Exceptionnellement l’email du samedi est accessible à tout le monde. Tu te rappelles quand je te disais que je pensais être autiste à moitié parce que je correspondais à moitié aux tests ?
Bah le souci c’est que beaucoup de tests sont rédigés par des non-autistes, ce qui les rend incompréhensibles.
Le premier souci c’est qu’ils manquent de précision au premier degré. Par exemple quand on me demande si je comprends, à chaque fois, le second degré je réponds que bien sûr, mais en revanche est-ce que je le détecte à chaque fois… alors là en effet, la réponse est non.
Au début de cet été on m’avait conseillé le test RAADS-R et à la fin j’avais obtenu un score dans une zone proche du seuil. Je m’étais donc encore dit : ok bah je suis à moitié.
Sauf que, ce que je ne savais pas encore c’est qu’il y a des notes de clarté des tests, justement. Et voici ce que ça donne pour le RAADS-R :
Ok en fait j’avais aucune chance de comprendre ce test. Il a une note catastrophique en clarté. Ce qui est, paradoxalement, un trait autistique : ne pas pouvoir comprendre un test ambigu. Mais je trouve ça fou qu’on propose des tests aussi mal écrits au premier degré pour identifier… l’autisme.
Ironique au plus haut point.
Le deuxième souci des tests c’est qu’ils sont écrits du point de vue des non-autistes. Donc on va avoir des formulations méprisantes comme un déficit de réciprocité sociale. Or, je n’ai pas observé que j’avais du mal à comprendre les autres, en tout cas pas plus qu’ils n’ont du mal à me comprendre.
Je dirais même que c’est l’inverse, très souvent je comprends assez facilement les gens et eux sont totalement perdus face à mes réactions. Maintenant je sais que c’est comme les gauchers et les droitiers à l’escrime. Quand je faisais de l’escrime c’était un cauchemar de tomber sur un gaucher car, du coup, les lames ne sont plus positionnées comme d’habitude. Sauf que… pour le gaucher c’est sa situation habituelle donc il sait la gérer.
Là c’est pareil… j’ai tellement l’habitude d’interagir avec des personnes non-autistes…
Et c’est le cas pour toutes les personnes autistes. Donc vraiment cette formulation est fausse. Sachant que les dernières estimations oscillent entre une personne sur 36 est autiste et une personne sur 50… ça veut dire qu’une personne autiste va avoir 35 à 49 fois plus d’expérience dans la communication autiste/non-autiste en comparaison avec les non-autistes.
J’affirme que les non-autistes ont beaucoup beaucoup plus de mal que les autistes à gérer cette communication interculturelle. Donc y’a vraiment zéro raison que ça soit nous qui sommes décrits comme ayant du mal avec la communication.
Sans même conscientiser tout ça, ça faisait que je ne m’identifiais pas à ce type de phrase dans les test. Pire encore, comme les tests se basent sur leurs observations au lieu de demander directement aux autistes… on passe à côté de questions qui pourraient aider.
Par exemple les tests ne comprennent pas la question suivante : j’ai l’impression d’avoir atterri sur la mauvaise planète depuis que je suis enfant. Ou alors j’explique mes particularités par le fait d’avoir une personnalité singulière, mon entourage dit souvent “ah mais ça c’est Nicolas”.
Troisième souci : présenter l’autisme comme une pathologie. Par exemple, y’a un trait qu’on observe chez énormément d’autistes c’est un sens de la justice très fort au point que ça étonne l’entourage ,voire ça pousse à faire des formes de “vengeances”. Je l’ai vu très souvent chez des autistes. Et pourtant je ne l’ai jamais vu exprimé comme ça dans les tests. Mais genre jamais.
Quatrième souci : le mépris. C’est dur d’accepter de dire oui à une question méprisante. Genre : c’est vrai que t’es une merde incapable d’empathie ? J’exagère à peine ! Pour rappel, voici comment est formulé l’autisme dans le DSM (le manuel de référence des psys pour faire les diagnostics) :
Adhésion inflexible ? Bah non ! Déficit du développement des relations ? Mais allez mourir en fait.
On lit ce qui est censé être un diagnostic et on se fait insulter…
Dans le DSM original, pour être autiste, il faut cocher l’intégralité des 3 premiers “symptômes” et au moins la moitié des 4 derniers. Or, moi quand j’ai lu ça cet été, j’ai vu que j’avais 1 “symptôme” sur les 3 premiers (déficit de communication non verbale) ainsi que les 2 derniers (donc la moitié des 4).
Et encore j’ai coché 1/3 parce que j’ai réussi à aller au-delà de l’insulte et à comprendre le sous-texte.
