Bon, hier encore vous avez reçu l’email en double. C’est très pénible. Mais la bonne nouvelle c’est que ça devrait être désormais corrigé. Apparemment il y eu deux vagues de bugs.
Ceci étant dit voici le dernier épisode de cette saison 1 d’emails politiques.
La famille politique sans candidat·e
Hier je te disais que les gens ne sont pas perdus. Ils votent selon leurs valeurs. Approximativement certes, mais ça suffit. Ce n’est pas comme si on devait choisir entre 100 candidat·es et qu’il fallait dire précisément qui est le plus proche de ses valeurs.
Il y a 12 candidatures. Et encore… plus le temps avance et plus le nombre se resserre puisque y’a des candidatures qui n’ont plus la moindre chance d’arriver au second tour.
Au début de l’année on pouvait raisonnablement se dire que Zemmour pouvait y arriver par exemple. Depuis la séquence de la guerre en Ukraine, c’est fini pour lui.
Donc en termes de résultat sur l’élection, je suis complètement en désaccord avec le truc de mais le problème c’est que les gens lisent pas les programmes.
Ça vient du fait qu’on croit que les gens votent selon leurs intérêts et donc on comprend pas qu’ils votent contre leurs intérêts.
Mais ça on l’a déjà vu. Alors pourquoi je reprends la plume sur le sujet ?
Parce que je vais mettre un bémol à ça.
En effet, il existe une catégorie de personnes qui sont probablement perdues en ce moment.
Il n’y a plus de parti centriste
Je crois que c’est la seule élection que je vis où il manque une personne pour représenter un courant politique historique.
Les personnes qui ont voté Bayrou en 2007, Bayrou puis Hollande en 2012 et Macron en 2017 sont orphelines.
Qu’est-ce que j’appelle le centrisme ?
J’ai dit que la droite c’était les gens qui veulent conserver la société actuelle et la gauche les gens qui veulent changer pour un nouveau modèle (l’extrême-droite c’est ceux qui veulent changer pour une société de y’a longtemps).
Alors qu’est-ce que le centrisme dans ce paradigme ? On ne peut pas vouloir conserver la société et vouloir la changer. Certes.
Le centrisme n’est donc pas un courant de personnes qui veulent être au milieu de tout. Si tu parlais avec un centriste en 2013, il était totalement en faveur du mariage gay. Il va pas te dire il faudrait trouver un compromis.
Voir le centre comme une famille de compromis est un cliché qui est malheureusement relayé par une partie de la famille elle-même. De la même sorte qu’une partie de la gauche croit sincèrement être le camp du bien.
Une partie des centristes croient vraiment être dans les modérés. Mais ça n’a aucun sens : ils ne sont pas modérément pour le mariage gay, ils le sont radicalement.
De même, la plupart des centristes sont totalement pour le capitalisme. Ils ne le sont pas modérément.
Pour une raison simple : le centrisme c’est quand on n’a pas le même rapport au système économique et le reste de la société. En gros ils sont à droite économiquement et à gauche sur l’écologie, le racisme, etc.
Je suis de gauche. Je ne comprends pas. Tu m’aurais demandé y’a encore deux ans je t’aurais répondu ouais c’est des gens de droite qui s’assument pas, quoi.
La famille libérale
En fait, les appeler centristes rajoute du flou. De la même manière que quand on dit gauche c’est forcément moins précis que communiste, social-démocrate, anarchiste, etc.
Je pense que leur meilleur nom c’est les libéraux.
Ou pour être plus précis : je pense à ce courant centriste.
Le problème c’est que ce nom a été dévoyé. Maintenant quand on parle de libéralisme on pense uniquement au libéralisme économique. Au point qu’on a dû changer le nom pour l’appeler néo-libéralisme.
Mais les libéraux sont une famille dont la valeur principale est l’individualisme. Au sens neutre du terme. La liberté individuelle qui prime sur le reste.
Bien sûr je simplifie. Il est très dur pour une personne d’une famille politique de décrire le fonctionnement d’une autre. J’essaie de faire de mon mieux sans caricaturer. Il faudrait qu’une personne de cette famille vienne se définir plutôt.
La conséquence de cette valeur d’individualisme c’est à la fois une adhésion au capitalisme comme étant un système économique qui permet d’exercer cette liberté sans trop d’ingérence de l’État mais aussi la conviction que les gens doivent faire ce qu’ils veulent dans leur vie privée.
