Le cri des enfants - ép 1
Pas d’issue possible
Je hurle à m'en arracher les poumons. Je hurle à lui niquer les oreilles. Parce que je sais qu'elle déteste ça. Elle déteste quand je lui hurle dessus.
J'ai l'impression de reprendre le pouvoir. Toute ma peau est en feu. Elle brûle des coups de ceinture de ma mère. Comme le fouet a brûlé la peau de mes ancêtres et des siens.
Je pleure de douleur. Mais je crie aussi pour l'énerver.
Alors elle hurle en me frappant :
Tu.
Vas.
Te.
Taire.
Je hurle encore plus. Voir sa colère me remplit de plaisir cruel. Je veux qu'elle s'étouffe de colère.
Alors elle recommence.
Mon esprit commence à calculer : je ne peux que perdre dans ce jeu de surenchère. Je vais devoir me taire à un moment si je veux que ça cesse.
Alors je me tais.
Et elle continue de me frapper pendant encore quelques secondes. Je retiens mes cris, je retiens mes larmes, je suis fort. Après tout, j'ai la chance de ne pas être esclave.
Ça ne s'est pas joué de grand chose. L'arrière grand-père de ma grand-mère était un esclave. Et il se faisait fouetter sur la même terre que je foule en ce moment.
Sous le sable de la Guadeloupe, le sang.
J'arrête de hurler. Je laisse les larmes couler en silence.
Elle arrête de me fouetter. Elle s'en va.
Je reste dans la chambre.
Tout ça parce que je refuse d’aller au temple le dimanche. Mais d’autres fois c’est parce que j’ai répondu à un adulte ou que j’ai moi-même frappé ma petite soeur. Les bonnes raisons, y’en a plein. Y’en a trop.
Je ne peux pas m'échapper. Je suis son otage. Je suis trop petit pour savoir faire à manger, trop petit pour m'enfuir.
Je ne peux même pas prier pour qu'elle meure. Puisque... je suis trop petit pour vivre moi-même. Mon père aussi me fouette. Donc il faudrait que les deux meurent. Mais dans ce cas j'irais où ? Combien de parents antillais ne frappent pas leurs enfants ?
Je suis prisonnier.