Le lien entre alcool et crime [Best-of]
Pour clôturer cette semaine sur l’alcool, voici le sujet bonus (réservé aux premium).
Est-ce que l’alcool favorise les crimes ?
Mon souvenir de la formation à la santé mentale
Je me rappelle que lors de la formation à la santé mentale que j’ai suivie, la formatrice nous avait demandé si la schyzophrénie augmentait la probabilité de commettre un crime.
Je me doutais bien que si elle posait la question c’était que non. Mais c’était tellement ancré en moi que j’ai quand même répondu oui.
C’est là qu’elle nous a expliqué que c’est une corrélation et non une causalité. Qu’en réalité, les personnes schizophrènes consomment très souvent des drogues et notamment l’alcool.
Par exemple, 50% des personnes schizophrènes consomment du cannabis. C’est beaucoup beaucoup plus que la moyenne nationale.
Or, c’est cette consommation d’alcool qui expliquerait le niveau de violence. Pas la schizophrénie en elle-même. Contrairement à l’image décrite dans les films et les séries.
Cependant, en m’y penchant pour cette série, je me suis rendu compte que lien était dur à établir.
Est-ce que l’alcool provoque la violence ? Ou est-ce que les personnes violentes boivent de l’alcool ? Ou les deux à la fois ?
Je suis tombé sur cette étude française demandée par le gouvernement français :
https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/DPAlcoolViolence.pdf
Je te partage quelques extraits
Le lien entre alcool et bagarre
Les deux enquêtes constatent un lien très fort entre la consommation d’alcool (régulière ou excessive) et la participation à des bagarres chez les garçons mais aussi chez les filles.
Ce lien « alcool / violence exercée » est à replacer dans un faisceau de déterminants parmi lesquels la sociabilité prend une large place. Les sorties sont à la fois des occasions de boire mais aussi de s’exposer à des situations violentes. Les auteurs émettent l’hypothèse de l’implication de certains jeunes dans des actions violentes comme un moyen de surmonter une anxiété ou des frustrations en regard à des difficultés sociales telles qu’un échec scolaire.
Les résultats les plus récents de ces deux enquêtes confirment l’existence de ce lien. Ainsi, les élèves âgés de 15 à 18 ans interrogés dans l’enquête ESPAD 2003 déclarent plus souvent des actes violents ou délictueux lorsqu’ils ont bu des quantités importantes d’alcool de façon régulière (au moins 10 consommations de 5 verres ou plus d’affilée au cours des trente derniers jours) ou lorsqu’ils ont été ivres au moins dix fois dans l’année écoulée. Néanmoins, de nombreux facteurs médiatisent les liens observés, notamment : le milieu économique familial et la fréquence et les types des sorties amicales.
Dans l’enquête ESCAPAD 2003, si le lien entre fréquence des ivresses alcooliques durant les douze derniers mois et participation à des bagarres est confirmé toutes choses égales par ailleurs, d’autres relations importantes apparaissent également.
Ainsi, le milieu économique familial, la situation scolaire actuelle et les redoublements au cours du parcours scolaire apparaissent-t-ils déterminant, de même que la fréquence des sorties amicales et le tabagisme quotidien, ainsi que les usages de produits psychoactifs illicites durant les douze derniers mois.
En revanche, la consommation de cannabis, même régulière, n’apparaît pas liée à un surcroît de participation à des bagarres. Ces liens semblent similaires parmi les filles et les garçons.
Enfin, il apparaît que les comportements violents dépendent en grande partie de l’environnement des individus et en particulier de leur exposition à la violence (sans qu’il soit possible ici de distinguer les causes des conséquences) : les adolescents qui ont été agressés, menacés ou ont subi des brimades participent plus souvent à des bagarres que les autres, toutes choses égales par ailleurs
Il faut être prudent mais je suis particulièrement marqué par la comparaison avec les personnes consommant du cannabis qui n’ont pas cette surreprésentation dans les bagarres.
Quelques statistiques des crimes sous alcool
25% des auteurs d’agressions ayant eu lieu hors de la famille avaient consommé de l’alcool dans les deux heures qui précédaient. La quantité d’alcool consommée en une occasion était l’un des meilleurs prédicteurs statistiques de ces agressions (avec le sexe, l’âge, le nombre de frères et soeurs (chez les femmes seulement), la crainte de perdre son emploi (chez les personnes de plus de 42-65 ans seulement), l’agressivité chronique, et une faible hypomanie (trouble de l’humeur caractérisé par une activité exagérée précédant une phase dépressive).
35% des auteurs d’agressions dans la famille avaient consommé de l’alcool dans les deux heures qui précédaient. Contrairement à d’autres enquêtes internationales, aucun lien significatif n’a été observé entre l’alcoolisation habituelle et les violences dans la famille (qui sont davantage le fait des hommes, et des personnes aux tendances agressives chroniques ayant un faible autocontrôle). Il se pourrait que cette absence de relation résulte du très faible nombre de violences intrafamiliales enregistrées dans notre enquête.
En ce qui concerne d’autres formes de délinquance, 32% des destructions intentionnelles avaient été précédées d’une consommation d’alcool. Concernant les vols, de l’alcool avait été consommé dans 20% des cas.
Pourquoi l’alcool pourrait rendre violent ?
Une partie de nous sent que ce lien est probable. Notamment à cause de la modification de perception induite par l’alcool.
