Pour l’instant, je ne pense pas faire une saison 3. Je pense que je vais avoir fait le tour. Mais sait-on jamais ? En toute probabilité c’est donc l’avant-dernier épisode tout court. Et avec certitude c’est l’avant-dernier épisode de la saison 2.
Ne pas en faire des tonnes
"J'ai pris des coups. J'en suis pas mort."
Combien de fois ai-je entendu ça ? Dans la bouche des autres, mais aussi dans ma propre bouche. Et j'ai envie de le redire : j'ai pris des coups, j'en suis pas mort.
Je ne sais pas si c'est un reste de déni. Ou alors si c'est parce que ça fait partie des choses qui sont plus choquantes à entendre qu'à vivre. Ou alors si c'est parce que moi c'est dans mon passé lointain alors que l'auditoire entend l'histoire dans son présent immédiat.
Toujours est-il que le public me pousse.
J'ai perdu le contrôle de cette oeuvre. La première saison, je l'ai écrite dans mon coin. Je ne savais même pas si j'allais la montrer. J'ai écrit sans me soucier de qui lirait. J'ai écrit sans même penser aux gens de ma famille qui lirait. J'ai écrit libre.
Avec le "succès" de la première saison et l'envie d'en faire une deuxième, j'ai perdu ça. J'écris en sachant que tu vas me lire. J'écris même en réaction à ta réaction de la première saison. C'est ce que je fais en ce moment même.
Je suis un peu saisi par l'énormité. Je reçois des messages comme "tu as énormément de courage" alors que je n'ai pas l'impression. Ma petite soeur m’écrit je suis fière de toi. Je ne sais pas si elle m’avait déjà dit ça un jour.
Ce qui me rassure c'est que les messages écrits par des antillais me surprennent moins. C'est des choses du type "c'est bien que tu écrives sur le sujet, on le banalise trop".
Grand écart total avec la réactions des autres qui ne trouvent pas ça du tout banal. L'un d'entre vous m'a écrit qu'en terme d'ambiance dire "on me tapait avec une ceinture" c'est le niveau en dessous de "on me touchait".
Une partie de moi se dit : mais faut pas en faire des tonnes non plus. Une autre partie se dit : je vais pas non plus faire carrière d'écriture sur le sujet. Je vais pas faire 15 épisodes non plus. Et une autre lui répond : pourquoi ? Quand c'était les chroniques guadeloupéennes ça te dérangeait pas de faire une quinzaine d'épisodes.
La honte est un moteur puissant aux Antilles. On agit pour s'en protéger. Si bien qu’une grande partie des coups que j'ai reçus se rattachent au sentiment de honte. La honte si jamais le fils Galita ne vient pas au temple, la honte si jamais le fils Galita répond à un professeur, la honte parce que je contredis au cinéma le fait que j'ai le droit au tarif réduit... la honte si je passe de premier de la classe à enfant qui a douze de moyenne.
D'ailleurs, tu vois Christine Kelly, la journaliste qui tend le micro à toute l'extrême-droite parce que, je cite "je me suis complètement effacée derrière Dieu, et je l'ai laissé piloter " ? Et bien avant cette carrière brillante elle habitait dans une maison voisine à la notre.
La famille Galita et la famille Tigiffon (son nom de jeune fille) se connaissent donc de loin. Suffisamment pour discuter de temps en temps. Il se trouve que Christine Kelly a sorti un livre sur son enfance. Elle se décrit comme une enfant battue. Et c'est d'ailleurs ça que j'imaginais quand j'imaginais une enfant battue. Aujourd'hui je dirais qu'elle a vécu de la torture.
Voici un extrait de son récit :
"Ma mère me frappait pour un oui ou pour un non avec une rallonge électrique. Et toujours 25 coups ! C'était froid, étudié. J'avais beau crier, courir dans la maison, saigner : elle me battait".
Et bien face à ça... mes parents ce qui les a inquiété c'est la honte déployée sur la famille. Parce que c'était en public...
Une culture tellement allergique à la honte qu'elle peut sacrifier tout pour l'éviter.
Du coup, c'est ironique : on m'a frappé pour éviter la honte. Aujourd'hui j'écris en public... j'imagine que c'est honteux. Comme quoi...
Et encore, j'ai passé sous silence les crimes de mes grands-parents (des deux côtés). Je ne peux pas parler à la place des victimes, cette histoire leur appartient. Mais c'est aussi parce qu'on me racontait ces crimes que je me disais que j'avais décidément une enfance heureuse.
D'ailleurs, plusieurs personnes ont réagi à ça. Que c'était étrange de répéter que j'avais eu une enfance heureuse et que le récit leur paraissait beaucoup plus logique.
Une proche :
Comme quoi c’était pas totalement fou quand je disais qu’il avait dû se passer un truc avec tes parents
J’aurais aimé me tromper sur ce sujet mais bon.
(…)
Bah je t’ai toujours dit qu’il a du se passer un truc comme ça avec tes parentsTu disais que non tu avais eu une enfance heureuse
(…)Limite à m’engueuler que non
(…)
Mais ça m’a presque pas surprise en lisant ça.Je me suis juste dit : « bah voila, il y avait bien un truc »
Une abonnée :
Je me rappelle des premiers temps où je te « suivais », te lisais et les fois où tu mettais en lumière que tu avais eu une enfance heureuse, emplie d’amour : jamais d’ombre au tableau.
Je me disais : « c’est vraiment possible d’avoir reçu que ça ? »
« jamais de Violences Éducatives Ordinaires ? »
« mais cette colère, cette position face à l’injustice, sa force pour ses combats… ça lui vient d’où ? Il ne peut pas y avoir que du transgenerationnel »
« peut-être que je lui demanderai un jour »
« il a eu de supers parents »
Je n’ai pas envie de dire que cela me « rassure » de lire ce que je lis. Je trouve juste un peu plus d’authenticité et c’est ça que j’apprécie.
Je ne sais pas trop quoi penser de ça... Je n’avais pas pris conscience, je crois. Tout ce que je sais c'est que cette histoire ne me définit pas. Ou plutôt qu'elle ne me résume pas. Mais je sais aussi que ça ne peut pas marcher de la nier.
Je ne sais pas ce qui sortira de tout ça. J'imagine que ça salit le nom Galita. Mais je ne vis pas dans la honte. Et surtout...
Il fallait y penser avant. Que je sache, ce n'est pas moi qui ai arraché le cri des enfants ? Moi je ne fais que le raconter. Raconter le mien. J'espère sans en faire des tonnes. Mais en vrai, même si c'était en faisant des tonnes... c'est toujours mieux que le tabou, c'est toujours mieux que le silence des enfants.
Ce qui me frappe , dans ce que tu racontes, c’est qu’il y est question d’un tout petit nombre de personnes, un cercle familial très restreint. J’ai bien compris que tu n’avais rien à attendre de tes grands-parents, mais il n’y avait personne d’autre autour ? Un oncle, une tante aimants ? Une voisine bienveillante ?
Pour qu’il y ait résilience, il faut qu’il y ait un pilier de résilience. Qui a été ton pilier de résilience ? Ou quel a été ton pilier de résilience ?
"Shit happens." C’est valable pour tous. Qu’on arrive à s’en sortir ou à le dépasser dépend de qui ou quoi on a rencontré sur son chemin, même si c’est une chose aussi abstraite qu’un sentiment ou une idée. Je ne pense pas qu’un être humain puisse s’en sortir seul.