La semaine dernière je vous ai raconté ma mésaventure avec Line Foëzon, mon ex psy. Et deux d’entre vous ont réagi en me disant que j’avais subi du gaslighting.
Sur le coup ça m’a étonné car c’est un concept que je connaissais déjà mais plutôt dans le cadre de la lutte antiraciste. On parle de gaslighting quand une personne blanche fait un sous-entendu raciste puis nie que c’était le cas. Ou alors quand on nous dit moi je vois pas les couleurs juste après un comportement manifestement raciste.
Mais du coup, dans mon cas, quel rapport ?
Je vais résumer rapidement mais si tu n’as pas déjà lu l’histoire de l’arrêt de ma psychothérapie, c’est par ici :
Qu’est-ce que le gaslighting ?
Le gaslighting ou gas-lighting, connu sous le nom de détournement cognitif au Québec, est une forme d'abus mental dans lequel l'information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l'abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale
Dans le gaslighting, l'abuseur fait porter le chapeau des souffrances de sa victime à la victime elle-même ou à ses attributs ou capacités mentales ou psychologiques. Le manipulateur amène la victime à remettre en cause chacun de ses choix, sentiments, émotions, valeurs, etc. et la fait douter de sa santé mentale.
Pourquoi est-ce si dévastateur ?
C’est un arsenal du côté obscur. Parce que les effets sont violents.
Pourquoi ? Dur à dire.
Ça fait partie des phénomènes qu’il est difficile de faire mesurer à quelqu’un qui ne l’a jamais vécu. Un peu comme le ghost. Si on ne t’a jamais ghosté c’est compliqué de comprendre la violence du truc.
Plus une personne a tendance à douter de ses jugements et plus ça va avoir un impact sur. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’on est à l’abri quand on a confiance.
Par exemple, même moi, quand mon ex psy m’a dit :
Votre parole était un passage à l’acte…
Je SAVAIS que ça ne voulait rien dire. Je SAVAIS que c’était un mot du jargon psychanalytique avec cette définition :
(Psychiatrie) Déclenchement pathologique d’une action impulsive et violente.
(Par extension) Réalisation d’une action pensée, non osée jusqu’ici.
Et pourtant… ça ne m’a pas empêché de retourner le truc dans tous les recoins de ma tête.
Non mais j’ai dû rater quelque chose ? Est-ce que j’ai eu un mouvement menaçant à un moment ? Est-ce que c’est à cause du stéréotype : les hommes noirs sont violents ? Est-ce que mon vocabulaire était trop violent par sexisme ?
Je suis passé par tous les états. Toutes les questions.
J’ai cherché sans relâche dans les articles, dans des résumés de livre, est-ce que le passage à l’acte pouvait être verbal.
Et bien sûr la réponse est non. Les mots ne sont pas des passages à l’acte. C’est dans le nom même du concept.
Ce n’est d’ailleurs pas anodin d’utiliser cette expression sachant qu’elle est passée dans le langage courant pour désigner davantage des actes criminels, pas simplement des actes.
Parfois j’ai mon cerveau qui tourne encore en fond de tâche pour se demander en quoi il y a eu un passage à l’acte. Je ne suis pas totalement débarrassé de cette impasse. Car c’est dur de s’en défaire sans que la personne responsable ne reconnaisse la réalité.
“Nous ne sommes pas en conflit”
Là encore… quand je dis “il y a conflit d’intérêt” et que la réponse est nous ne sommes pas en conflit c’est la même gamme d’attaque contre la réalité.
Bien sûr qu’il y a, à ce moment, un conflit entre nous deux. C’est même le coeur du problème. Nous ne sommes pas d’accord sur la portée d’une de mes phrases et c’est ça qui nous amène à nous opposer.
Nier qu’il y a un conflit tout en faisant un acte brutal (mettre fin à la thérapie puis à tout contact) ça empêche à l’esprit de donner du sens à ce qui arrive, pour relativiser et s’en remettre.
“Vous voulez inconsciemment arrêter la psychothérapie ”
Ah bon ? Mais pourtant, consciemment, j’étais venu avec la ferme intention de continuer. J’ai utilisé mes pieds conscients pour venir, mes mains conscientes pour ouvrir la porte et là j’utilise mes yeux conscients pour pleurer parce qu’on m’expulse… c’est quand même vachement chelou (et pratique) que mon conscient comprenne si mal mon inconscient !
