69% lorsque des personnes blanches devaient comparer leur propre groupe avec des personnes asiatiques, ou hispaniques. Les résultats étaient similaires pour tous les âges, les niveaux d'éducation et les religions.
Mais les personnes conservatrices et les hommes avaient tendance à davantage faire cette association entre «Blancs» et «humains».
Les personnes non-blanches ne présentaient elles pas de biais favorisant leur groupe comparé aux personnes blanches. Mais elles avaient tendance à davantage associer les personnes blanches à des attributs humains, par rapport à un autre groupe ethnique minoritaire (différent du leur).
Tout est dans la dernière phrase : les personnes non-blanches vont avoir tendance à avoir des préjugés dénigrants sur les autres personnes non-blanches et non pas sur les personnes blanches.
Le racisme a été inventé
L’autre souci de la question d’origine c’est cette tendance à surestimer l’inné dans nos explications. On utilise beaucoup la notion de génétique sans la comprendre.
La génétique c’est un peu la physique quantique du siècle dernier : un concept que tout le monde connaît sans bien le comprendre et qui permet au charlatan de faire gober n’importe quoi.
On a déjà vu que le racisme a été inventé pour justifier l’esclavage et non l’inverse :
Même si les observateurs de l’époque sentirent dès les années 1530 que ce nouveau système était différent de l’esclavagisme de la Méditerranée, ils n’avaient pas encore recours au racisme pour le justifier. Les mariages entre Noirs et blanches n’étaient pas encore interdits. Le roi du Portugal anoblit au moins un roi africain et les Noirs pouvaient devenir officiers dans l’armée espagnole. Autant de phénomènes qui devinrent impensables deux siècles plus tard.
(…)
Dans les pays qui ne participaient pas encore au système sucrier, il était très clair que l’esclavage des Noirs était moralement répréhensible. En 1571, le parlement de Bordeaux déclara que liberté serait rendue à tous les Noirs et Maures débarqués en tant qu’esclaves dans le port car '“la France, mère de la liberté, ne tolère aucun esclave”
C’est dommage France, tu étais très bien partie !
Tout le monde, parmi les non-esclavagistes, voyait les Noirs comme des êtres humains à part entière et leur mise en esclavage comme complètement immorale. Pour les trafiquants, la justification était toujours religieuse. Jusque dans les années 1660, on continuait à affirmer qu’il valait mieux être esclave d’un chrétien que de rester un païen libre
Au gré des conversions d’esclaves au christianisme, la justification morale de l’esclavage s’effondrait. Il était hors de question pour les planteurs de libérer les esclaves convertis, cela aurait limité leurs profits. Il fallait un nouvel argument pour rendre le système sucrier moralement tenable. Les progrès de la médecine et de la biologie au 17e siècle ouvraient une nouvelle avenue intellectuelle. Les savant·es commencèrent à classifier le monde et à diviser le règne animal en genres et en espèces.
S’il y avait plusieurs espèces d’animaux, pensèrent certains, peut-être y avait-il plusieurs espèces d’hommes ? En voyant que les blanc·hes installé·es dans les colonies produisaient des enfants et des petits-enfants blancs, les théories sur les origines de la couleur de peau s’affinèrent. L’idée d’une hérédité des traits physiques et moraux fit son chemin.
Tupoka Ogette, une écrivaine allemande, le dit un peu plus clairement encore : “Le racisme existe parce que les blancs voulaient pouvoir dormir tranquille”
Si le racisme a été inventé c’est bien la preuve qu’il ne peut PAS être inné.
Encore une fois, faire croire que le racisme est inné c’est une diversion pour empêcher de traiter le problème.
Le racisme mute
Le fait que le racisme ne soit pas inné est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle c’est qu’il y a eu un monde avant le racisme, donc il peut y avoir un monde post-racisme.
La mauvaise nouvelle c’est que c’est un virus qui mute très souvent. Et c’est un des soucis de la lutte.
Chaque fois que j’essaie de parler de racisme à quelqu’un il me balance des conceptions du siècle dernier. Alors qu’entre temps le racisme a eu le temps de prendre d’autres formes.
