I have a dream
1999.
On vient d'arriver en Guadeloupe.
Je rentre au collège.
Double choc.
J'ai l'impression d’être expulsé brutalement de l’enfance. Exit la cour de récréation merveilleuse avec les pogs, les billes, la marelle... Bienvenue la pause où on fait que... parler.
J'ai encore un cartable. Je suis un des seuls. Alors tout le monde se moque de moi. Pour être accepté, il faut un sac à dos Quicksilver.
Sans compter que je suis le seul à respecter le règlement intérieur en mettant le tshirt de mon uniforme dans le pantalon. Je ressemble à Steve Urkel.
Autre bouleversement, d'ailleurs. Puisque dans les collèges guadeloupéens de l'époque on porte encore l'uniforme. Un truc hideux dans le mien en plus : jean bleu et tshirt orange.
Je ne comprends pas bien ce qui m'arrive. Je suis passé de l'enfant star du CM2 avec plein de filles qui voulaient "sortir avec moi" au souffre-douleur.
Enfin... je dis ça... mais personne ne me tapait au collège. C'était davantage un jeu d'humiliation.
En revanche, on me tape encore à la maison.
Je suis passé de premier de la classe avec une moyenne de 18 à avoir des 12.
Des 12. Sur 20 !
Je ne savais même pas que cette note existait. Je ne savais pas qu'on pouvait me la donner. Chaque 12 que je reçois est un coup de poing dans la face de l’éternel premier que je pensais être.
Mais surtout... chaque 12 va me rapporter des vrais coups de poing dans la face... enfin non... des coups de ceinture sur le dos.
Chaque fois que je ramène un 12/20, ma mère me fouette.
Heureusement, après le moment d'acclimatation à une nouvelle culture (la Guadeloupe) et au nouvel environnement (le collège), je finis par retrouver mes notes d'avant.
J'ai trouvé ces coups particulièrement injustes. Parce que oui, y'a des coups que j'estimais mériter ou alors un peu moins démériter. Là je suis complètement révolté : ça ne m'a servi à rien. C'est pas grâce à ça que j'ai retrouvé les bonnes notes et j'en ai pleinement conscience.
Alors quelques temps plus tard, je prépare un discours. Je demande à mes parents si je peux leur parler. Je monte dans leur chambre. Et je commence le discours.
Un plaidoyer pour démontrer l'injustice de me frapper pour des mauvaises notes. Que je mérite pas ça.
Mes parents pleurent.
Je demande de ne plus jamais être frappé pour des mauvaises notes.
Ils acceptent.
J'ai à peine 12 ans, et je viens de découvrir mon pouvoir : je peux changer le cours de ma vie avec une prise de parole. Je ne sais pas encore que c'est ce même talent qui me permettra plus tard de gagner ma vie.
Ce jour-là, je me sens comme Martin Luther King : mon discours ne m'a pas permis de régler le problème, mais il a été assez marquant pour l'atténuer.
Woah...