Et c’est encore plus pratique qu’une autre personne puisse me traduire ce que veut mon inconscient et qui est, comme par hasard, le contraire de ce que je veux moi.
En même temps, le concept freudien de l’inconscient est souvent un engrenage rapide vers le gaslighting puisqu’il offre une explication toute trouvée : fais-moi confiance, tu n’as pas conscience de la réalité, ton inconscient veut des choses et moi je sais quelles sont ces choses.
C’était la critique qu’en faisait Popper :
Il n'existe pas de données que la théorie ne peut pas interpréter a posteriori. La théorie peut donc survivre même quand les faits semblent la démentir grâce à l'usage de notions comme l'ambivalence, la résistance, la dénégation…). Sans juger ici de l'existence de Dieu, on peut faire une analogie avec le principe « les voies du Seigneur sont impénétrables », qui entraîne l'impossibilité logique pour un fait de contredire l'existence de Dieu.
Comment réagir ?
La première étape pour se libérer des effets est de conscientiser qu’on a subi un gaslighting.
Par exemple en apportant un contre-récit à la déformation de la réalité qui a été introduite. Ce n’est pas évident. Surtout si c’est dans le cadre d’une relation de long terme où on doit revoir régulièrement la personne.
Au final c’est une sorte de virus :
Une victime de gaslighting développe souvent des cognitions autodestructrices qui la rendent hypertolérante à la critique, à la dévalorisation et à la violence.
Et pour le combattre on va devoir sortir de la minimisation. Car c’est le but du gasligthing : vous amener à minimiser les souffrances que vous vivez.
Le cercle devient alors vicieux quand c’est un partenaire : vous minimisez, donc vous continuez à le fréquenter, et ainsi de suite.
Voilà pourquoi l’aide des personnes extérieures peut être salutaire. J’avais vraiment ressenti un poids me quitter quand une autre psy s’est scandalisée.
Ce n’est pas que les autres qui en font
Au final, c’est dur de définir la limite. Il y a une sorte de spectre. J’ai l’impression que, moi-même, dans mes relations il m’arrive de le faire subir involontairement. Voilà ce que dit Wikipédia pour le diagnostic :
Selon Ramani Durvasula, psychologue clinicienne, ressentir un besoin d'enregistrer ses conversations avec une personne, pour être sûr de ne pas avoir inventé des choses, indique que l'on est très probablement victime de gaslighting.
Parmi d'autres indices, une culpabilité systématique : se dire « c'est (toujours) de ma faute » au moindre désagrément.
Or, je me reconnais clairement dans la fin : cette tendance à partir du principe que c’est la faute de l’autre, sauf preuve du contraire. Surtout en couple.
J’imagine que c’est très genré et qu’on socialise les hommes à partir du principe qu’ils ont raison sauf preuve du contraire.
D’ailleurs, c’est dans cet autre cadre que je connaissais le concept de gaslighting : dans le cas de relations toxiques.
Du coup je me dis que c’est comme le racisme : il ne suffit pas de le pointer chez les autres, il faut aussi voir comment on peut le diminuer en soi.
Quelques phrases qui peuvent nous alerter
Bon mais du coup… comment on repère cette mécanique ? Voici quelques phrases types qu’on peut reconnaître (extraites de la page wikipédia):
« Tu es trop susceptible. »
« Tu prends les choses trop à cœur. »
« Tu te fais des idées. »
« De toute façon, tu n'es jamais content(e). »
« Tu te trompes ou confonds (comme toujours). »
« Ça ne va pas ? Tu dis des choses très bizarres. »
« Tu ne sais pas ce qui est bon pour toi. » (après avoir fait souffrir)
« Tu es seul(e) maître(sse) de ce qui t'arrive. » (après avoir mis dans une situation compromettante sans l'accord de sa victime voire contre son gré)
« Tu es trop faible pour y arriver seul(e). »
« Tu n'as aucune volonté (de t'en sortir). »
Récapitulatif du concept
Par curiosité, j’ai demandé à ChatGPT de me résumer le concept et ça a donné ça :
La fin est ironique. On fait comment si ça vient justement d’un soutien professionnel ?
Où ai-je volé tout ça ?
J’ai pris énormément de passages dans la page Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaslighting
Merci pour cet article
Bonjour Nicolas. Je ne connaissais pas du tout. Je me demande quelles sont les différences avec un pervers narcissique, un manipulateur et autre terme que l'on peut entendre régulièrement ?