Je suis Poil de Carotte
J'ai 7 ans et je lis Poil de Carotte. Je me sens en connexion avec le personnage. Comme je me sentirai plus tard en connexion avec le héros de Vipère au poing. Comme je me sentirais en connexion avec tous ces enfants qui détestent leur mère qui les frappe.
Je tombe sur ce passage.
Poil de Carotte, pendant que madame Lepic n’est pas là, développe ses idées personnelles.
– Pour moi, dit-il, les titres de famille ne signifient rien. Ainsi, papa, tu sais comme je t’aime ! or, je t’aime, non parce que tu es mon père ; je t’aime, parce que tu es mon ami. En effet, tu n’as aucun mérite à être mon père, mais je regarde ton amitié comme une haute faveur que tu ne me dois pas et que tu m’accordes généreusement.
– Ah ! répond M. Lepic.
– Et moi, et moi ? demandent grand frère Félix et sœur Ernestine.
– C’est la même chose, dit Poil de Carotte. Le hasard vous a faits mon frère et ma sœur. Pourquoi vous en serais-je reconnaissant ? À qui la faute, si nous sommes tous trois des Lepic ? Vous ne pouviez l’empêcher. Inutile que je vous sache gré d’une parenté involontaire.
L'adulte qui raconte lit avec émotion ces lignes. Parce qu’une partie de lui se demandait s'il n'avait pas inventé ce souvenir. Il n'avait jamais été vérifier car… comment retrouver le passage ?
Mais, depuis, le livre numérique a été inventé et il lui a donc suffit de chercher le mot "hasard" dans le livre.
Ça a existé. Il n'est pas fou.
Quant à moi, l’enfant, je lis ce passage de Poil de Carotte et je suis totalement d'accord avec le héros.
Ça continue :
Quel mal vois-tu à mes propos ? répond Poil de Carotte. Gardez-vous de dénaturer ma pensée ! Loin de manquer de cœur, je vous aime plus que je n’en ai l’air. Mais cette affection, au lieu d’être banale, d’instinct et de routine, est voulue, raisonnée, logique. Logique, voilà le terme que je cherchais.
Et là je me demande si j'aime mes parents ? Je ne sais pas. J'aime ce que mon père m'apprend en tout cas : il me fait faire plein de trucs de science et j'adore ça.
Mais, ce que je sais, c'est que je ne me sens pas redevable de leur amour. Après tout... mon père n'a pas voulu Nicolas Galita. Ma mère n'a pas voulu Nicolas Galita. Ce qu'ils ont voulu c'est un enfant. Et, je suis arrivé par hasard.
Je ne leur dois rien. La famille est une prise d'otage, dangereuse. Une loterie où peuvent se passer les pires horreurs. Je m'estime chanceux de n'avoir "que" les coups de ceinture à subir.
Je me demande pourquoi les adultes ont ce besoin de nous frapper ? Après tout, ils ne se frappent pas entre eux. Enfin… je crois ?
Voilà la fin du passage du livre :
Quand perdras-tu la manie d’user de mots dont tu ne connais pas le sens, dit M. Lepic qui se lève pour aller se coucher, et de vouloir, à ton âge, en remontrer aux autres ? Si défunt votre grand-père m’avait entendu débiter le quart de tes balivernes, il m’aurait vite prouvé par un coup de pied et une claque que je n’étais toujours que son garçon.
Voilà. Nous frapper, pour nous ramener à notre place.
Alors, pourquoi faudrait-il aimer nos bourreaux ?
C’est fou… à la fois nous obliger à aimer la famille, à la fois en accepter les coups. Tu ne frapperas pas les gens que tu aimes… ça devrait être la base de la base, non ?
Non. La base de la base de la base.
Dieu n’a pas pensé à ça ? Au lieu de nous fatiguer avec Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain il aurait pas pu mettre Tu ne frapperas pas les humains que tu aimes ?
Non… il a décidé de mettre Tu honoreras ton père et ta mère.
Dieu pense à tout, il est omniscient.
Alors Dieu c’est Lucifer. C’est pas possible autrement.
Tu m’as donné envie de (re)lire Poil de Carotte. La question de est ce que l’on aime ses parents parce que ce sont nos parents ou est ce qu’on les aime en tant d’humain est une question hyper saine à se poser. 🙏🏻