Verdict ? Bah encore une fois avec le DSM : je suis semi-autiste. J’en étais d’ailleurs convaincu. J’ai même dit en août sur WhatsApp :
Mais en vrai je crois pas que je doute. Je crois pas que je sois incertain d’avoir les traits autistiques. Je crois que je suis certain d’en avoir qu’une partie. Je sais pas si tu vois la différence ?
Heureusement, Matt Lowry est un psy autiste qui a décidé, de réécrire le DSM correctement pour voir ce que ça donnerait. Et… je regrette de ne pas avoir connu sa version plus tôt.
D’abord la version originale du début du DSM (je mets en gras les formulations qui me choquent, en italique celles qui sont totalement floues).
A - Déficit de la communication et des interactions sociales
Déficits de la réciprocité sociale et/ou émotionnelle (p. ex., absence d'ouverture ou de réponse à des interactions sociales ou de conversation, pas de partage des émotions)
Déficits dans la communication sociale non verbale (p. ex., difficulté à interpréter le langage corporel, les gestes et les expressions des autres; diminution des expressions faciales et des gestes et/ou contact avec les yeux)
Déficits dans le développement et le maintien des relations (p. ex., se faire des amis, en ajustant le comportement à des situations différentes)
Voici maintenant le début de la version reformulée par Matt Lowry :
A - Différences dans la communication et l’interaction sociales comme illustré par les points suivants :
Différences de communication, tendance à partir sur des sujets tangents, tendance à parler de manière passionnée de ses intérêts spécifiques et tendance à ne pas s’engager dans le small talk
Différences dans la communication non-verbale, incluant le stimming en parlant, regarder des choses plus intéressantes pendant qu’on parle et une tendance à s’ennuyer dans une conversation car on préfèrerait faire autre chose
En raison de ces différences dans la communication, les personnes autistes ont tendance à être rejetées par les non-autistes et sont donc conditionnées à croire qu'elles sont moins sociables.
*Note : ce critère est inversé lors d'événements comme le Comic-Con, dans une boutique de bandes dessinées ou de jeux, ou lorsqu'elles se trouvent en présence d'autres personnes autistes.
Dans la version du DSM, je ne me reconnais ni dans le A1, ni dans le A3 et à moitié dans le A2 car je ne regarde pas les gens dans les yeux. Je me rappelle cet été on m’a envoyé le DSM parce que je me demandais si j’étais autiste et je m’étais dit… bon bah à moitié peut-être…
Alors que si j’avais lu la version de Matt, j’aurais dit que je me reconnais à CENT POUR CENT dans le A1, A2 et le A3 !!!
Note : le stimming c’est un truc qu’on fait pour s’apaiser, ça peut être de remuer sa jambe, mais dans ce cas précis ce sont des bruits, des onomatopées
Pourquoi une telle catastrophe avec le DSM ? On l’a vu c’est un problème de condescendance et de validisme, mais pas que. C’est aussi parce que le DSM oublie que l’autisme est neurologique. Ça se passe dans le cerveau et non dans l’esprit. Une personne qui n’a pas de comportements dépressifs n’est pas en dépression. Et comme c’est dans l’esprit, la dépression peut aller et venir. Alors qu’une personne qui n’a pas de comportements autistiques peut être autiste. Par exemple, un bébé autiste est déjà autiste. Et il mourra autiste.
La version entière de la reformulation du DSM pour identifier l’autisme
Et donc le DSM version Matt
A - Différences dans la communication et l’interaction sociales comme illustré par les points suivants :
Différences de communication, tendance à partir sur des sujets tangents, tendance à parler de manière passionnée de ses intérêts spécifiques et tendance à ne pas s’engager dans le small talk
Différences dans la communication non-verbale, incluant le stimming en parlant, regarder des choses plus intéressantes pendant qu’on parle et une tendance à s’ennuyer dans une conversation car on préfèrerait faire autre chose
En raison de ces différences dans la communication, les personnes autistes ont tendance à être rejetées par les non-autistes et sont donc conditionnées à croire qu'elles sont moins sociables.
*Note : ce critère est inversé lors d'événements comme le Comic-Con, dans une boutique de bandes dessinées ou de jeux, ou lorsqu'elles se trouvent en présence d'autres personnes autistes.
B - Comportement ou intérêts répétitifs, comme en témoignent au moins deux des éléments suivants :
Stimming ou engagement dans l'écholalie (la répétition de phrases que la personne autiste trouve intéressantes et dignes d’être citées.
Besoin de sécurité dans les routines. Le cerveau des personnes autistes a un filtre sensoriel très faible, donc le monde est perçu comme un état constant de chaos. Les routines et le fait de savoir à quoi s’attendre apportent du réconfort aux personnes autistes submergées.
