Bonne fête, maman
Et si on faisait une visio avec maman, aujourd’hui ? C’est la fête des mères.
C’est Johanna, ma soeur, qui nous propose ça. On accepte immédiatement.
Quelques heures plus tard, tout le monde est là. Sauf Johanna. Ça tombe mal : non seulement c’est son idée mais en plus son mariage arrive bientôt.
La discussion tourne vite autour de ce sujet. On est en pleine pandémie du covid. Entre la troisième et la quatrième vague. Après le troisième confinement (ou le deuxième reconfinement, ou le premier rereconfinement).
C’est un sujet encore assez abstrait en Guadeloupe qui a été relativement épargnée. Mais, pour avoir le droit d’y aller, je n’ai pas le choix : je dois avoir complété les deux doses de vaccin. Je ne sais pas si je peux y arriver. On est encore au moment où il fallait se battre pour avoir un RDV.
Je sens que Johanna est tellement focalisée sur son mariage qu’elle s’inquiète de moins en moins des conditions sanitaires. Normal. Mais je ne comprends pas pourquoi les parents ne font rien.
- Mais, que Johanna ne prenne pas en compte la probabilité que certaines personnes soient empêchées de venir c’est une chose, mais que vous ne le fassiez pas c’est une autre. On dirait que c’est vous les enfants et Johanna l’adulte.
- Comment ça ?
- Bah, on ne sait pas comment ça va tourner. On sait même pas si Laura et moi on pourra se vacciner à temps.
- Ah…
- Mais même au-delà de ça, plus y’aura de gens vaccinés moins on aura de chances d’avoir des soucis
- C’est bon y’aura des tests à l’entrée, c’est obligatoire
- Oui c’est bien, mais autant inciter les gens à se vacciner en plus
Je finis par comprendre que mes parents ne sont pas vaccinés. S’ensuit alors une dispute comme il y a dû en avoir dans beaucoup de familles. Ma mère commence à expliquer qu’elle ne peut pas se faire vacciner :
- Je suis déjà malade, je ne peux pas
- Je ne vois pas le rapport entre ta maladie et la vaccination, c’est un médecin qui t’a dit ça ?
- Oui, et il m’a aussi dit que ce vaccin n’était pas le bon. Que le vaccin qui fonctionne avait été inventé y’a 5 ans et que celui-ci était mauvais.
- Oh mais bien sûr, ton médecin il sait ça mais pas Poutine par exemple ? Ni le président chinois ? Y’a une grande conspiration des Mayas et des Aztèques et ton médecin est dans la confidence, mais pas les puissances les plus hostiles aux USA ?
Et… je ne sais plus du tout comment on en arrive là. Mais ma mère se met à crier.
J’ai un électrochoc. Un réflexe presque vomitif.
Une sensation que je connais, mais je ne comprends pas d’où. Puisque ça fait des années que je n’ai pas entendu ma mère crier sur moi… ça fait même probablement depuis que…
D’un coup je comprends. Ça fait depuis qu’elle me tapait.
Elle est de retour !
Tout en moi crie que cette fois on va gagner. Ce n’est pas un exercice. Mais ce n’est pas dangereux. On est prêts. On ne va pas se taire parce qu’on est plus intelligent et que ça lui plaît pas. On n’a plus l’âge de laisser les brutes gagner. Surtout depuis que le rapport de force s’est inversé et que les affrontements sont devenus verbaux.
Je me suis promis à moi-même, après le collège de ne plus jamais me laisser faire. Au collège j’avais peur qu’on me tape. Puisque c’est comme ça que se réglaient les confrontations. Mais cette époque est passée.
Cette époque est passée également avec mes parents. Je ne suis plus un enfant. Des guerres j’en ai menées, des guerres j’en ai gagnées. Contre des brutes bien plus coriaces. Aucune chance qu’elle s’en sorte.
Surtout qu’une guerre, j’en ai aussi perdue. L’an dernier. Contre une brute qui m’a fait taire en utilisant le chantage au licenciement. Pas le mien. Ça m’aurait rien fait. Non, il a menacé de mettre au chômage mes 15 collègues en plus de moi. Et ça a marché… il m’a fait taire.
Et… j’ai fait une dépression quelques mois après. Parce que quand on ne répond pas à l’injustice on finit par retourner la colère contre soi-même. En tout cas c’est ce que m’a expliqué un psy dans un livre.
Se taire est extrêmement coûteux en estime de soi. Pour moi en tout cas. Je ne sais que répondre ou m’aimer un peu moins.
Ce n’est pas une option. Je vais lui répondre et l’abattre en plein vol.
Je la regarde crier et je n’en crois pas mes oreilles, je n’en crois pas mes yeux. Je pensais que cette personne avait disparu il a presque 20 ans, quand sa mère est morte.
Alors, je vois quoi ? Un zombie ? Un fantôme ? Une résurrection ?
Peu importe ce qu’elle est : je vais la guillotiner.
Par pitié une suite 🥹