Le dictionnaire de l’Académie est pire que honteux. C’est un scandale public. Aujourd’hui je te résume une autre vidéo de la chaîne Linguisticae :
Mais avant de commencer…
Qu’est-ce qu’un dictionnaire ?
Le point le plus important : un dictionnaire constate une langue, il ne la définit pas. Je sais qu’à cause de l’école et l’Académie Française il y a ce mythe d’un dictionnaire qui dirait, qui définirait ce qui est français et ce qui ne l’est pas. Ça n’est ni souhaitable, ni possible.
Une langue vivante ne peut pas être décrétée, elle évolue spontanément. Le dictionnaire est donc un ouvrage dont le but est de décrire l’état d’une langue sur une période donnée.
Mais qui dit description, dit choix, sinon le dictionnaire serait infini. Donc il faut faire un choix : on ne peut pas mettre tous les mots utilisés une fois.
Par exemple, Le Robert affiche 3 critères pour qu’un mot soit dans son dictionnaire.
La fréquence : le mot doit être utilisé par suffisamment de personnes
La diffusion : le mot doit être utilisé par d’autres gens que le cercle restreint. Pour ça que y’a pas le mot infoprenariat qui est pourtant un mot fréquent… mais uniquement dans le cercle restreint des gens concernés.
La pérennité : le mot doit tenir dans le temps, ne pas être une mode
Et pour ces critères le Robert utilise des outils de mesure, ça ne sort pas de leur intuition. Il y a ce qu’on appelle des études de fréquence.
Aussi étonnant que ça puisse paraître si tu croyais qu’un dictionnaire était une autorité ça implique que la marque du dictionnaire change son contenu. Un dictionnaire a une ligne éditoriale.
Par exemple, Le Robert est connu pour essayer de coller le plus possible à l’usage. C’est le premier dictionnaire papier à avoir fait entrer le mot iel.
Le dictionnaire du CNTRL est connu pour la précision extrême de ses définitions. C’est d’ailleurs celui que j’utilise quand je débats du sens d’un mot avec mes ami·es.
Le Wiktionnaire c’est la version Wikipédia, donc collaborative, très à jour et avec le plus de variations possibles.
Le même mot sera donc constaté différemment. Par exemple pour décrire les personnes qui ne mangent aucun produit issu des animaux :
Le Robert : Végane (même au masculin)
Le Larousse : Végan, Végane ou Vegan
CNTRL : Mot non reconnu
Wiktionnaire : Végan ou Végane
Trésor de la langue française : Mot non reconnu
Le dictionnaire de l’Académie Française est enfin sorti
On l’a vu : l’Académie a pour mission principale de sortir ce dictionnaire. Pour te donner une comparaison Le Robert sort un dictionnaire chaque année. Idem pour le Larousse.
Mais… l’Académie Française en a sorti 9 en 390 ans. Soit un rythme moyen de… 43 ans par dictionnaire.
D’ailleurs entre le huitième et le neuvième, pas moins de 89 ans se sont écoulés.
Le neuvième a été lancé en 1980 et il est sorti au fur et à mesure :
Forcément avec un rythme comme ça, y’a des annexes. Par exemple dans le tome R à Z de 2024 on a une annexe qui comprend le mot Homophobie. Parce que le mot n’était pas dans la version de 2000 où il aurait dû être. Et qu’il n’a pas non plus été en annexe du tome de 2011.
On se demande d’ailleurs pourquoi puisqu’il est entré dans le Robert en 1995.
Ce rythme est honteux. Y’a aucun autre mot pour ça.
Ça donne lieu à des trucs cocasses.
Voici des mots qui entrent en 2024 dans le dictionnaire de l’Académie Française :
Faxer
Minitel
Cédérom
Bon… c’est ballot. Ça va tellement lentement que y’a des mots qui sont obsolètes le jour même de leur entrée !
Autre petit truc rageant : après nous avoir pris la tête comme quoi faudrait dire la covid… bah ils ont oublié de mettre le mot covid dans le dictionnaire (alors qu’ils ont rajouté déconfinement).
On a aussi des mots qui ont été définis en 1992 (les mots de A à E), donc on a des trucs cocasses comme :
Et c’est la version web ! Donc c’est même pas mis à jour. La définition de euro c’est une monnaie qui un jour va remplacer les monnaies comme le franc. AH BAH OUI EN EFFET.
D’ailleurs je viens de dire un mot qui n’existe pas dans ce dictionnaire : web.
Tout comme Daron. Or, daron, contrairement à l’intuition n’est pas du tout un mot jeune. C’est un mot argotique, oui. Mais il se dit depuis les années 1600. On le trouve d’ailleurs dans le dictionnaire Bescherelles de 1870.
On imagine qu’il n’est pas dans celui de l’Académie parce que se font des fainéants incompétents qui se sont dits non mais ça c’est un mot nouveau, un mot de jeune.