Ainsi, ceux ayant un déficit de FCE réagissent beaucoup plus agressivement que les autres sous l’influence de l’alcool. L’altération du FCE lors de l’ébriété induit une « myopie alcoolique », c’est-à-dire une focalisation attentionnelle excessive sur les informations les plus saillantes dans la situation (comme l’irritation d’avoir été contrarié durant un échange social) au détriment d’informations correctrices ou inhibitives (l’évaluation de l’intentionnalité d’un comportement qui nous contrarie, ou les conséquences à long terme d’une action), ce qui extrémise les conduites et les rend potentiellement plus agressives (ou plus amicales, selon le contexte).
L’effet de l’alcool sur la cognition concerne également la conscience de soi. Ainsi, des personnes alcoolisées à qui l’on demande de s’exprimer mentionnent moins fréquemment des pronoms comme je, moi, moi-même, moi.
Dans la mesure où une altération de conscience de soi précède fréquemment les agressions en diminuant la référence à des normes de conduite personnelle et en rendant plus réceptif aux normes de la situation, son effet pourrait être comparé à celui du phénomène de désindividuation.
Dans une méta-analyse basée sur 49 études expérimentales indépendantes, on a observé que les différences de niveau d’agression entre des personnes alcoolisées et des personnes non-alcoolisées étaient fortement atténuées lorsque l’on augmentait leur conscience de soi (par exemple en plaçant un miroir dans le laboratoire).
Peut-on diminuer les crimes en diminuant les consommations d’alcool ?
C’est la question que se sont, logiquement, posée certains gouvernements. On a le résumé de ces étude dans une méta-étude : A Review of Existing Studies Reporting the Negative Effects of Alcohol Access and Positive Effects of Alcohol Control Policies on Interpersonal Violence
Voici quelques extraits :
Soixante et onze études (82 %) ont fait état d'une relation significative entre l'accès à l'alcool et les infractions violentes. Les études sur les débits de boissons ont donné le plus grand nombre de résultats significatifs (93 %), les heures d'ouverture (63 %) et le prix de l'alcool (58 %). Les résultats des études de référence indiquent qu'il est efficace d'augmenter le prix de l'alcool de consommation courante, de restreindre les heures de vente d'alcool et de limiter le nombre de points de vente d'alcool par région pour prévenir les infractions violentes.
En règle générale, le risque de violence interpersonnelle augmente avec la fréquence et le volume de la consommation d'alcool, ainsi qu'en fonction de certains types d'environnements et d'activités liés à la consommation d'alcool. Par exemple, il est peu probable que la consommation d'alcool dans un restaurant entraîne des violences liées à l'alcool, alors que les clients en état d'ébriété à l'intérieur et à proximité des bars ont créé des grappes spatiales de délits violents dans ces zones.
Les chercheurs ont établi que l'ivresse déclenche un comportement violent chez les personnes prédisposées à l'agression et théorisent que la consommation entraîne un affaiblissement des inhibitions et un relâchement du comportement normatif (c'est-à-dire la perception de l'autorisation de l'agression), ce qui entraîne un risque accru de violence liée à l'alcool à l'intérieur et autour des débits de boissons.
Si l'on considère les théories basées sur le lieu, il est également probable que les établissements servant de l'alcool attirent les auteurs de crimes violents en regroupant les cibles pour la victimisation, ce qui conduit finalement à des grappes de crimes dans les régions où l'alcool est le plus disponible.
Dans les débits de boissons, l'échelonnement des heures de fermeture a permis de réduire de 34% les taux régionaux d'infractions violentes et la limitation des entrées a permis de réduire de 50% les infractions commises dans les débits de boissons. Les effets des restrictions des heures d'ouverture des commerces sont également cohérents en ce qui concerne les blessures dues à l'alcool.
De manière asymétrique, l'extension des heures d'ouverture des commerces, jusqu'à 1 heure, a augmenté les agressions et les taux d'homicide
Il est essentiel de se rappeler que des études bien conçues ont indiqué que des changements de politique même modestes, y compris une augmentation de 1% du prix de l'alcool, des changements d'une heure dans les heures de fermeture, ou des limitations de la densité des établissements à moins de 25 points de vente, peuvent conduire à des réductions substantielles de la criminalité violente et des blessures.
Compte tenu de la diversité des ensembles de données, des niveaux d'agrégation et des méthodes, la majorité des études indiquent que l'augmentation du prix de l'alcool, la limitation des heures de vente et la restriction du nombre d'établissements sont des politiques efficaces pour la gestion des blessures/crimes violents imputables à l'alcool.
Il y a des limites à cette étude qui sont listées à la fin. On ne peut donc pas conclure catégoriquement. Mais je trouve que c’est éclairant de l’avoir en tête.
Il ne s’agit pas de déresponsabiliser
Il y a un folklore consistant à faire de l’alcool une circonstance atténuante des crimes. Ce n’est pas ici mon propos. Au contraire, je pense que le fait de prendre conscience du potentiel criminogène de l’alcool doit nous responsabiliser.
On ne peut pas boire et dire je ne savais pas après.
Notamment lors des agressions.
On doit d’autant plus boire avec précaution que l’alcool peut potentiellement nous rendre dangereux.
D’ailleurs, l’alcool nous rend également vulnérables au crime, c’est le paradoxe.
Là encore, je l’ai déjà dit plein de fois mais une fois de trop ne fera pas de mal : il ne s’agit pas de passer en mode culpabilisation des personnes qui consomment. Mais bien de conscientiser.