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Le danger des oraux
Pour finir dans la lancée de cette semaine, petit bonus : ma réflexion sur les oraux.
Comment j’ai découvert l’arnaque
Après mon bac je rentre en prépa physique-chimie. Ça commence quasiment immédiatement avec une “khôlle” , c’est-à-dire un oral, de mathématiques.
Le cauchemar.
Je me retrouve avec un prof infect qui me crie dessus. Faut imaginer que j’ai passé ma scolarité entière en premier/deuxième de la classe donc je n’avais jamais connu ça. Encore moins en maths !
Je fais une erreur sur ce qu’on appelle une transposition. D’ailleurs je me rappelle du nom uniquement parce que c’est dans ma mémoire de douleur.
Imagine une égalité de ce type :
5 + 2 = 7
Et bien tu peux faire passer le 2 de l’autre côté du signe égal, à condition de lui mettre un signe moins au passage. Ça donne :
5 = 7 - 2
C’est trivial quand ce sont des chiffres. Beaucoup moins quand c’est des a, des b et des c.
Donc, je ne fais pas attention et je fais passer un élément de l’autre côté mais sans rajouter le moins. Ça devient faux. C’est comme si j’étais passé de :
5 + 2 = 7
à
5 = 7 + 2
Donc le prof s’arrête et me dit
- Comment vous avez obtenu cette ligne ?
- J’ai fait passé le 2 de l’autre côté
- Comment ça ? Les 2 peuvent sauter ? Par quelle magie ?
Je commence à bredouiller :
- Euh bah oui on a le droit
- Ah bon !
- Euh…
- Monsieur, les 2 ne peuvent pas sauter, vous avez fait une transposition
- D’accord…
- Et dans une transposition il se passe quoi avec l’élément qu’on déplace ?
- Ah ! J’ai oublié de mettre un signe moins
Tout l’oral s’est déroulé comme ça. J’ai eu une note affreuse.
Mais on ne m’y a plus jamais repris. C’était mon premier oral, je n’avais pas encore compris.
L’oral de chimie où j’ai embarqué la prof
J’ai donc développé rapidement un sens de comment on réussit un oral sans connaître les réponses.
Ça paraît parfois fou aux gens qui ne savent pas le faire mais je l’ai fait plein de fois.
Un exemple c’était en chimie. Je devais dire si une réaction était une oxydation ou une réduction.
Au lycée on apprend par coeur sans trop comprendre pourquoi un truc est une oxydation et pourquoi un truc est une réduction. En prépa on doit le démontrer (en montrant qu’il y a eu un gain ou une perte d’électron).
Sauf que c’est une démonstration parfois fastidieuse. En plus je n’aimais pas le faire, donc je ne m’étais pas trop entraîné.
Je tombe sur la question. C’est la première de l’oral. Donc si je rate ça risque de tout compromettre.
Je mets un truc au hasard : une chance sur deux.
La prof :
- Vous vous êtes trompés, c’est une oxydation, pas une réduction
- Ah bon ? Prouvez-le.
- Je suis sûre, j’ai fait le corrigé
- C’est votre parole contre la mienne
- Très bien…
Et là elle se lance dans la démonstration. Le souci c’est qu’elle n’avait pas prévu de la faire. Elle bloque. Elle y serait évidemment arrivée au bout d’un certain temps, mais c’est la clé au bout d’un certain temps. Temps qu’elle n’a pas puisque y’a quelqu'un qui doit passer après moi et que c’est chronométré. Elle abandonne en disant qu’elle me met les points dans le bénéfice du doute mais qu’elle est sûre d’elle.
Voilà comment j’ai eu les points à une réponse que je savais pertinemment fausse puisque je l’avais formulée au hasard.
Les mécanismes en jeu
Voilà tous les leviers que j’ai identifiés à force de faire des oraux.
#1 | La prime aux bons élèves
Il n’y a pas photo. Si le prof me met dans la case bon élève je pars avec plein de points d’avance. J’ai déjà totalement raté un oral parce que je n’avais rien révisé et j’ai quand même eu 10/20 avec le prof qui dit c’est bien parce que c’est vous Galita, j’espère que ça ne vous arrivera plus.
Et moi qui pensait ah bah oui j’espère qu’on ne m’y prendra plus.
Avec un prof qu’on a le restant de l’année c’est facile, il sait. Avec un prof inconnu, en concours, il faut projeter rapidement les signes du bon élève.
Une des manières de le faire c’est de répondre très vite aux questions basiques, même si c’est pour répondre faux. Comme j’ai fait en chimie sur la question de l’oxydation/réduction.
Mais c’est fondamental, ça va créer une spirale positive. Le prof va même épargner des questions parfois.
#2 | Faire sauter des questions
À force de faire des exercices on se rend compte qu’ils sont écrits par des humains et ont des logiques humaines. Par exemple, en maths, tous les exercices sur les matrices commençaient par la question diagonalisez cette matrice. Ou alors par une autre question qui ne pouvait pas être faite sans avoir au préalable diagonalisé la matrice.
C’est d’ailleurs une des caractéristiques de la prépa : des énoncés avec des questions implicites. Alors qu’au lycée on était guidé en permanence.