C’est ça quand on n’a pas de linguiste.
La féminisation ? C’est quoi ?
Historiquement, un des chevaux de bataille de l’Académie est d’empêcher la féminisation des métiers. On devrait d’ailleurs parler de reféminisation car beaucoup de mots existaient et ont justement été oubliés suite à ce travail de lobby intense sur plusieurs siècles de l’Académie. Par exemple, un mot comme philosophesse pour désigner une femme philosophe est retraçable au moins jusqu’en 1380. Oui, oui, mille trois cent.
L’Académie est anti féminisation. Si tu cherches le mot préfète tu trouveras ceci :
Une préfète c’est forcément l’épouse d’un préfet.
Mais… pire encore… qu’est-ce ce qu’une femme tout court ?
Simple :
Être humain défini par ses caractères sexuels, qui lui permettent de concevoir et de mettre au monde des enfants.
Encore une fois c’est la définition de 2024, hein ?
D’ailleurs homme c’est pire :
Considéré en fonction de son sexe, et par opposition à la femme.
Il n’y a donc pas de définition du mot homme autre que les-gens-qui-ne-sont-pas-des-femmes. Être un homme c’est avant tout ne pas être une femme. On est dans le virilisme le plus rétrograde.
Le sexe, c’est sale…
Jusqu’en 2024 le mot sodomie avait pour définition moeurs contre-nature. Bon… on a enfin une définition normale. D’ailleurs le mot fellation fait enfin son entrée mais… pas le mot cunnilingus.
Une vision réactionnaire de la société
De manière beaucoup moins drôle, tu as dû le deviner : l’Académie française est une institution profondément réactionnaire.
Certains choix de mots ne laissent aucune place au doute. Par exemple les mots suivants ne sont pas dans son dictionnaire :
Féminicide
Transphobie
Cisgenre
Alors que le mot wokisme y est.
On comprend que quand c’est pour armer la droite réactionnaire de mots pour désigner les ennemis (les wokistes) c’est open bar. Là y’a plus de notion d’attendre qu’un mot soit assez établi. Mais quand il s’agit d’avoir des mots pour dénoncer la transphobie, les féminicides, l’oppression exercée par les personnes cisgenres… bon bah c’est mort.
Ne parlons même pas des définitions qui sont proprement d’extrême-droite. Par exemple pour Jaune :
Se dit d’une personne ou d’une population caractérisée notamment par la pigmentation jaune ou cuivrée de la peau, par opposition à Blanc et à Noir. Un homme de race jaune.
Le dictionnaire ne considère pas que c’est vieilli ou péjoratif. Alors que sur la même page on a :
Par extension et généralement péj. Se dit parfois pour jaunâtre. Avoir les dents jaunes.
Là par contre dents jaunes l’Académie précise que c’est péjoratif.
Autre définition d’extrême-droite quand on ouvre la page à hétérosexuel :
Adj. Qui est relatif à la sexualité naturelle entre personnes de sexe différent. Des relations hétérosexuelles.
Que vient faire ici le mot naturel ? Ça suppose donc que l’homosexualité est contre-nature.
Au passage, mais ça devient un détail ici : choix curieux de ne lister que l’adjectif. On l’utilise aussi comme nom. Genre : un hétérosexuel.
À comparer avec la définition du Robert :
Adj et nom. Qui éprouve une attirance sexuelle pour les personnes du sexe opposé
Voilà. Tout simplement.
Le rajout du naturel est à vomir et ne se justifie par rien d’autre que l’homophobie.
Ce dictionnaire est inutilisable
À quoi sert un dictionnaire qui sort tous les 43 ans ? Qui ne se base pas sur l’observation ? Et qui coûte 400€ en version papier ?
Un dictionnaire dans lequel le mot bisou n’existe pas ?
Moi-même je n’y croyais pas mais tu peux aller vérifier sur leur site : il n’y a pas le mot bisou.
Quelqu’un qui apprend le français en se servant de se dictionnaire serait très mal parti.
Petit détail marrant : ce dictionnaire est en grande partie délégué. C’est-à-dire que ce sont des petites mains qui font tout le travail et les académiciens se contentent de faire les retours. Forcément… puisque y’a pas de lexicographes ils font appel à des lexicographes prestataires qui assure ce boulot.
Déjà que le principe d’un dictionnaire qui fait autorité est en soi inquiétant… mais en plus si cette autorité produit un dictionnaire inutilisable, obsolète et à ce point réactionnaire… bon bah…
Ce dictionnaire est à brûler.
Brûlons les.
Ceci étant établi, je trouve bizarre que le Robert qui est censé suivre l'usage ne propose que végane, même au masculin, alors que j'ai littéralement JAMAIS vu ça utilisé au masculin.
Et que la grosse majorité du temps je vois plutôt vegan sans accent.