Le petit achat qui a changé ma vie #1
Abonnés, abonnées,
Hier vous avez voté assez largement pour le format C, c’est-à-dire les achats de moins de 150€ qui ont le plus changé ma vie. Je m’en remets donc à la volonté du peuple.
Je suis ingrat d’avoir mis du temps à y penser
Quand j’ai dépouillé vos votes j’ai été content de voir que vous aviez choisi l’achat. Mais, forcément, les achats qui me sont venus le plus spontanément sont les achats les plus récents.
Une intuition en moi me disait que j’avais forcément un objet qui avait changé ma vie au milieu de ma vingtaine puisque c’est le moment où j’ai le plus changé de vie.
À 24 ans j’étais : chrétien, monogame, omnivore, entrepreneur, j’habitais en banlieue et je voulais un enfant. L’année d’après j’étais athée, polyamoureux, végétarien, salarié, j’habitais à Paris et je ne voulais plus d’enfant.
On peut dire que j’ai fait une vraie crise des 25 ans.
Autant dire que j’ai eu beaucoup de changements dans ma vingtaine. À 18 ans je pensais être un humain fini. Aujourd’hui, j’ai du mal à me reconnaître dans celui que j’étais.
Mais le premier changement a eu lieu encore plus tôt. Il a eu lieu peu de temps après que je quitte la Guadeloupe pour habiter à Evry.
Et, en l’occurrence, on est vraiment pile dans le format. C’est littéral : c’est vraiment un achat qui a changé ma vie. C’est pas métaphorique ou indirect. L’impact est encore présent aujourd’hui, tous les jours.
Houston, on a un hic
En école de commerce, j’étais membre d’une organisation qui s’appelait Le Gala Télécom. Comme son nom l’indique, elle avait pour but la tenue d’un gala de l’école. Je t’épargne les détails mais on a organisé une soirée sur une péniche.
Le river’s king pour les connaisseurs.
Mais y’avait un hic…
À cette époque je m’habillais comme un sac.
J’en étais même fier. Je disais que ça permettait de voir les personnes qui jugeaient sur l’apparence plutôt que la “beauté intérieure”.
J’avais été traumatisé par l’uniforme au collège (l’uniforme au collège était une pratique courante en Guadeloupe). On devait porter un jean et un tshirt orange. Sauf que dans le règlement y’avait écrit que le tshirt devait être à l’intérieur du jean. Pourquoi pas, si tout le monde le fait ? Mais personne ne le faisait. Or, mon père insistait pour que je respecte le règlement. J’ai donc passé toute mon année de sixième avec le tshirt à l’intérieur, le jean monté haut et mon cartable de primaire alors que tout le monde avait un sac genre quicksilver.
Je suis en train de découvrir le concept qui s’appelle l’adultisme. Cette tendance qu’on a à s’imaginer que les enfants sont des êtres inférieurs à qui on impose de l’arbitraire. Alors, je le dis à tous les parents qui me lisent : si votre enfant vous crie que tout le monde a un sac à dos et qu’il ne veut pas un cartable, il faut l’écouter. Après tout, vous choisissez également comment vous vous habillez.
Je comprends qu’il faille aider l’enfant à ne pas céder à tout. Je suis content que mes parents m’aient expliqué qu’ils ne souhaitaient pas dépenser de l’argent dans des habits de marque Nike ou Adidas. D’ailleurs, je n’insistais pas à l’époque. Mais, le cartable était une question vitale. Même si un adulte ne peut plus le comprendre, il faut faire confiance : l’enfant sait. Ce cartable m’a attiré les moqueries constantes. Je l’ai gardé jusqu’en 5ème. Ça semble dérisoire à un adulte, mais au collège ça compte, énormément.
Du coup, dès que je suis arrivé au lycée et qu’il n’y avait plus l’uniforme je me suis rué sur le pantalon qui ressemblait le moins à un jean et que je connaissais : le jogging.
Mes années jogging
Au grand désespoir des gens qui me côtoyaient, j’ai donc porté des joggings en permanence. Mais quand je te dis des joggings, c’est des joggings affreux. Je ne mettais vraiment que ça.
Ça me paraît surréaliste de l’écrire mais je ne portais vraiment QUE ça.
Quand je voulais être sur mon 31 pour voir ma copine de l’époque, j’avais ce que j’appelle désormais mon costume du gettho. Mon ensemble trois pièces de la misère :
Voilà. La crème de la crème de ma garde-robe. Jogging, tshirt, sweatshirt.
Comment faire une soirée péniche sous le thème de l’élégance ?
Comme je te disais, je devais donc faire une soirée gala. Il y avait, par conséquent, l’idée de venir avec une tenue élégante. D’habitude j’ignorais les dress code des soirées. Je venais avec mon jogging et voilà. Quand vraiment je voulais aller au top du top je mettais mon baggy. Mais c’est tout. Hors de question de faire autre chose.
Sauf que là je faisais partie de l’équipe organisatrice.
On a donc été dans un C&A ou un H&M pour trouver des tenues. Je suis alors tombé sur un chapeau.
Je l’ai mis.
Je suis tombé instantanément amoureux.
J’avais une tête à chapeau ! Miracle.
Car je savais pertinemment que je n’avais pas une tête à casquette…
Mais ça marchait avec les chapeaux !
J’ai donc acheté ce chapeau.
Sans compter que ça cachait mon début de calvitie : c’était parfait.
Je l’ai acheté pour la soirée. Je ne l’ai plus jamais quitté.