Donc ce que je faisais c’est que quand je repérais un truc comme ça, je le disais très vite.
Là c’est évident que ce qu’il faut faire c’est diagonaliser la matrice.
Et… très souvent… le prof… passait la question ! Sans que je la fasse ! Une fois que j’avais compris ça je me suis mis à faire l’impasse sur certaines révisions (notamment la diagonalisation de la matrice, c’est pour ça que je m’en rappelle).
Je me rends compte en l’écrivant que c’est drôle : diagonaliser la matrice était LE truc que je savais pas vraiment faire mais c’est aussi LE truc que j’ai retenu. Je ne suis pas capable de dire quel autre genre de questions il y avait. Tricher ça fait plus retenir que d’apprendre normalement on dirait.
#3 | Décrire ce qu’il faudrait faire
Mon oral de maths pour l’école de commerce m’a posé un problème du genre diagonaliser la matrice (je crois même que c’était exactement ça).
Problème : je ne savais pas faire. Mais je savais que c’est ce qu’il fallait faire.
J’ai d’abord essayé ma technique pour que la question saute. Ça n’a pas marché, il voulait que je le fasse.
Et là j’ai directement dit j’ai un petit bug, j’y arrive plus là, mais c’est facile il faut commencer par faire [étape 1] puis …
Bien sûr… je n’avais pas tous les points, faut pas rêver. Mais je projetais l’image d’un bon élève. Car je prenais la question de haut en mode : non mais on va pas se fâcher pour un truc aussi simple, viens on passe aux questions sérieuses.
Bien entendu ça demande ensuite d’assurer à la question d’après.
#4 | Ne jamais abandonner
Quand j’étais vraiment en perdition je passais en mode survie : aller chercher des bouts de points coûte que coûte. Y’a des élèves qui abandonnent et ne se rendent pas compte que un demi-point par demi-point on peut aller chercher un 6/20 au lieu d’un 2/20.
Le souci c’est que, psychologiquement, les gens ont tendance à traiter le 2/20 et le 6/20 de la même manière. En mode à quoi bon.
Mais pourtant 4 points c’est 4 points. Passer de 2 à 6 c’est un effet égal à passer de 12 à 16. On rajoute 4 points multiplié par le coefficient de l’épreuve. Et sachant que c’est un concours… tout se joue à la différence.
Mais même dans un examen… vu que souvent on a plusieurs oraux, bah chaque point compte.
Si l’examen est composé de deux oraux au même coefficient. Qu’au premier oral j’obtiens 14/20 et au second oral j’obtiens 6/20, bah je passe avec pile la moyenne. Si j’ai 14/20 et 02/20, je ne passe pas.
Il ne faut lâcher aucun point. Même si on a envie de pleurer parce que ça se passe super mal.
#5 | Profiter de l’ignorance de l’examinateur
Ce n’est valable que pour les oraux avec des questions de culture générale.
On avait beaucoup ça dans les oraux des écoles de commerce. Et donc à un oral blanc on m’a dit :
- Ah, vous venez de Guadeloupe, et c’est quoi la superficie ?
- 1 540 km2, je dirais, à peu près.
J’ai répondu ça du tac au tac. Alors que je n’en savais rien. Ou plutôt… j’avais une idée vague. Je savais que c’était un chiffre dans cet ordre de grandeur. Mais j’étais sûr et certain qu’il n’avait pas lui-même la réponse à sa propre question (on est dans un monde sans smartphone, il ne peut pas sortir Google).
Et de toute façon j’avais préparé la parade : s’il me disait que la bonne réponse était un chiffre plus grand j’aurais dit
Ah oui j’ai dû compter sans les îles dépendantes
S’il me disait que la réponse était un chiffre plus petit j’aurais dit
Ah bon ? Mais même si on compte TOUTES les îles dépendantes ?
J’ai un camarade à qui on a demandé le nombre d’habitants au Mexique. Il a répondu qu’il ne savait pas. Je n’aurais JAMAIS fait ça.
J’aurais répondu rapidement une fourchette sur un ton de réflexion ou, au contraire, un chiffre très précis avec aplomb. Si ça se trouve la personne en face ne sait pas.
#6 | Les profs sont sensibles au raisonnement
Dernière manière de grappiller des points : expliciter son raisonnement qui a mené à la mauvaise réponse. Parfois les élèves se contentait de juste répondre la mauvaise réponse et de perdre les points. Alors qu’expliquer le raisonnement peut tout changer : l’examinateur se rend compte que c’était une bonne démarche mais qui n’a pas abouti et il laisse un peu de points.
Du coup on fait quoi ?
Je n’ai pas trouvé la réponse à ça. Mais clairement il faut trouver un moyen, quand on fait un oral de ne pas prendre en compte le talent réthorique de l’élève.
Une des solutions que j’utilisais c’était d’avoir un barème strict, défini à l’avance.
Une autre solution consiste évidemment à limiter au plus possible les évaluations orales. En tout cas dans le cadre d’un examen. Dans une évaluation d’apprentissage ça peut être bénéfique.