Par exemple le fait de dire je ne vois pas les couleurs ce qui permet de maintenir le statu quo.
Ou alors de dire que ok y’a pas de problème de race mais y’a un problème de culture.
Ou bien de faire passer le dénigrement par le biais de l’humour, comme on a vu hier.
Ou bien de se scandaliser parce que la Petite Sirène est jouée par une Noire.
Les humains ne naissent pas racistes, ils apprennent à l’être
Ils apprennent que les blancs sont au sommet, les noirs tout en bas, et les autres entre les deux (ou au même stade, selon les sociétés).
Mais il n’apprennent jamais que les blancs sont en bas. Jamais.
Mais surtout ils l’apprennent.
Via les médias, via l’école, via les discours politiques.
Avant de finir je reviens sur une partie de la question :
J’ai l’impression que les parents de n’importe où dans le monde préfèrent si possible que leur enfant se marie avec une personne de la même culture/religion/ethnie etc...
Non. Pas n’importe où dans le monde. Je ne connais pas toutes les parties du monde, mais je peux dire qu’en Guadeloupe on a longtemps dit d’un enfant métis qu’il était chapé. Ce qui veut littéralement dire qu’il peut s’échapper de sa condition de Noir.
Ça ne se dit plus du tout aujourd’hui mais ça montre qu’ être blanc c’est valorisé dans quasiment tous les endroits du monde.
Le racisme a un sens. Une direction.
Il faut arrêter avec le mythe de Pocahontas (celle de Disney) et se rappeler de Pocahontas (la vraie) :
Disney ne raconte absolument pas l’histoire de Pocahontas telle qu’elle s’est réellement déroulée et la déforme même complètement. Du coup, on ne peut prétendre que Disney reprend simplement une histoire vraie, c’est faux. Pocahontas avait entre 10 et 11 ans lorsqu’elle a rencontré John Smith et il n’y a eu aucune histoire d’amour entre les deux.
De plus, il est loin d’être avéré qu’elle l’ait sauvé de quoi que ce soit. Je ne vous résume pas toute l’histoire, car ça serait long et sans grand intérêt pour mon propos ici, mais il est peut-être pertinent de savoir que durant la vie de Pocahontas, les colons blancs ont décimé et dispersé le peuple Powhatan, et se sont accaparés leur terres.
Quand on nous montre dans la chanson Des sauvages que les deux camps sont racistes, on se fout de notre gueule.
D’un côté les colons qui chantent
Il n'y a rien à faire, avec ces païens d'Indiens !
C'est une race de vipères, de bons à rien !
Il faut tuer ces bêtes, d'une balle dans la tête(…)
Tous des sauvages, des sauvages
Même pas des êtres humains
Jusque là… assez représentatif de la réalité historique. C’est la pensée des colons.
Puis en face, les Powhatans chantent :
Nous avions raison,
L'homme blanc est un démon.
Le seul dieu qu'il adore encore,
C'est l'or !
Dessous sa peau de lys,
Ses vices se glissent.
Ils sèment la mort sans remords !
Tous des sauvages, des sauvages ...
Même pas des êtres humains !
Des sauvages, des sauvagesDes tueurs sans cœur !
Jusque là… c’est également une bonne description même si on sent déjà la giga-arnaque : on nous met dans la réalisation une sorte de miroir pour nous faire croire que l’hostilité des colons est comparable à celle des Powhatans.
Et… le foutage de gueule le plus total :
Ils ne sont pas comme nous,
Méfions-nous de ces voyous !
Battons les tambours de guerre !
Tous des sauvages, des sauvages ...
Comme si la motivation des “indiens” Powhatans c’était la différence d’apparence ?! Absolument pas. Ils défendent leur terre contre des envahisseurs.
Leur prêter une forme de racisme inversé c’est vraiment se moquer du monde et essayer d’atténuer la cruauté des colons.
Les sources
Toujours le livre Voracisme pour les passages sur l’invention du racisme.
Et le blog Le cinéma est politique pour les passages sur Pocahontas
Encore un mail d'utilité publique ! Merci beaucoup.