Intérêts spécifiques (SPINs) – En raison de certaines connexions cérébrales hyperactives, les personnes autistes ressentent des passions plus fortes pour ce qu'elles aiment, donc lorsqu'elles ont un intérêt spécifique, elles ont tendance à s'y attacher et à se fixer dessus. C'est un niveau de plaisir que les personnes neurotypiques ne peuvent pas expérimenter en raison du manque des connexions cérébrales en question.
Hypersensibilité ou hyposensibilité aux stimuli - les connexions hyperactives amplifient les sensations, mais parfois elles sont atténuées, car l'attention est concentrée sur d'autres stimuli. Ce phénomène, appelé monotropisme, correspond à une focus intense, fréquent chez les personnes autistes. Par exemple, elles peuvent sortir sans manteau, absorbées par une tâche ou un objectif précis.
C- Ces traits sont innés, mais on apprend à les camoufler. Ils peuvent réapparaître dans des moments de stress ou lorsque l’on baisse la garde.
C’est un point hyper-important et qui manquent dans beaucoup de tests : dans un monde non-autiste toutes les personnes autistes en mesure de le faire pratiquent le masking (camouflage). Donc parfois un trait s’exprime moins car on a appris à le cacher. Par exemple, si j’oublie que le DSM m’insulte je peux me rappeler que quand j’étais enfant j’avais beaucoup beaucoup plus de mal à lire les visages. Mais entre temps j’ai appris à le faire, notamment en lisant les livres de Paul Ekman qui analyse chaque émotion et la relie à des muscles du visage.
D- Les autres sont parfois désemparés par ces traits
Le DSM oublie de dire que ce n’est pas que la personne autiste qui va vivre de l’inconfort… c’est bilatéral.
E- Les traits précédents ne peuvent pas être mieux expliqués par une déficience intellectuelle
Paradoxe : beaucoup de gens pensent qu’autisme et déficience intellectuelle vont de pair. Mais c’est parce que ce sont les évaluateurs neurotypiques qui repèrent plus facilement les traits autistiques chez ceux qui ne peuvent pas les camoufler.
De plus, certaines personnes autistes peuvent obtenir de mauvais résultats aux tests de QI en raison de la contrainte temporelle ou de l’anxiété liée à la performance.
Lorsque l’évaluateur ne comprend pas les spécificités autistiques, cela désavantage automatiquement l’évalué·e, car une partie de ses ressources mentales est consacrée à masquer ses traits tout en essayant de répondre aux exigences du test.
Et les niveaux dans tout ça ?
Dans le DSM normalement on rajoute 3 niveaux d’autisme. Matt refuse et conclut en disant : tout ça nous mène au concept des niveaux d’autisme qui se reposent sur à quel point l’autisme est inconvenant pour les personnes autour de nous, plutôt de réfléchir au soutient dont on a besoin pour être épanoui·es et en bonne santé.
Du coup ça donne quoi pour moi si je m’évalue avec le DSM de Matt ?
Ah bah là c’est un carton quasi plein. En A j’ai 4/4. En B j’ai 3/4 car j’ai du mal à évaluer mon niveau de stimming.
Le stimming c’est une forme de mouvement/bruit/autre chose répétitif qui a pour but d’auto-apaiser. Mes proches disent que je le fais, mais je ne le vois pas.
Note d’édition : à la relecture, maintenant que j’ai lu encore d’autres témoignages autistiques sur le stimming je me rends compte que danser et chanter dans la rue ça fait partie des expression du stimming. Et ça pour le coup je le fais souvent quand je marche seul à Paris.
Le C, c’est clair. Quand je suis soumis à quelqu’un qui me crie dessus par exemple, je deviens incapable de faire du camouflage.
Le D… c’est plus que clair, c’est même ce qui m’a mis sur la voie. Parce que l’incompréhension générée par mon autisme déclenchait trop de tensions avec mes proches.
Et le E, je n’ai effectivement pas de déficience intellectuelle qui expliquerait les traits précédents.
En écrivant ces lignes je trouve la différence folle. On passe d’une version où je me reconnais à moitié, à une version où je me reconnais totalement.
Wow, c'est limpide en effet ! Merci de rendre ce mail accessible à tout le monde, il est d'utilité publique ✨
Moi j'avais réussi à répondre aux tests parce que j'avais compris qu'il fallait donner les réponses que j'aurais données enfant. Et que, comme on l'a évoqué en privé, c'est dur pour moi de me sentir insulté'e 😂 Ce qui n'est clairement pas forcément une bonne chose, parce que du coup, ça ne m'est même pas venu à l'idée de me dire que ce n'était pas bien formulé.