Or, forcément…
Le chapeau n’allait pas avec le reste de ma garde-robe
J’ai donc commencé par acheter un jean (enfin). Puis tout le reste a suivi : les polos, les tshirts ajustés plutôt que super amples…
Surtout que je choisissais des couleurs qui allaient avec le chapeau, donc ça permettait de ne plus m’habiller de toutes les couleurs les plus improbables.
J’ai aussi gagné en assurance sur mon physique. Bien s’habiller permet aussi d’être mieux dans sa peau. Parce que j’ai commencé à avoir des compliments.
Mais surtout… moi qui pensais que jamais je pourrais intéresser des personnes du sexe opposé… j’ai commencé à avoir un effet chapeau en boîte de nuit.
Qu’est-ce que l’effet chapeau ?
C’est simple : le chapeau donne un prétexte facile aux gens pour vous aborder.
Donc j’ai commencé à avoir plein de personnes (hommes comme femmes d’ailleurs) qui se sont mis à me parler spontanément en soirée. Déjà que je suis le genre de personne qu’on aborde dans la rue… là je suis devenu le genre de personne qu’on aborde en boîte.
Parfois c’était une tentative maladroite (et un poil raciste) genre “ooooh tu ressembles trop à Michaël Jackson / Pharell Williams”. Ouais… bof. Un noir avec un chapeau quoi. Mais peu importe : on me parlait et c’était une révolution dans ma vie.
D’autres fois c’était “j’adore ton chapeau”, tout simplement.
Ou alors carrément : une meuf s’emparait de mon chapeau par surprise.
En Pologne, une meuf a tenté la technique de drague suivante : prendre mon chapeau et le lancer le plus loin possible au milieu de la foule. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans sa tête pour qu’elle se dise que ça pouvait marcher. Justement… en parlant de la Pologne…
L’arrivée de la Pologne
Cet effet était relativement léger en France même si ça faisait une grande différence dans mes soirées. Quand je raconte on dirait que c’était tout le temps, mais non. Peut-être une à deux fois par soirée.
La Pologne a amené ça à un autre niveau. Ça arrivait minimum 10 fois par soirée.
Sans compter qu’en Pologne, je rentre en boîte, tout le temps. Si je ne suis pas ivre, je rentre. Ils n’ont pas le truc de t’es Noir, tu rentres pas. Parce qu’ils n’ont pas d’immigration. En Pologne, même les Kebabs et les restaus Japonais sont tenus par des polonais. La population quand j’y étais : 96% de polonais d’origine, 2% d’allemands, 2% de russes.
Du coup, même si j’y ai vécu mes épisodes les plus violents de racisme hostile (des gens qui me crachent aux pieds en me voyant)… j’y ai aussi vécu à l’abri de certaines dimensions omniprésentes en France.
D’autant plus qu’en Pologne on me voit avant tout comme un français. Ce qui n’est pas le cas en France. Quand je dis à un polonais que je suis français il dit “ah ok”. Il ne continue pas en me disant “non mais avant ça ?”. Parce qu’il entend mon accent et que j’ai un accent français à couper au couteau que ça soit en anglais ou en polonais.
Chaque fois que je dis przepraszam (pardon, en polonais), les gens ont une tête attendrie. En mode “oh mais cet accent français !”. Je ne sais d’ailleurs toujours pas comment le dire correctement. Car, quand je demande de m’expliquer la prononciation on me dit que c’est mieux si je garde mon accent.
Tout ça pour dire qu’en Pologne j’allais en boîte du lundi au jeudi. Une fois sur deux le vendredi, et parfois le samedi. Autant te dire que j’y allais énormément. Je suis probablement davantage allé en boîte en Pologne sur six mois que dans tout le reste de ma vie.
Le chapeau est alors devenu vraiment mon meilleur ami. J’ai pris un énorme boost de confiance en mon apparence.
Dans mon milieu professionnel
L’autre bénéfice du chapeau c’est que je suis devenu super reconnaissable dans le milieu professionnel. Dans le microcosme de mon secteur professionnel (le recrutement) on m’appelait l’homme au chapeau. On venait me voir en conférence plus spontanément car ça faisait un sujet de conversation. On me décrivait comme ça, etc.
Forcément ça donne un signe distinctif.
Je suis convaincu que certaines personnes se sont intéressés à ce que j’écrivais uniquement à cause du chapeau, même si c’était un effet indirect du genre : oh mais c’est qui lui avec le chapeau dans la salle ? Nicolas Galita ? Et il fait quoi ? Ah il a un blog sur le recrutement ?
Combien a coûté ce chapeau ?
Je ne sais pas. Moins de 20€, c’est sûr.
J’ai arrêté de le porter en 2017.
En juin 2017 j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit “tu es très beau et tu es encore plus beau sans le chapeau”.
Ça a été un électrochoc.
Je ne pensais pas que quelqu’un pouvait penser ça.
À ce moment, j’ai décidé de me raser les cheveux (alors que ça me terrorisait) et je n’ai plus remis le chapeau. Peut-être quelque fois en soirée. Alors que de 2011 à 2017 je l’avais vraiment porté quasiment tous les jours.
J’avais oublié tout ça
Voilà pourquoi je disais au début que j’ai été ingrat d’avoir mis du temps à y penser : j’ai oublié ce pan si important de ma vie.
C’est, de loin, l’achat de moins de 150€ qui a le plus changé ma vie.
Sauf si j’en oublie un autre de mon adolescence.
Je vais essayer de creuser mes souvenirs d’ici demain…