En vrai c’est plutôt cohérent. Ce qui est étonnant en vérité c’est que la droite soit devenu libérale économiquement. Elle ne l’a pas toujours été.
Les libéraux sont donc en faveur d’une société avec un maximum de libertés individuelles. D’où leur nom.
Bon… après c’est la théorie.
Dans la pratique cette famille s’unit toujours à la droite quand elle s’unit.
Tu te rappelles quand je disais qu’un centriste n’allait pas proposer de compromis sur le mariage gay ? Bah en fait certains le font. Voilà ce que disait Bayrou :
Je n'aurais pas voté ce texte. J'aurais voté contre, pour une raison simple: le statut d'union que j'ai proposé depuis de longues années était le moyen de réconcilier et de trouver à la fois la reconnaissance et les droits
Le problème c’est qu’une grande partie du centre a été fondé par les chrétiens (le parti démocrate-chrétien) donc il lui reste ce genre de réflexe. Bayrou est issu d’un parti démocrate-chrétien.
Les authentiques libéraux sont orphelins
Il n’en demeure pas moins qu’il existe une catégorie de personnes qui voudraient voter pour un libéralisme authentique. Et ce n’est pas une petite catégorie.
Je dirais même que c’est principalement eux qui ont voté Macron en 2017.
Alors qu’aujourd’hui un tiers des électeurs de Fillon déclarent qu’ils voteront Macron.
Des gens comme ça j’en fréquente plein dans mon métier.
Ce sont des personnes qui sincèrement sont légèrement (ou fortement) à droite économique et à gauche sur le reste.
C’était la promesse de Macron.
Hier, j’ai dit que les gens n’étaient pas perdus. J’ai oublié de dire qu’ils peuvent en revanche être induits en erreur. Macron en 2017 ne proposait pas du tout comme valeur de devenir un Sarkozy bis.
En 2017 Macron c’est plutôt : venez on essaie de ne pas trop fracturer la société. On peut être capitaliste et donner du boulot aux gens des cités même si ça passe par l’ubérisation, c’est mieux que le chômage. D’ailleurs la colonisation était un crime contre l’humanité et la France est multiculturelle, il faut l’accepter. Mais surtout…make the planet great again, on doit prendre l’écologie à bras le corps. Et l’égalité homme-femme sera la cause prioritaire du quinquennat.
C’était donc un positionnement authentiquement libéral. Enfin… je devrais pas dire authentiquement puisqu’on sait désormais qu’il a menti ou qu’il a changé en exerçant le pouvoir.
Mais du coup… où est la candidature libérale cette année ?
J’ai beau chercher, je ne vois pas.
La disparition du centre est un drame pour l’équilibre politique
Je n’aurais pas cru dire ça un jour mais le parti centriste me manque. Sans cette force puissante qui permet d’empêcher la droite de s’allier avec l’extrême-droite et bah tout le spectre politique court derrière l’extrême-droite.
C’est d’ailleurs ce centre qui a dit en 2012 non ça suffit Sarkozy on peut pas accepter de flirter comme ça avec l’extrême-droite. Bayrou avait d’ailleurs appelé à voter Hollande, ce qui avait probablement été l’élément déterminant pour le résultat final.
Même si, comme on l’a vu, Bayrou n’est pas un vrai libéral.
J’ai l’impression que les centristes sont en train de vivre ce que les socialistes ont vécu ces dernières années. C’est-à-dire de voter pour un candidat qui se revendique de ta famille (Hollande) pour qu’ensuite il gouverne en trahissant totalement cette même famille.
La différence ici c’est que, là où Hollande n’a pas su assumer et dire “okay en fait je suis un centriste et en 2017 je me présente sur cet axe”, Macron lui a compris et dit okay en fait je ne suis pas un centriste, je suis de droite et je me présente sur cet axe”.
Et en faisant ce magnifique glissement, il a réussi à se maintenir. Mais comme personne n’a assumé la position centriste, il a laissé un vide. Qui lui profite.
Je pense pas que c'est le centre qui assurait la non-compatibilité avec l'extrême droite. Ce qui se passe c'est que jusqu'à Chirac on a une génération qui a connu la guerre, et dès Sarkozy pour qui ce n'est pas le cas, les digues sont lâchées, et reprendre de la rhétorique ou des mesures d'extrême droite est de bonne guerre si cela permet d'accéder au pouvoir.