Le cri des enfants - épisode 6
Voilà la saison 2 de la série. Si tu as raté les premiers épisodes je te suggère de commencer par rattraper ton retard :
Épisode 1 : Pas d’issue possible
Épisode 2 : Pourquoi les aimerais-je ?
Épisode 3 : Qui va payer pour les enfants qu’on a frappés ?
Épisode 4 : Je suis Poil de Carotte
La punition pire que les coups
Il y a pire que les coups pour punir un enfant. Par exemple, ne plus lui parler.
Mon père est si fier de lui quand il raconte ça. J'ai entendu cette phrase tant de fois dans sa bouche. Il la répète depuis que je suis petit, à d'autres parents. Avec d'autres principes comme "je ne frappe jamais un enfant quand je suis en colère".
Et les autres adultes semblent admiratifs. Ils semblent se dire quelle sagesse.
La première fois que j'ai entendu ça je me suis dit que, quand même, plusieurs fois il avait eu l'air vachement en colère en me tapant. Surtout quand c’était pour que j’aille au temple le Dimanche.
Mais surtout... je me disais que c'était n'importe quoi. Que j'aurais clairement échangé les coups de ceinture contre un adulte qui boude. Dix fois, cent fois, mille fois.
Je ne suis plus un enfant. J'ai 16 ans. Ça fait deux ou trois ans que ma mère n'a plus levé la main sur moi. Déjà parce qu'elle n'est plus que l'ombre d'elle-même depuis que sa mère à elle est morte, y'a deux ans.
Ensuite, parce que la seule fois où elle s'y est risquée à nouveau c'était trop tard. J'étais désormais plus grand, plus fort qu'elle. J'ai attrapé sa main, je l'ai serrée et j'ai dit "c'est fini, tu peux plus me taper". J'ai vu la peur dans les yeux. Je n'ai même pas pensé à aller plus loin : elle n'était déjà plus qu'une coquille vide.
Mais, à partir de ce jour, elle n'a plus jamais essayé.
Morale : seule la violence physique peut vaincre la violence physique.
J’ai découvert tout seul, par hasard, le concept de la dissuasion nucléaire qui permet la paix entre les puissances.
Je viens de péter sur ma petite soeur.
Mon père, furieux, me gifle.
Je pense "bah alors ?".
Ça faisait un mois qu'il ne me parlait plus. J'avais mis la musique trop fort un jour et refusé de la baisser. Alors, en punition il avait d'abord confisqué ma console, puis cessé de me parler.
Il mettait enfin son plan à exécution, après tant d'années : le truc pire que les coups... BOUDER.
MDR.
J'imagine que ça peut marcher dans une éducation sans les coups. Mais là, ça me fait juste rire. Je suis bien content d'avoir la paix depuis un mois ! Apparemment son but c'est que je vienne m'excuser. Mais pourquoi le ferai-je ? Mis à part le fait de ne pas avoir ma console, la situation me va.
Et donc là... il a craqué. Il m'a giflé.
Comme quoi... y'a pas pire que les coups.
Ses deux grands principes moraux sont enfreints. Puisque, manifestement, il est en colère quand il me frappe. Le plus ironique c’est que mon père, dans le reste de la vie, est une des personnes les plus pacifiques que je connaisse. À un niveau maladif. Au point de fuir les conflits même quand il faudrait. Même quand un proche lui vole 5 000€, il est peace. Il applique à la lettre son christianisme : tendre la joue droite quand on nous frappe la joue gauche. Mais pas avec moi.
Je suis d'humeur joueuse. Je l'insulte. Il me frappe à nouveau. Je l'insulte plus fort. Il me frappe plus fort.
Les mots contre les coups. Qui va gagner ?
Spoiler : les coups, bien sûr. Quiconque répond autrement n’a pas reçu suffisamment de coups ou alors pas assez fort.
À force d'escalade j'en viens à l'insulte suprême en Guadeloupe : Kouniamamanw. C'est intraduisible. Ça veut littéralement dire "la chatte de ta mère". Mais ça veut plutôt symboliquement dire "fils de p****". C'est la première fois que je le dis sérieusement, d'ailleurs.
Et donc à insulte finale, coup final. La dernière gifle est si forte qu'elle me fait saigner.
Je dis que j'en ai marre, que je vais fuguer. S'ensuit une lutte physique que je perds.
Frustré je m'avoue vaincu.
Quelques minutes plus tard j'entends mes parents se disputer.
Quand ma mère revient, elle me raconte son histoire. L'enfer qu'elle a vécu dans son enfance à elle. Elle me raconte qu'elle a envisagé de mettre fin à ses jours. Elle m'explique qui était sa mère à elle. Comment elle m’a protégé d’elle. Pourquoi je l’ai si peu vue.
Elle me raconte des horreurs telles que je n'arrive pas à les écrire ici car je sais que tu me lis. J'ai envie de vomir rien que d'y repenser. Mais je me rappelle avoir pensé "ah bah ça va en fait, j'ai vraiment eu une enfance heureuse".